Nabil EL BOUSAADI Si ce vendredi 24 Juin 2022 est une journée historique aux Etats-Unis, elle est, pourtant, aux yeux d'un grand nombre d'américains épris de liberté, une date à marquer d'une pierre noire dans l'Histoire du pays dès lors que la Cour Suprême a enterré, ce jour, l'arrêt « Roe vs Wade » qui, depuis près d'un demi-siècle, garantissait le droit des américaines à avorter en faisant de l'Interruption Volontaire de Grossesse un droit protégé par la Constitution. Bien que ne rendant pas illégal l'avortement, la décision prise par la plus haute juridiction américaine renvoie, désormais, le pays à la situation qui était en vigueur avant l'arrêt emblématique précité qui, le 22 Janvier 1973, avait retiré à chaque Etat la liberté d'autoriser ou d'interdire l'interruption volontaire de grossesse et en avait fait un droit constitutionnel. Pour en revenir à l'origine de cet arrêt, il faut remonter à l'année 1969 quand une jeune américaine de 22 ans, Norma McCorvey, dont le pseudonyme restera « Jane Roe » pour la postérité, enceinte pour la troisième fois, avait souhaité mettre un terme à sa grossesse. Mais, à cette époque, chaque Etat américain était libre d'interdire ou d'autoriser l'avortement et au Texas, où vivait l'intéressée, l'IVG n'était autorisé que lorsque la vie de la mère était en danger. Deux avocates, Linda Coffee et Sarah Weddington, qui remettaient en cause la législation sur l'avortement au Texas, voleront alors au secours de la jeune femme enceinte et introduiront une procédure juridique contre Henry Wade, le procureur du district de Dallas où vivait leur cliente. En soulevant, dans leur plaidoirie, la question de la constitutionnalité des lois du Texas sur l'IVG, les deux avocates avaient affirmé que cette législation empiète sur le droit au respect de la vie privée qui est protégé par la Constitution. C'est alors qu'avait commencé cette bien longue procédure juridique qui ne prendra fin que le 22 Janvier 1973 lorsque, par 7 voix contre 2, les juges de la Cour Suprême américaine donnèrent raison à Norma McCorvey au motif que « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14ème amendement de la Constitution [...] est suffisamment vaste pour s'appliquer à la décision d'une femme de mettre fin ou non à sa grossesse ». Ainsi, après que cette décision ait fait jurisprudence pendant près d'un demi-siècle en s'appliquant sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis, voilà qu'aujourd'hui sa révocation renvoie le pays à la situation d'avant 1973. Cette décision n'étant pas pour plaire à de nombreux américains, Joe Biden qui dénonça, immédiatement, « une erreur tragique (qui) met la santé et la vie des femmes en danger » a appelé les américains à défendre le droit à l'avortement lors des élections de mi-mandat en Novembre. Alors que les cliniques du Missouri, du Dakota du sud et de Géorgie ont commencé à fermer leurs portes aux patientes réclamant une IVG, des Etats démocrates comme la Californie et l'Etat de New York, se sont engagés, pour leur part, à défendre l'accès à l'Interruption Volontaire de Grossesse sur leur territoire. Or, même si elle était attendue, dès lors que l'avant-projet y afférent avait fuité dès le mois de mai, la décision prise, ce vendredi, par la Cour Suprême des Etats-Unis a fait descendre, dans les rue de nombreuses villes du pays et principalement aux abords du bâtiment de la plus haute juridiction américaine à Washington, des milliers de personnes à l'effet de manifester leur joie ou leur tristesse. « J'ai prié pour cela. Les gens doivent comprendre que cela ne met pas fin à l'avortement, cela rend simplement le pouvoir aux Etats qui peuvent faire leurs propres lois » s'est écrié la députée trumpiste Marjorie Taylor Greene pour laquelle la décision prise par la Cour Suprême américaine est une « bénédiction ». La décision prise par la Cour Suprême des Etats-Unis a provoqué des réactions bien au-delà des frontières américaines puisque le Premier ministre britannique Boris Johnson qui a « toujours cru au droit des femmes de choisir » a dénoncé « un retour en arrière » et qu'en exprimant sa « solidarité avec les femmes dont les libertés sont aujourd'hui remises en cause par les Etats-Unis », le président français Emmanuel Macron estime qu' « il faut protéger » le droit à l'avortement dès lors qu'il « est un droit fondamental pour toutes les femmes » Autant dire que la révocation de l'arrêt « Roe vs Wade » va couper le pays en deux en un moment où le nombre d'avortements est en hausse et que les démocrates vont, sans nul doute, tenter de court-circuiter la décision prise par la Cour Suprême des Etats-Unis en faisant passer des lois fédérales garantissant le droit à l'avortement. En considérant, enfin, que cela n'est pas acquis car bien que les républicains soient en minorité, ils sont encore en mesure de les bloquer, attendons pour voir.... Nabil EL BOUSAADI