Le concept d'identité est plus complexe qu'on l'imagine. Sa complexité est due à son renoncement d'être arrêté dans une seule définition, ni même à une formule d'ordre logique ou formelle qui refuse à son tour de s'aligner sur le concret. D'autant plus que ce concept, malgré la richesse sémantique et conceptuelle avec laquelle on essaye de le développer, de par sa reconstruction inachevée échappe au fini, réclame d'autres composantes qui ne sont pas prises en compte dans une telle définition ou analyse. C'est un concept exigeant et sociable dans la mesure où l'intensité exige d'autres concepts qui suscitent la différence plus que l'harmonie. On ne peut pas donc parler d'identité sans évoquer l'identique, le différent, et la contradiction. L'identité appelle la personne et la personnalité. L'histoire même qui est en quelque sorte une constituante de l'identité, demeure insuffisante car l'actuel avec tout ce qu'il comporte comme changement écorne la représentation statique de cette identité. Qui plus est, l'identité ne s'attribue pas uniquement à la personne au sens individuel du terme mais aussi à la collectivité. D'où le terme de l'identité collective qui ne doit être perçu qu'en relation avec l'individu, lequel évoque à son tour la complexité du sujet et de l'objet d'une part, le Je et le Nous d'autre part. Bref, autant la notion de l'identité nous impose davantage de clarifications, autant on se sent plus embarrassé à cause d'une omission peut être innocente de certaines composantes essentielles chez les unES, mais secondaires ou complémentaires chez d'autres. Vincent Descombes développe la notion de l'identité sans nous promettre qu'il allait résoudre une problématique où s'interférent plusieurs approches .Outre la richesse des références traitant du concept de l'identité, les embarras de l'identité s'éloigne de la juxtaposition et nous convoque tout au long des deux cent-cinquante-huit pages à assister à un passionnant dialogue entre philosophes, anthropologues, psychosociologues, historiens, linguistes autour de l'identité et ses diverses corrélations. «Qui suis-je?» «Qui sommes-nous?» Ce sont là les deux questions auxquelles Vincent Descombes (1) fait face pour développer son entreprise sociologique et philosophique de l'identité. Peut-on séparer les deux questions ? La réponse est que le questionnement sur le Je nous balise le chemin vers la complexité, voire l'embarras dans lequel nous allons nous retrouver en essayant d'élucider la notion de l'identité tout en nous contentant de définition d'ordre idéal ou métaphysique. Si nous arrêtons la réponse à la première question par une définition qui signifie la mêmeté, je suis ce que je suis : une personne qui porte un nom, un prénom et qui possède une qualité, nous allons tomber dans ce qu'on appelle la tautologie car notre Etre est identique à lui même. Du coup, notre représentation de l'identité devient incapable de transgresser l'ordinaire. Toutefois, la question qui se pose et que l'on formule comme suit: est-ce que ces prédicats attribués à mon identité personnelle suffisent-ils pour identifier ce que je suis?, est l'une des issus à emprunter pour se débarrasser de cette représentation qui renferme l'identité dans une logique d'uniformité consistant à convertir le singulier au pluriel sous prétexte que le Nous, non seulement va nous renvoyer certainement à l'opposé de l'identique, mais aussi il nous prépare à passer de l'identité à l'identitaire. Le Nous évoque la pluralité. Mais cette identité qui nous est attribués en tant que collectivité n'est pas caractérisée par une uniformité non seulement par rapport à nous-même, mais par rapport à d'autres entités dont la différence est le seul critère de notre identité. Cette discrimination entre la mêmeté qui renferme l'identité dans une formule à connotation tautologique et la différence qui enrichit cette notion et lui attribue un sens, je dirais dynamique, Vincent Descombes la résume dans la proposition de Wittgenstein : «Soit dit en passant : Dire de deux choses qu'elles sont identiques est un non-sens, et dire d'une seule chose qu'elle est identique à elle-même, c'est ne rien dire du tout». Pour assigner à l'identité une portée différentielle et lui accorder un sens de pluralité, loin des définitions lexicales, Vincent Descombes considère que la notion de l'identité ne peut être perçue que dans cette interaction qui régit l'individualité dans la société. La recherche menée par Philip Gleason sur l'identité américaine est très significative. Les mutations qu'a connues la société américaine laisse entendre que son identité ne se reconnait plus dans une signification ethnique, mais plutôt dans les valeurs inclusives susceptibles d'harmoniser l'interaction de l'individu avec la société, telles que la liberté, la démocratie. Pour autant, la notion de l'identité dans sa portée essentialiste persiste. Ce qui fait que le débat philosophique sur cette notion s'est enrichi grâce aux antithèses avancées pour traquer la mêmeté et la substituer en un caractère variable contrairement aux propositions selon lesquelles la personne dispose d'une identité invariable voire idéale. C'est l'existence qui détermine l'essence car l'Homme est un devenir et non pas une substance fixe à laquelle on attribue un prédicat métaphysique. La richesse des embarras de l'identité et la densité des références sur laquelle s'est basé ce travail intellectuel fourni par ce grand penseur, nous met dans l'embarras parce qu'il est difficile d'en dégager une conclusion qui prétend cerner définitivement cette problématique. J'avoue qu'une seule lecture de cet intéressant ouvrage est insuffisante pour bien maîtriser ses dessous théoriques. Mon objectif est de présenter à ceux et celles qui travaillent dans le domaine associatif politique et syndical une approche qui leur permet de visionner leurs identités par rapport à d'autres acteurEs. D'ailleurs la première question qui se pose et qui taraude ces acteurEs est d'ordre identitaire : «Qui sommes nous ?». (1.) Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, nrf essais, Gallimard 2013.