Tradition millénaire inscrite dans le calendrier agraire ou amazigh, yennayer, appelé “Id n usseggwas” ou “Hagouza” (1er jour de l'an amazighe) est marqué par des rites, des mets et une atmosphère de grande fête conviviale que célèbrent les nord africains. Elle consiste à préparer des mets spécifiques, observer certains interdits et raviver certaines pratiques. Depuis plus d'une décennie, cette manifestation socioculturelle connaît un regain de vitalité. Elle est célébrée par le tissu associatif amazighe en Afrique du Nord et dans la Diaspora amazighe (France, Canada, Belgique…). Sa date coïncide avec le 13 janvier de l'année grégorienne. Les origines de cette tradition remonte à 950 avant Jésus Christ, date importante dans l'histoire des amazighes. Période où le roi amazighe Shéshong réussit à établir sa domination sur l'Egypte et fonder la XXII ème dynastie pharaonique. Et c'est cette date qui a été choisie comme point de départ du calendrier amazighe. Nous célébrons cette année l'an 2959. Nous proposons à nos lecteurs un texte tiré de l'ouvrage Mots et choses berbères, de Emile Laoust,( Augustin Challamel-Editeur, Paris, 1926) qui traite de la célébration du nouvel an amazighe chez les NTIFA. A cette occasion, nous souhaitons à nos lecteurs une bonne et heureuse année amazighe (2961 – 2011). Au souper de la première nuit de janvier, les Ntifa mangent, avec le couscous, une préparation appelée les “sept légumes” où rentrent sept variétés de plantes vertes telles que l'artichaut, l'asperge sauvage, le cresson, le chèvre-feuille, le poireau. Après le repas, il est d'usage qu'une des femmes de la maison prenne une poignée de couscous et la présente à tour de rôle à chacun des membres de la famille en disant : “Tiens, mange.” On doit répondre : “Je n'ai plus faim !” La même femme dépose ensuite la boulette sur le montant supérieur de la porte de l'habitation. Le lendemain, à la pointe du jour, elle l'examine et tire des présages d'après la nature du crin, du poil, du brin de laine ou de la plume, que le caprice du vent y a déposés. Cette coutume a reçu le nom de talkimt n djiwnegh Au cours de la deuxième nuit, on mange des poules et des oeufs. Il faut que petits et grands, chacun ait une volaille entière pour sa part. La femme enceinte en mange une en plus pour l'enfant qu'elle porte en son sein. Chacun emporte les coquilles des oeufs qu'il a mangés et les serre dans un nouet fait dans le pan de son vêtement où elles restent toute la nuit. On les jette le lendemain ; les anciens prétendent qu'agir ainsi, c'est s'assurer de ne point manquer d'argent dans le cours de l'année. Il est encore d'usage de procéder ce jour-là au renouvellement des pierres du foyer. La maîtresse de maison dit en jetant ses vieilles pierres sur le tas du fumier : “Je vous change, o pierres, et en apporte de nouvelles dans la paix et la prospérité !” En rebâtissant son foyer elle prononce ces paroles : “Au nom de Dieu ! Veuille, ô Dieu ! Qu'il soit béni, heureux et prospère !” Par ailleurs, l'usage d'élever des bûchers à l'occasion d'Ennayr a été capté par l'Achoura, qui de même qu'Ennayr, marque le commencement d'une année. Toutefois, la termilnologie, qui leur était appliquée, s'est généralement conservée. On trouve : tabennayut Illaln, Ihahan, Woult, Imettouggan ; tabeliwt, Imesfiwan ; tabernayut. Igliwa, Ida Ouzal ; taberninut. Ras el Oued, tabenrayut, Ida Ou-Kaïs. Parfois même le nom a été donné à la fête de l'Achoura ; celle-ci, en effet, est appelée : byannu, Todghout, ou tafaska n lalla babiyanu, Ouargla. Dans ce dernier cas, l'expression paraît s'appliquer à une vague divinité sans légende. Les Ida Ousemlal, qui nomment leur feu de joie tamACUR'T, le p Bernaino ! L'expression est particulièrement usitée dans les chants, des paroles rituelles, sans que les Chleuhs, qui les emploient, puissent fournir, à leur sujet, quelques indications utiles. Le soir de l'Achoura les enfants chez les Aït Idaffen, passent de maison en maison en chantant : Bennayu ! Bennayu ! yan id ur ifkin takedmit niyu d ighsn iyu ar itz'z'eg taydit, ar isndu gh uh'las ! Bennayu ! Bennayu ! Bennayo ! Bennayo ! Qui, ne me donnera ma boulette et mon os, Traira la chienne, et battra son beurre dans un bât ! Bennayo ! Bennayo ! Ceux de Dadès disent : “Bayannu kerkanu ! fk-agh-t-id a lalla ! tcan-agh yurdan ; mkagh-t-id ur tfkit, ad am id'er ud'ar n ughul g terkut !” “Bayanno, kerkano ! donne-le nous o lalla ; les puces nous dévorent ; si tu ne nous donnes rien, que le pied de l'âne renverse ta marmite !” Dans la province de Demmat, chez les Infedouaq, en particulier, les enfants chantent, dans les mêmes circonstances : “tikeddad n âacur' ! “ighs ighs n baynu !” “morceaux de viande desséchée de l'Achoura, os os de Baino !” Mais là, comme ailleurs, baino est un terme incompréhensible pour eux. La même appelation : baynu et tabennayut, désigne encore, chez les Aït Isaffen, les baguettes de laurier-rose que les enfants vont couper la veille de l'Achoura, et dont ils se débarassent ensuite en disant : “mun-d elbas-nnek a baninu ! va-t-en avec ton mal, o mon Baino !” L'expression est également connue des Touaregs. D'après le Lieutenant Jean, les Touaregs de l'Aïr donnent le nom de byanu à une fête, qui a lieu le 20e jour de MoÌarrem, et dure deux nuits et un jour. C'est une “fête d'amour” d'où sont exclus les enfants, les personnes non mariées et les vieillards. Il s'y déroule des scènes érotiques qui rappellent celles de la “nuit de l'erreur” des Zekkara ; la “nuit de la confusion” des Bedadoua ; la “nuit de l'an” ou la “nuit du bien-être” des Beni Mhassen (Branès) ou encore celle du “bonheur” que nous avons signalée chez les Aït Isaffen. Ajhoutons que chez les Touaregs de l'Aïr, les garçons nés pendant le mois de Moharrem, portent tous le nom de Bianno. Par ailleurs, Bennayu, Byanu, tabennayut et leurs variantes nombreuses, sont fréquemment relevés en toponymie, et désignent, des villages, des montagnes ou des grottes, qui rappellent, sans doute, les lieux où les gens, autrefois, avaient coutume de se réunir pour fêter le Renouveau en allumant d'immenses feux de joie, et en se livrant, entre eux, dans une promuiscuité complète, à des scènes de débauche rituelle et sacrée. Citons entre autres : Tabennayut, nom d'une montagne qui domine la petite ville berbère de Khenifra, en pays zayan. Des expressions de ce genre ne sont pas spéciales au maroc. On sait que les Berbères de l'Aurès appellent : bu-ini, leurs fêtes d'Ennayr. À Tlemcen, on appelait, il y a quelques années encore, ddu nom de bubennani ou bumennani, le personnage masqué qui parcourait, à l'occasion du nouvel an, les rues de la ville, suivi des élèves des écoles coraniques. Enfin, une expression qui paraît se rapporter aux précédentes : mununu, a été relevée, à Rabat, dans les paroles chantées par les enfants, qui prennent place dans les roues de l'Achoura (Castels, l'Achoura à Rabat, in Archives Berbères, 1916). C'est au latin bonus anus que Masqueray a identifié le bu-ini des Chaouia de l'Aurès. Mais, cette etymologie, admise par Doutté et Westermarck, s'applique-t-elle vraiment aux différents termes que nous avons rapportés ! C'est possibles ; en tout cas, on peut affirmer qu'ils se présentent, dans le vocabulaire berbère, avec la figure d'étrangers. Sur l'Ennayr, cf. Destaing, “Ennayer chez les Beni-Senous” in “Revue Africaine, 1905” ; - Doutté, “Marrakech”, p. 373-377 ; “Magie et Religion” 554-550 ; - Westermarck, “Ceremonies and Beliefs connected with agriculture, certain dates of the solar year, and the weather, in Morocco”. Les événements qui marquent le premier jour de l'an passent pour avoir leur répercussion sur l'année entière. S'il pleut, l'année sera bonne ; parfois même, pour s'assurer d'une année pluvieuse, on procéde à des rites d'aspersion d'eau. Ainsi chez les Amanouz, les gens se rendent au bord des rivières où ils se livrent au jeu des baignades forcées, comme il est fait, partout ailleurs, à l'occasion de l'Achoura. L'usage est partout répandu de tirer des pronostics sur l'année agricole en cours. Chez les Ibahan, avant de se coucher, les femmes déposent sur la terasse, trois boulettes de tagulla correspondant aux trois premiers mois de l'année : janvier, février, mars, sur lesquelles elles jettent une pincée de sel, et ce, dans la pensée “d'eassayer” la pluie. L'examen des boulettes leur fournit, le lendemain, des renseignements sur la nature des événements météorologiques qui vont survenir : la boulette, sur laquelle le sel est tombé en déliquescence, indique, en effet, celui de ces mois qui sera particulièrement pluvieux. A l'Ennayr, on formule encore des voeux. Les hommes et les femmes vont écouter aux portes, et tirent, bon ou mauvais augure, des conversations entendues. À Timgissin, la jeune fille, qui désire se marier, se livre au même manège en ayant soin, pendant tout le temps qu'elle opère, de lécher la cuiller qui a servi à remuer la bouillie. Parmi d'autres pratiques non moins curieuses, signalons que chez les Aït Mzal, avant de servir la bouillie, on a coutume de jeter dans la marmite un fels, ou petite pièce de monnaie, un noyau de datte, a?urmi n tiyni, et un morceau d'écorce d'arganier, yerg n wargan qui trouvera le fels dans sa boulette sera riche ; celui qui tombera sur l'écorce d'arganier deviendra pauvre ; et, qui trouvera le noau de datte sera propriétaire de nombreux troupeaux. Cette cérémonie fait songer au Gâteau des Rois qu'il es, chez nous, d'usage de partager en société à l'Epiphanie. in. Mots et choses berbères, de Emile Laoust, Augustin Challamel-Editeur, Paris, 1926.