Par Imane Brougi (MAP) A côté du vaccin/panacée que les Marocains attendent comme une délivrance, le besoin se fait sentir pour un autre vaccin, pas moins vital: l'information de bonne source qui, à elle seule, peut mettre fin à l'épidémie des Fake news, aux thèses conspirationnistes et autres fausses idées qui cultivent le doute et la peur. Les autorités pourront-elles réussir ce pari ? En attendant, et en l'absence d'une stratégie de communication efficiente, les rumeurs vont bon train et les vaccino-sceptiques prennent le relais. Se faire vacciner ou non ? Telle est la question qui revient sur les lèvres d'une partie de Marocains dernièrement. Après plusieurs mois de suspense et de panique qui s'est répandue encore plus vite que le virus, un vaccin contre le Covid-19, ce remède miracle tant attendu par la planète entière, est finalement mis sur le marché. Mais cette lueur d'espoir d'en finir une fois pour toutes avec cette pandémie, qui hante les esprits et continue d'alourdir, chaque jour, le bilan des morts et des contaminés, s'est vite transformée en une source d'inquiétude et de crainte pour certains citoyens qui ne cachent pas leur méfiance vis-à-vis de ce vaccin, sa pertinence et ses éventuels effets secondaires. « Ce vaccin est conçu pour nous manipuler », « ils veulent nous contrôler », « nos gènes seront modifiées à cause de ce vaccin », ect. Tant de soupçons de manipulation, de fausses informations et de théories complotistes ont vu le jour alors même que les projets de recherches de vaccins anti-Covid étaient encore à un stade embryonnaire. Véhiculées principalement sur les réseaux sociaux sans aucune source vérifiée ou base scientifique, ces idées ont contribué largement à attiser la peur, augmenter la méfiance envers la vaccination et mettre en péril l'efficacité de cette entreprise scientifique, en divisant l'opinion publique entre opposants et partisans. Alors comment peut-on expliquer cette réticence à l'idée de se faire vacciner ? Le vaccin, une matière alléchante pour les fake news Les fake news surfent sur la peur de l'inconnu. Le Covid-19 est une nouvelle maladie et les découvertes au sujet du virus sont toujours en cours, ce qui perturbe les gens et les pousse à croire à tout ce qui circule sur le net. Selon une étude établie par la revue britannique Royal Society Open Science, une part considérable de la population mondiale croit à de fausses informations et à des théories complotistes sur le Covid-19, ce qui augmente la méfiance envers la vaccination. L'étude a ainsi démontré que plusieurs pensent qu'il existe un lien clair entre le fait de croire à des théories conspirationnistes et la méfiance vis-à-vis d'un futur vaccin. De l'avis du professeur universitaire et chercheur en sociologie, Ahmed Al Moutamassik, le citoyen ne dénigre pas le vaccin à proprement dire, mais il est angoissé et il a peur, car on a déjà cultivé la peur vis-à-vis du Covid. « C'est une histoire de communication crédible et d'information fiable », estime-t-il. « Le citoyen marocain est laissé à la merci de la désinformation à l'ère des fake news. Il faut vérifier toute information pour ne pas être une cible facile de la manipulation. En l'absence d'une information crédible, c'est la désinformation et la rumeur qui fonctionnent », indique-t-il à BAB. Selon ce spécialiste en sociologie, le Marocain est fragilisé par la saturation en information. « Qui dit saturation dit désinformation, laquelle se manifeste par des gens qui s'expriment librement sur les réseaux sociaux et se présentent comme étant des professeurs et des spécialistes, sans donner les moyens de vérifier l'information », dit-il. Et d'expliquer: « En psychologie, quand le coup est trop dur comme c'est le cas avec cette pandémie, les individus développent une attitude de refus de la réalité, vécue comme une chose inacceptable: c'est ce qu'on appelle ‘le système de déni' qui se veut un mécanisme de défense pour dire que cette chose n'existe carrément pas, et c'est justement le propre de la théorie du complot avancée par certains ». « Les gens sont en train de mourir, l'économie est en crise et on parle de complot ! Au lieu de s'attarder sur ces théories il faut agir et bouger pour sauver les vies ! », martèle-t-il. D'après ce chercheur, quels que soient les motifs de ce scepticisme, on est appelé à agir en urgence et le vaccin se présente comme le seul moyen efficace pour mettre fin à ce virus. En ces temps de crise, le citoyen se trouve dans une situation appelée en psychologie « la double contrainte » (double bind), ce qui explique cette confusion et cette méfiance vis-à-vis de l'opération de vaccination, note-t-il. Une crise communicationnelle qui suscite les soupçons Les anti-vaccins ont bien profité du manque de communication autour de ce vaccin mystérieux au sujet duquel circulent peu d'informations, ce qui a laissé place au doute et à l'incertitude. Selon le chercheur Al Mouatamassik, de ce point de vue, le Maroc a mal préparé l'arrivée d'un éventuel vaccin. « Il faut communiquer, expliquer à quoi sert ce vaccin, sa composition, ses caractéristiques, ses effets éventuels... c'est ce qu'on appelle la communication de crise c'est-à-dire faire parler la vérité pour faire taire les mensonges et calmer ainsi les esprits », souligne-t-il. Et d'ajouter : « Il faut prendre le citoyen pour un adulte, il est capable de juger et de faire la différence, c'est fondamental ». Le lancement de la campagne de vaccination au Maroc est une décision qui a fait des jaloux au niveau international, mais malheureusement la communication n'était pas au rendez-vous, déplore le sociologue, notant que le vaccin choisi par le Maroc est l'un des plus efficaces selon les spécialistes. Pour lui, l'absence de communication pousse le citoyen à aller s'informer ailleurs. « Nous avons des spécialistes, des compétences pour éclairer l'opinion publique à ce sujet », dit-il, appelant à créer une instance d'information crédible. Cette « médiocrité communicationnelle » risque de nuire aux efforts déployés par le Maroc depuis le déclenchement de la pandémie, et qui lui ont valu d'être cité en exemple à l'international. Les anti-vaccins Vs les pro-vaccins: La bataille des arguments Loin de se limiter au Maroc, le mouvement anti-vaccin est un phénomène international. Il est porté par ces personnes qui mettent en garde contre la sécurité de ce vaccin qui tuerait, selon eux, plus de personnes que le Covid-19 et qui aurait pour seul objectif de « contrôler la population mondiale » puisqu'il s'agit, d'après eux, d' »un produit de laboratoire ». En particulier, les anti-vaccins préviennent contre les effets secondaires des injections. Ils déplorent un manque d'information et mettent en doute les objectifs déclarés de la politique vaccinale. En l'absence de l'information fiable et bien argumentée, le doute gagne de plus en plus de Marocains. Il y a ceux qui sont catégoriques comme Nabil, un cadre dans la trentaine qui refuse radicalement l'idée de se faire vacciner. « On ignore jusqu'à présent les effets secondaires de ce médicament surtout qu'il a été fait dans un temps record. Je ne veux pas être un cobaye », dit-il. Même attitude méfiante chez Amal, une maman de deux filles. « Il ne faut pas se précipiter, l'efficacité de ce vaccin n'est pas encore prouvée. Il faut se méfier des effets secondaires qui peuvent se manifester sur le moyen ou long terme et qui auraient un impact néfaste pas seulement sur nous mais aussi sur les générations futures. On ne peut pas mettre ainsi en jeu nos vies et celles de nos enfants », commente-t-elle. Dans l'autre camp, celui des Marocains enthousiastes à l'idée de se faire vacciner, il y a Younes qui attend la sortie et la généralisation de ce vaccin avec impatience. « Ce virus maudit m'a fait perdre mon père, j'espère que cette page sombre sera tournée le plus tôt possible. Je ne vois aucune raison qui m'empêche de me faire vacciner contre le Covid-19 », juge-t-il. Quant au Hajj Lahcen, un septuagénaire qui fait partie des personnes prioritaires concernées par l'opération de vaccination, il se dit content de pouvoir prochainement bénéficier du vaccin. « Vu mon âge (72 ans) et mon historique de maladies chroniques (je suis diabétique depuis vingt ans), le vaccin sera le moyen le plus efficace pour me protéger contre ce danger imminent. Je suis rassuré », dit-il. De l'avis du professeur Hamza El Hamzaoui, anesthésiste et réanimateur au CHU Mohammed VI de Marrakech, le vaccin demeure la solution sûre pour faire face à cette pandémie et sortir de cette crise, incitant l'ensemble des citoyens à franchir le pas dès qu'ils en auront l'opportunité. « Le vaccin a été déjà testé sur une population de 600 personnes. Au bout de trois mois il n'y a pas eu d'effets secondaires et le produit a prouvé son efficacité sur la souche Sars-Cov-2. Alors arrêtons de répandre la peur et le doute et faisons confiance à la science ! », rassure-t-il dans une déclaration à BAB. « Les Marocains doivent s'estimer heureux. Notre pays a toujours donné l'exemple depuis le déclenchement de cette pandémie, en adoptant des mesures draconiennes, et le fait de faire partie des premiers à disposer du vaccin à l'échelle mondiale confirme cet avant-gardisme », se félicite-t-il. Alors, vaccino-sceptiques, conspirationnistes et autres illuminés, allumez une bougie au lieu de maudire les ténèbres ! Et, avant de vous employer à dénigrer le vaccin, retroussez vos manches et trouvez-nous d'autres solutions pour empêcher ce virus d'emporter nos proches, de bouleverser nos vies et de paralyser notre économie ! Certes, le Maroc n'est ni une superpuissance mondiale ni un géant économique, mais c'est un grand Etat soucieux de la sécurité sanitaire de sa population. Avec ses modestes moyens, il a su faire mieux que plusieurs pays industrialisés. Disposer d'un vaccin en premier doit être une source de fierté, pas de méfiance...