Emmanuel Macron a reçu mercredi Olaf Scholz pour tenter de relancer un tandem franco-allemand à la peine, plombé par une série de différends allant de l'énergie à la défense, sur fond de guerre en Ukraine. Le président français a accueilli le chancelier allemand sur le perron de l'Elysée, les deux hommes souriant pour les caméras. Ce déjeuner à Paris atteste d'une « amitié bien vivante » qui a permis des « progrès magistraux » sur la scène européenne ces derniers mois, a estimé le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran, tout en reconnaissant qu'il fallait maintenant « franchir des difficultés ». « Quand les priorités d'un pays » ne « convergent pas forcément avec les priorités de l'autre », « la force du couple franco-allemand c'est d'être toujours capable de s'entendre et de tirer l'ensemble de l'Europe vers le haut », a-il ajouté. « Ce moteur franco-allemand, nous comptons bien continuer de le faire vivre », a insisté le porte-parole. Une ambition qui masque mal les divergences parfois béantes entre les deux premières puissances européennes, qui ont conduit au report de plusieurs semaines d'un conseil des ministres franco-allemand, le premier d'Olaf Scholz, programmé ce même jour près de Paris. Signe du malaise? La visite parisienne du chancelier ne doit donner lieu à aucune déclaration des deux dirigeants. Sur la stratégie à adopter face à la flambée des prix énergétiques, le nucléaire, l'armement européen, rien ne semble plus aller entre Paris et Berlin. De quoi inquiéter en Europe, où le moteur franco-allemand reste une force d'entraînement majeure. « Le couple franco-allemand diverge, il est donc paralysé », s'alarme l'ex-Premier ministre français Dominique de Villepin. « Nous ne pouvons pas nous permettre dans ce moment de l'Histoire de ne pas avoir une Europe unie et forte. Ça commence par un dialogue franco-allemand fructueux », a-t-il averti vendredi sur France Inter. Les différends – notamment sur plusieurs projets industriels communs, de l'avion de combat au char du futur – se sont aggravés depuis le début de l'offensive russe en Ukraine. L'Allemagne, parmi les plus touchés en raison de sa dépendance au gaz russe, a entrepris « un changement de modèle dont il ne faut pas sous-estimer le caractère déstabilisateur », analyse Emmanuel Macron. Le chancelier Scholz a annoncé un plan d'aide de 200 milliards aux particuliers et aux entreprises face à l'envolée des prix, notamment du gaz après les coupures de livraisons imposées par la Russie. Ce plan, déroulé sans concertation avec ses partenaires européens, a provoqué une vive incompréhension et des craintes de distorsion de concurrence en Europe. Après des décennies de sous-investissement, l'Allemagne a aussi opéré un virage à 180 degrés en matière de défense afin de faire de son armée « la force la mieux équipée d'Europe ». Là aussi sans forcément oeuvrer au renforcement de l'autonomie stratégique européenne prôné par Paris, et encore moins à celui de la coopération militaro-industrielle franco-allemande. Berlin promeut ainsi un projet de bouclier anti-missile européen, avec notamment une composante israélienne, concurrent de celui de Paris et Rome. Pour nombre d'observateurs, cette panne est inhérente à toute relation où s'entremêlent ambitions européennes et intérêts nationaux, mais pas forcément rédhibitoire. « La réalité, c'est que c'est un mariage de nécessité », souligne une source diplomatique française. « Ce n'est pas une crise fondamentale, c'est un bas de la relation », ajoute-t-elle. « Macron et Merkel échangeaient des SMS tous les jours. Là, je ne crois pas qu'ils se parlent tous les jours », relève-t-elle encore. Sur l'Europe, les deux dirigeants ont « pas mal de convergences », même si le chancelier a peu parlé de la France dans son discours de Prague sur l'Union européenne fin août, souligne-t-on à Paris. Olaf Scholz s'était alors engagé à soutenir un élargissement de l'Union européenne vers l'Est et une UE à « 30 ou 36 membres », une approche beaucoup plus volontariste que celle de la France. A Berlin, on préfère relativiser. « La France est notre allié le plus proche. Ces derniers jours, il y a eu beaucoup de spéculations, mais je pense que beaucoup de choses ont été inventées de toutes pièces », considère un porte-parole du gouvernement allemand. A Bruxelles, on veut y croire aussi. « J'ai confiance dans la détermination à la fois du président français et du chancelier allemand » à « travailler ensemble », a assuré le président du Conseil européen, Charles Michel.