«Le rêve chemine linéairement, oubliant son chemin en courant. La rêverie travaille en étoile. Elle revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons», écrivait Gaston Bachelard dans La psychanalyse du feu. Il est des œuvres qui nous transcendent, nous impressionnent, nous interpellent, nous fascinent et nous transportent à d'autres cieux plus vastes, plus ouverts et créatifs. Les toiles à la fois transparentes et énigmatiques de Aziz Sayed en font partie. À Salé, cet artiste peintre discret nous a reçus dans son atelier peuplé de couleurs, de lumières. C'était une belle après midi lumineuse hivernale. À mi-chemin entre figuration et abstraction, Aziz Sayed peint des portraits de femmes, mais aussi d'hommes avec une maîtrise technique et une esthétique sensible, fine et puissante. Son expérience artistique en Pologne y est pour quelque chose dans son style et empreinte singuliers. Très jeune, dans un lycée à Kenitra, cet artiste originaire de l'oriental marocain a développé une passion pour le dessin et la peinture. «À l'époque, M. Santos, sculpteur et peintre et qui enseignait le dessin, nous a initié à cet art. Il me montrait comment travailler une sculpture de boue ; une expérience impressionnante que j'avais entamée avec ami feu Hamid El Mouden en cherchant une boue spéciale dans l'oued de Sebou pour réaliser des statues.», nous confie l'artiste peintre. La vie est ainsi faite ; de rencontre, d'aventure, de voyage et de quête... Après des études à Kenitra, l'artiste a eu une bourse en Pologne pour y étudier. Un nouveau chapitre de sa vie commença ainsi... «En 1967, je suis allé pour faire de cinéma en Pologne. On était cinq marocains qui sont partis pour faire du cinéma, entre autres, Abdelkader Lagtaâ, Driss Karim. Mais, au final, je me suis spécialisé dans la synographie et le décor.», a-t-il affirmé. L'œuvre de Aziz Sayed est connue notamment par sa forte harmonie des lignes, des traits, des formes, des couleurs, des lumières, des mouvements graphiques. L'Homme et sa condition sont au centre de l'œuvre de l'artiste. D'où son travail profond, mystique et esthétique sur le corps humain. Dans son œuvre, il y a une espèce de dramaturgie des corps, des blessures et des rêves dépoilés. «Auparavant, je travaillais sur le corps masculin, mais sans visage. Ce qui m'intéressait le plus, c'était le corps dans son mouvement. Aujourd'hui, je travaille sur le corps féminin. À vrai dire, ce qui est important pour moi, c'est le corps humain. Il est universel !», a-t-il révélé. Pour l'artiste, le corps est une forme, mais il faudrait dire qu'il y a une touche spirituelle, chorégraphique, harmonieuse, rythmée et dynamique dans son travail. C'est cette mouvance onirique dans l'œuvre qui fait la particularité de son style. «J'intègre d'autres formes comme des oiseaux, des chats, des animaux ou d'autres éléments du patrimoine, de la nature morte qui meublent esthétiquement la toile. Or, il faut que la composition soit harmonieuse. L'architecture de toile est bien faite», poursuit-il. La touche fine de Aziz Sayed apporte une certaine poésie à la toile. Des corps sublimes, sublimés, dévoilés avec pudeur, une poétique du langage plastique, des métaphores picturales, une douce rêverie, sa peinture fait rêver et ses créations sont là pour le plaisir de l'œil et de l'âme. «Je suis très minutieux dans mon travail. Il faut que la toile soit bien soignée et bien travaillée avec beaucoup de finesse et de maîtrise picturale». Des portraits rêveurs, perplexes, légers, fragiles, l'univers fantastique de l'artiste, où la femme est dans toute sa splendeur et ses différentes allures et situations, est une invitation au voyage dans le temps et dans l'espace. Toutefois, le secret demeure dans la couleur, dans la quête de la lumière. «La première couleur que je mets sur la toile m'en inspire d'autres qui viennent en peignant», a-t-il fait savoir. Dans chaque couche de couleurs, l'artiste cherche ces lumières célestes se dégageant de la toile. Il faut le redire, il y a une touche mystique dans l'œuvre de l'artiste. «Je m'inspire des cultures arabe et perse. Chaque couleur doit être à sa place et qui pourrait dialoguer en toute symbiose avec les autres couleurs parce que dans une toile, il faut chercher les dégradés et les nuances», poursuit-il. Pour Aziz Sayed, la quête de la lumière est indispensable. «Il faut mon tableau soit lumineux», conclut-il. Aziz Sayed a travaillé pendant 32 ans à la télévision marocaine. Ses œuvres ont fait le tour des musées et des galeries d'ici et d'ailleurs.