''Le monde d'Ibrahim'' de Mustapha Guiliz : Driss Korchi Le roman-récit ''Le monde d'Ibrahim'' de Mustapha Guiliz est un univers exceptionnel qui frappe de stupéfaction dès le seuil d'entrée de lecture en nous envoyant dans une période à la veille de l'indépendance du Maroc. Que c'est étrange d'imaginer un père et son fils passait la nuit dans un cimetière et monter la garde contre des voleurs extravagants dont le seul caprice est de dénuder un mort de son suaire. Un décor nocturne est à la longue surréaliste avec un chien famélique et un âne frileux. Mais entre les lignes, on peut frôler dans le cœur et du père et de son fils un désir irrésistible d'aller jusqu'à la demeure de leur bien-aimée ne serait-ce qu'une dernière nuit passée auprès d'elle comme un dernier adieu, peut-être afin de la soutenir dans son passage à l'outre-monde et intercéder en sa faveur dans cette première nuit d'épreuve. L'histoire est un voyage auquel Ibrahim nous convie et dont l'auteur est le médiateur-éclaireur. Une invitation au voyage, non à la manière de Baudelaire, mais à la manière d'un enfant qui exhorte de le suivre avec insistance jusqu'à ce qu'on se sente entraîner dans les arcanes de sa vie. Bien sûr, Mr Guiliz avec une plume diserte et luxuriante tellement qu'on peut ressentir une fluidité et une aisance dans la description. Le style est tantôt truculent et tantôt magnifiquement amusant. On peut pressentir également un besoin de s'extérioriser et de partager et on n'a cure de résister à suivre les traces de ses passages jalonnés çà et là comme dans la petite histoire de « Le petit Poucet » surtout quand il parle de la forêt monde touffu où l'on peut bel et bien tomber dans cette analogie avec la loi de la jungle, ou encore en sortir avec un ressenti champêtre. La forêt est un lieu de séduction et un lieu d'échappatoire aussi bien celle qui borde son village que celle en Vietnam où Ibrahim allait décharger ce besoin de combattre le mal et la déception qui le travaillent en s'engageant dans l'armée coloniale. Bien sûr, depuis son enfance Ibrahim sentait le vide le tarauder et qu'aucune femme n'a pu combler, un vide causé par la perte de sa mère. Ni sa tante qui s'est combattue avec bravoure et méchanceté pour l'élever ni les femmes qui l'entouraient d'amour et d'attention ne pouvaient en constituer un équilibre sentimental. Ibrahim est un personnage problématique insatisfait jusqu'à la démesure. Même Chi la femme vietnamienne qui l'a soigné dans les camps de guerre et qui l'a suivi jusqu'à son village au Maroc, finit par le quitter. Malgré son amour généreux, Chi fuit pour le laisser dans une hésitation intempestive et spleeneuse qui l'imprégnait. Ce n'est qu'après avoir rencontré Aida qu'il se sent en harmonie avec lui-même. Mais sa mort entraine la sienne et voilà que le décor du roman finit par quoi il a commencé avec un rideau noir et sinistre. Notre romancier a excellé aussi bien dans la structure du roman que dans les différentes péripéties. Seule sa lecture peut permettre de bien l'étreindre. Doté de qualités rares ou en voie disparition sur la scène culturelle, la sincérité et l'authenticité, il s'engage à nous narrer, avec impartialité et loin de toute tendance borgnesse, une histoire extraordinaire.