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Imalas N Tamazight : Entretien avec M. Hassan Ramou, géographe-ruraliste chercheur à l'IRCAM : Faire de la culture un levier de développement humain
Publié dans Albayane le 28 - 11 - 2010

Au Maroc, le milieu rural a été pour longtemps marginalisé et souffre actuellement d'un retard en matière de développement et d'infrastructures de base. Aussi, sur le plan scientifique, les études consacrées au milieu rural sont peu nombreuses malgré son étendu spatial et sa forte dynamique sociale et culturelle.
Partant de ceci, un géographe ruraliste s'intéresse aux travaux de recherche dont l'objet est le milieu rural. La préoccupation majeure actuelle pour un géographe ruraliste est la recherche de pistes de développement local. Dans cet optique, un ensemble de chercheurs et cadres engagés dans l'étude de l'espace rural marocain ont formé un groupe GREMR Groupe de Recherche sur le Monde Rural en 2001, et dont le président honorable est monsieur Ismaïl Alaoui. Cette structure vise à étudier les dynamiques de l'espace rural, les mutations socio-spatiales et l'aménagement du territoire.
Al Bayane : Dans le cadre de notre patrimoine national, quel sont les caractéristiques et les spécificités du patrimoine rural, particulièrement le patrimoine amazighe ?
Hassan Ramou : Il me serait difficile de définir le terme patrimoine et d'une manière plus précise le contenu d'un patrimoine national ou amazighe. Car ce qui est considéré comme patrimoine pour certains marocains n'est pas la même chose pour les autres. Ce qui est considéré patrimoine pour les amazighes du centre n'est pas forcement un élément patrimoniale pour les amazighe du sud ou du nord. A mon sens, je pense que les questions culturelles et patrimoniale doivent être traitées par les niveaux les plus bas ; autrement dit au lieu que nous parlions d'un patrimoine géré par des institutions nationales centralisées, il faut que les communes et les provinces en concertation avec les associations prennent l'initiative pour animer les activités culturelles, classer les sites patrimoniaux et préserver les sites culturels. Cela peut permettre une meilleure préservation du patrimoine au lieu d'adopter une politique culturel nationale qui, dans certains cas, exclue les cultures locales ou régionales. Cela n'exclu pas les éléments patrimoniaux et les symboles culturels qui sont partagés par l'ensemble du peuple marocain et qui peuvent être classés comme patrimoine national.
Le patrimoine national marocain est dans une grande partie rural : le patrimoine matériel (bâti, différents produits de l'artisanat, etc.) et immatériel (chants, dance collective, savoir faire, etc.). Je dois rappeler que le phénomène urbain s'est limité aux médinas et villes historiques qui ne représentaient au début du siècle que moins de 10% de la population marocaine. Malheureusement, et après le protectorat et la découverte de la vie moderne qui se manifeste le plus dans les villes, nous avons une mauvaise image sur le rural, ses composantes, la culture de ses habitants. Je dois rappeler aussi que la majorité des marocains sont des ruraux ou d'origines rurales. Si le marocain d'aujourd'hui est né en ville, ses parents et ses grands parents sont nés dans le milieu rural et ils sont ainsi porteurs de la culture rurale, au moins dans certains comportements et des éléments du patrimoine immatériel.
La principale caractéristique de ce patrimoine est la diversité et la richesse. Sans entrer dans des comparaisons avec d'autres pays, le Maroc, et grâce à sa diversité sociale et ethnique, la diversité de ses origines (amazighes, arabes, africaines, juives, européennes) la diversité de ses espaces géographiques, offre une mosaïque de cultures, de comportements et d'éléments culturels. Et là c'est un atout qu'il faut préserver, le valoriser mais pas le sacraliser et le conserver intact, au contraire, il faut l'enrichir en assurant l'ouverture de la société.
Autre spécificité du patrimoine amazighe est son étendu. Les marocains retrouvent leur patrimoine amazighe dans tous le territoire marocain, L'architecture amazighe, par ses motifs et ses décorations, existe, comme au milieu rural, dans les villes historiques (Fès, Meknès, Marrakech, Taroudant, etc.).Aussi, les gravures rupestres contant le tifinagh existent dans les franges sahariennes comme c'est le cas du site de Laasli Boukach près deEs-Smara. Autre caractéristique de notre patrimoine et qu'il partage par toutes les composantes du peuple marocain. Qu'il soit son origine ethnique, le marocain, porteur de ce patrimoine, pratique avec conscience ou inconscience les élément de la culture amazighe : la darjia (riche en structures et lexique amazighes), l'art culinaire, la musique, l'habillement traditionnel, l'utilisation de l'artisanat, etc. Certaines composantes de la culture amazighe comme la langue ne sont pas encore partagés par l'ensemble des marocains.
Depuis quelques années, le monde rural fait l'objet d'initiatives de développement. Que faire, à votre avis, pour permettre à cet espace de se développer sans perdre son âme ?
En effet, le Maroc a connu ces dernières années le lancement d'un grand nombre de chantiers de développement local basé entre autres sur l'INDH. Ceci ne doit pas nous faire oublier les efforts réalisés par d'autres projets et d'autres départements publics mais aussi par le tissu associatif.
Le fait marquant de ces nouvelles initiatives est l'adoption d'une approche de développement plus proche des populations rurales. L'association, la commune ou la coopératives, bénéficiaires de l'INDH par exemple ou des autres fonds publics ou des ONG nationales et internationales, prennent l'initiative et conçoivent eux même des projets de développement local pour répondre aux besoins immédiats de la population rurale. Là c'est un tournant dans la conception des projets de développement marqués pour longtemps par la centralisation des décisions. L'INDH a renforcé cette approche. Espérons que la régionalisation élargie contribuera dans le même sens.
Je pense que le Maroc a fait ses premiers pas dans le bon sens. Il y a beaucoup de choses à redresser dans l'avenir. D'abord, la décision des projets et la nature des actions à mettre en œuvre doivent être définies à un niveau plus bas pour permettre aux populations rurales d'exprimer leurs besoins réels et immédiats.
Aussi, on ne peut pas traiter l'ensemble du territoire marocain comme un bloc homogène. Certaines zones, par leur spécificité naturelles, culturelles et historiques, ont été exclues pour longtemps des projets de développement et nécessitent aujourd'hui des politiques spécifiques pour leur développement. La montagne et les milieux oasiens présahariens sont des zones défavorisées par la nature (peu de ressources économiques disponibles) mais aussi ont été depuis l'indépendance marginalisés. En aucun cas, nous pouvons les traiter de la même façon que les zones urbaines et les plaines. Il est temps d'accorder plus d'intérêt au Maroc rural « non utile ». A l'IRCAM, le Centre des Etudes Historiques et Environnementales a édité deux ouvrages sur les espaces oasiens et les perspectives de leur développement notamment pour la région de Dra et Figuig.
Autre handicap majeur face au développement de l'homme dans ces milieux ruraux : l'analphabétisme. Or, dans ces zones de montagne et désertique, en majorité amazighophones, l'analphabétisme enregistre des taux très élevés. Que faire ? La question de l'enseignement se pose avec acuité. Comment peut-on assurer le développement de ces zones alors que l'analphabétisme est très élevé ?
A la fin, les idées de projets de développement risquent être saturées. L'élevage caprin, la cuniculture, le tourisme et l'emballage des produits agricoles sont présents dans touts les projets. Il faut de nouveaux souffles dans ces projets. Le patrimoine culturel demeure un domaine très prometteur. Seules le secteur artisanal et les savoirs traditionnels et les produits locaux appartenant aux cultures locales peuvent constituer des créneaux intéressants pour le développement. Les projets basés sur la production de l'argan, les PAM, les produits beldi sont des exemples à suivre. Faire de la culture un levier de développement humain et local est un défi à prendre.
En quoi le «tourisme rural» peut-il devenir un levier pour le développement du monde rural ?
Le tourisme rural constitue un domaine prometteur pour le développement local. Cependant la manière et les stratégies adoptées dans ce sens et le faible intérêt accordé par l'Etat ne permettent pas un développement sain de ce secteur. Le milieu rural marocain dispose d'un potentiel touristique très riche et très diversifié. Aussi la demande internationale et les modes de consommation touristique actuelles (tourisme rural, écotourisme, tourisme culturel, agricole etc.) sont très compatibles avec le potentiel du Maroc. Il faut exploiter au maximum cette conjoncture, si non, on risque d'avoir d'autres modes touristiques basés sur des potentialités inexistant au Maroc ou il ne peut pas être concurrentiel. Il faut rappeler que durant les années 60-70 où la demande touristique se basait sur le balnéaire, le Maroc n'a pas mis les dispositions nécessaires pour profiter de l'aubaine touristique de cette période.
Actuellement, la demande touristique a changé vers des produits dont le Maroc peut bénéficier car il dispose d'un potentiel important.
A ceci s'ajoute la mauvaise exploitation des sites touristique et j'ose dire qu'ils sont entrain d'être consommés et dégradés. Je crains de voir un jour les plus beaux sites et espaces touristiques du Maroc (dans le désert ou dans les montagnes) perdre à jamais leur charme et leur attraction.
Plusieurs études ont mis l'accent sur la contribution du tourisme rural dans le développement local surtout dans le désert et la montagne. L'expérience réussie du projet PHAC le prouve, elle doit être généralisée dans les autres massifs. Ce secteur a permis à plusieurs familles et des villages en milieu rural d'avoir des entrées financières importantes et ceci face au déclin du système de production agricole. Mais, le secteur souffre de deux problèmes majeurs : d'abord le manque d'organisation qui se traduit par l'inégalité des profits générés : Les grandes agences et les tours opérateurs profitent à plus de 75% par rapport aux acteurs locaux du milieu rural qui pratiquent des activités peu rentables (porteurs, chameliers, muletiers et hébergement). Le deuxième problème réside dans la faible valorisation de la culture locale dans les prestations touristiques. Les touristes étrangers en milieu rural marocain consomment les mêmes produits touristiques et ce dans l'ensemble du pays. Par exemple, la restauration ou l'animation ou même l'hébergement se basent dans l'ensemble du milieu marocain sur les mêmes présentations ; pour l'herbagement, le gîte est pratiqué partout, pour la restauration les mêmes repas connus dans les villes sont offerts au touriste en milieu rural. Cette faible présence des cultures locales dans le tourisme rural est un handicap au développement local. Nous avons essayé de traiter cette dualité tourisme rural –développement local dans un ouvrage édité en 2010 par l'Harmattan et qui s'intitule le Maroc, Tourisme et développement local.
Quel est le rôle de la variable linguistique dans le développement rural ?
En parlant de la variable linguistique, le Maroc est marqué par l'existence de deux espaces linguistiques (amazighe et arabe). Les études faites à ce niveau démontrent que l'amazighe est une langue maternelle, fonctionnelle et utilisée par une grande partie de la société marocaine. Le marocain parlant l'amazighe, en majorité en milieu rural, enregistre des taux d'analphabétisme les plus élevés au Maroc surtout pour les femmes.
Dans certaines communes du Rif et du Haut-atlas, le taux des femmes analphabètes dépasse 95%. Cette situation est contradictoire avec le processus de développement humain entrepris par le Maroc. Même pour les projets de développement local basés sur les AGR Activité Génératrice de Revenu, comme les coopérative d'argan ou de tissage, les bénéficiaires sont confrontées à ce fléau lorsqu'il s'agit de la commercialisation de leurs produits. Ainsi les efforts de l'Etat, plus précisément des départements chargés de la mise en œuvre des projets de développement risque d'être perdu à cause des problèmes liés à l'éducation nationale et la lutte contre l'analphabétisme. La lutte contre l'analphabétisme du monde rural est un devoir à assumer avec responsabilité par les acteurs publics et associatifs pour mieux contribuer au développement humain
Votre dernier mot
Il est temps de concevoir des politiques de développement régional selon les spécificités naturelles, économiques et culturelles de chaque région. Certaines régions rurales, comme les montagnes et les oasis, et dont les flux migratoires risques de les vider, sont prioritaires et exigent des programmes de développement spécifique. Mais nous sommes optimistes, il y a des indices que le Maroc est sur le bon chemin.
Portrait
Aachak Sakkou, le poète
Il serait né en 1924, à Ighrem n Igwelmimen (Goulmima – Errachidia), a mené une vie agitée, riche et en perpetuelle mutation. Il nous a quitté, sans préavis aucun, le 7/12/2006. Sakkou, Bahmamma pour certains, Aachaq pour d'autres. Son décès sonne le glas d'une époque, d'un mode de vie, du rôle de l'aède au sein de sa communauté. Sakkou n'est plus. Sa mort nous laisse orphelins. Inimitable, conviviale, intransigeant, sans complaisance, provocateur, orateur et poète, il a vécu sa vie en homme libre. Un amazighe debout. Qui tient à sa liberté jusqu'à l'anarchie. Un poète né.
Lui rendre hommage en quelques lignes sera lacunaire. Tant sa vie se confond avec sa poésie. Un éternel rebelle. Turbulant. Qui refuse de céder. Egal à lui même. Un souffle épique qui nous vient des temps lointains pour réchauffer nos jours monotones et blasés. Une force créatrice à l'oeuvre. Un monument de la poésie amazighe du Sud Est. Une institution poétique qui sert de repère.
Sakkou n'est pas un amdyaz. Il ne vit pas de sa poésie. Il versifie par bonheur, par devoir et par fatalité. Il a assumé pleinement, et à sa façon, son rôle de gardien des valeurs et de visionnaire.
Sa poésie épouse un siècle. Elle cristallise la mémore de la communauté, de la région et du peuple. Il n'aime ni la veulerie, ni la docilité ni le ventreplatisme. Aux antipodes du “politiquement correct”, bousculant les protocoles surannés, les discours de bois, il dit la vérité toute nue. En quête du nouveau, sa création s'adapte, innove, déstabilise. Un eternel “agitateur” qui mène une révolte continue. Un poète dont les similitudes sont à chercher chez Hugo, Beaudelaire, Kateb Yacine, Muhend u Mhend ou Khaïr-Eddine.
Sakkou est un poète immergé dans les entrailles de sa communauté et de son peuple. Il en dit la souffrance et la joie. Il a résisté à un système castrateur de liberté. Il a choisi la dignité contre les artifices superficiels qu'offre une vie de compromissions et de repos. Il est resté “aérien”, tel un aigle qui refuse de partager sa nourriture avec la volaille.
Sa poésie est à l'image de sa vie, de la vie tout simplement. Elle multiplie les images icônoclates et corrosives. Exploite les sources inépuisables et renouvelables d'une imagination débridée, en quête d'images insolites et suggestives. Il fustige l'hypocrisie de la politique et la cessité des hommes qui la font. Il a su sonder les arcanes de toute forme de pouvoir, qui ne peut être qu'arbiraire. Sakkou restera dans nos coeurs. Il restera comme conscience et comme voix qui résonne pour nous rappeler notre inscriptiondan dans une civilisation, des valeurs à l'épreuve du temps. Et des contingences métaphysiques.
Sakkou n'est pas un poète comme les autres. C'est un aède qui a produit une poésie qui bouscule, une poésie qui nous arrache les masques, secoue nos certitudes, pose des interrogations sur notre devenir en tant que peuple et nation martyrisés. C'est une poésie qui nous éclabousse, qui traque notre conscience et l'empêche de se complaire dans les discours salvateurs d'une mémoire devenue refuge, une mémoire qui se nourrit d'un passé de gloire pour transcender une réalité faite d'angoisses et d'incertitudes.
Par : Moha Moukhlis
Publication de l'ICRAM
La nouvelle grammaire de l'amazighe
Le processus de la standardisation de la langue amazighe (berbère) a été initié et entrepris, avec une démarche progressive, par l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), qui en a fait une action majeure relevant de ses diverses prérogatives. Dans la même foulée, et depuis 2003, la langue amazighe a intégré le système éducatif marocain. Elle est enseignée dans les classes du primaire des différentes écoles du territoire marocain, en perspective d'une généralisation graduelle aux niveaux scolaires (progression annuelle de niveau à niveau) et de l'extension à de nouvelles écoles.
Enseigner l'amazighe implique, outre la formation des formateurs en cette langue, l'élaboration d'outils et supports pédagogiques à l'usage de l'élève et de l'enseignant, notamment une grammaire, élément de base indispensable à toute activité pédagogique, et sans lequel une langue ne peut prétendre convenablement à l'enseignement.
Mettre au point la grammaire d'une langue n'est pas chose aisée. Certes, toute langue, qu'elle soit écrite ou à tradition orale, dispose d'une grammaire, laquelle, dans le premier cas est explicite et, dans le second, elle est tout simplement implicite; et la tâche du grammairien consiste alors à rendre explicites les règles qui sous-tendent l'usage de la langue. Et c'est dans ce dernier cas que s'inscrit l'amazighe.
Depuis au moins deux siècles, l'amazighe dispose de plusieurs grammaires et de fragments de grammaires, variables du point de vue conception, méthode, approche et présentation, en fonction des objectifs qui leur sont assignés et du public auquel elles sont destinées. Elles s'accordent néanmoins sur un fonds commun qui se ramène aux constituants principaux de la langue, dont le fonctionnement témoigne de l'unité profonde de la langue amazighe, attestée sous diverses variétés régionales. En outre, les trois dernières décennies du siècle dernier ont vu paraître nombre d'études et de recherches portant sur différents aspects de la grammaire de l'amazighe, au sens large du terme, lesquelles se ressourcent, à des degrés variés, des apports des théories linguistiques modernes. La caractéristique fondamentale des grammaires élaborées à nos jours est sans nul doute le fait qu'elles portent souvent sur une seule variété de la langue ou, dans le meilleur des cas, sur un dialecte décliné en un ensemble de parlers relativement voisins.
La présente grammaire se veut générale, en ce sens qu'elle a pour principal objectif de fixer, voire d'expliciter le fonctionnement de l'amazighe conçu dans son unité foncière. Il ne s'agit donc pas de la grammaire particulière d'une variété (parler ou dialecte), mais plutôt de la grammaire de l'amazighe marocain. C'est là que réside l'originalité de cet ouvrage, mais en même temps sa difficulté. En somme, cette grammaire s'inscrit dans le projet à terme de l'amazighe standard en instance de réalisation progressive, lequel sera doté d'une grammaire et d'un dictionnaire de référence, à même de fixer les usages grammaticaux et lexicaux de la langue. Quant au système d'écriture, il est d'ores et déjà mis au point, et une norme graphique et orthographique est en vigueur dans les manuels tifawin a tamazivt [Tifawin a tamazivt], élaborés par l'IRCAM, en collaboration avec le Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Formation des Cadres.
Procéder à l'élaboration d'une grammaire commune de l'amazighe, dans la perspective d'une langue unifiée, est une entreprise somme toute hasardeuse. En effet, le problème épineux auquel on se heurte est celui de la variation. Il va sans conteste que l'unité de la langue amazighe est une évidence. Elle a été mise en exergue depuis les débuts du siècle dernier. Le niveau morphosyntaxique est par excellence celui où elle est le plus manifeste. Il n'en demeure pas moins que la variation est une réalité, et une approche adéquate, basée sur des principes pertinents, s'avère nécessaire et incontournable. Aussi a-t-il été retenu les principes suivants :
• viser l'unité de la langue : on retient comme outils ou morphèmes fondamentaux ce qui est commun aux différentes variétés ou ce qui est le plus fréquent ;
• sauvegarder la richesse de la langue au niveau des outils grammaticaux, mais aussi au niveau des structures. Une même idée pourrait être exprimée par différents moyens grammaticaux et par diverses tournures. Ce qui explique la présence, parfois, de plusieurs morphèmes pour exprimer ou traduire la même notion (interrogation, négation, mise en relief, expression du temps…). A titre d'exemple, l'interrogation totale peut s'obtenir soit par l'emploi de is, soit par celui de ma.
• laisser une place à la variation : elle est source de richesse linguistique, et pourra être exploitée à des fins stylistiques. L'usage à long terme pourrait instaurer des emplois particuliers reflétant soit le niveau de langue, soit l'expression de nuances sémantiques spécifiques, etc. La présente grammaire est destinée initialement aux enseignants ; car elle est conçue comme un outil d'accompagnement de l'enseignement de l'amazighe à l'école marocaine. Mais elle est également destinée à toute personne qui s'intéresse à l'amazighe, soit comme objet d'apprentissage, soit comme objet d'étude. C'est pourquoi la présentation des éléments qui la composent procède d'une démarche qui va du plus simple au plus complexe ; mais également avec une hiérarchisation des différentes composantes de la grammaire : les sons et les phonèmes suivis du système d'écriture, la morphologie et la syntaxe. Au niveau de chaque chapitre, la même démarche de présentation est dans l'ensemble adoptée : l'inventaire des outils grammaticaux, leurs caractéristiques morphosyntaxiques, leur classement s'il y a lieu.
Les exemples constituent un élément important dans une grammaire, quelle qu'en soient la nature et la visée. Ce sont eux qui donnent corps à une règle grammaticale. C'est pourquoi leur choix n'est pas facile, et il est régi par l'objectif assigné initialement à la grammaire. Etant donné les principes déclinés ci-dessus, et vu l'objectif pédagogique de cette grammaire, les exemples choisis relèvent souvent de l'amazighe commun. Quand la variation est pertinente, différents exemples sont livrés pour illustrer le même phénomène grammatical, en veillant à l'introduction, également, d'une variation lexicale ; le but étant ainsi la sensibilisation à la richesse de la langue à différents niveaux.
Cette grammaire se veut une grammaire pédagogique et non un ouvrage de recherche ; bien qu'un chercheur puisse y trouver différents éléments d'information touchant tous les constituants de la langue, dont le comportement linguistique de certains fait référence à la problématique générale de la langue.
On a veillé aussi à ce que cette grammaire soit aussi claire que facile. C'est pourquoi une terminologie courante y est utilisée. On signale, quand il est jugé utile de le faire, la terminologie en usage dans la tradition amazighisante. Il est ainsi écarté tout ce qui est très marqué ou qui a une signification spécifique dans une théorie linguistique donnée et qui risquerait d'induire des confusions chez le lecteur.
En mettant cette grammaire à la disposition des enseignants, et de toute personne intéressée par l'apprentissage ou l'étude de l'amazighe, nous souhaitons avoir comblé une grande lacune dans les outils pédagogiques d'accompagnement de l'enseignement de la langue et avoir tracé les grands jalons d'une grammaire de référence de l'amazighe standard.
Brèves
Transitivité et diathèse en tarifite
Kaddour Cadi (1952-1995), Docteur d'Etat en linguistique amazighe de l'Université de la Sorbonne (Paris III, 1990), Docteur de Troisième cycle de la même université (1979), fut enseignant-chercheur à l'Université Sidi Mohammed Ben Abdallah à Fès de 1977 à 1995. Outre ses nombreuses recherches et publications sur la langue et la culture amazighes, Kaddour Cadi était un valeureux militant engagé pour la défense et l'illustration de l'amazighe, notamment par l'action associative.
Le présent ouvrage, qui inaugure la série « Thèses et Mémoires » publiée par l'IRCAM, s'inscrit dans la lignée des recherches académiques dédiées à la langue amazighe durant les trois dernières décennies du vingtième siècle. Il apporte ainsi une contribution fort significative au développement de la linguistique et de la dialectologie amazighes. L'étude qui y est livrée sur les questions épineuses de l'aspect, de la diathèse et de la transitivité en amazighe, est menée dans la perspective des sciences du langage dans sa dimension universelle. Par le biais de l'analyse du microsystème du tarifite, elle met en évidence, au travers de la variation dialectale, l'unité profonde de la syntaxe amazighe.
Standardisation de l'amazighe
Cet ouvrage réunit les actes du premier séminaire organisé par le Centre de l'Aménagement Linguistique (IRCAM) sur la standardisation de l'amazighe, les 8 et 9 décembre 2003, à Rabat. Les textes publiés abordent la problématique de la standardisation de cette langue sous différents angles.
Ils traitent de la stratégie de l'aménagement linguistique de l'amazighe et les problèmes qu'elle pose au niveau de l'écriture grammaticale, de la morphologie, de la syntaxe, du système vocalique et du lexique. Sont également traitées dans ce livre les questions relatives à l'alphabet tifinaghe-IRCAM et à la néologie amazighe. Une tendance générale se dégage des différentes interventions : la standardisation de l'amazighe devra se faire selon une approche convergente, progressive et rationnelle.
La qualité scientifique des textes rassemblés dans cet ouvrage font que cette publication constitue une contribution importante dans le domaine de la recherche linguistique amazighe, d'autant plus qu'elle apporte des réponses aux interrogations que pose l'unification de la langue amazighe ; langue appelée à relever les défis de son institutionnalisation et de son intégration dans le système éducatif national.


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