De l'enseignement à distance à la distanciation avec l'enseignement Je ne suis expert en rien, et je ne prétends pas donner de leçons encore moins des directives à qui que ce soit; je ne m'exprimerai pas sur tout pour finir par ne rien dire, je me contenterai du domaine dans lequel j'exerce depuis 26 ans, celui de l'enseignement. Bien sûr, ce que j'avancerai n'engage que moi, et libre à chacun de le partager, de le critiquer, de s'en moquer ou de le jeter dans la corbeille. J'écris ces lignes pour dire à qui de droit qu'il est plus que temps de prendre le taureau par les cornes et de profiter de la pandémie pour prendre une pause, une longue pause, de réflexion afin d'évaluer, jauger et préparer notre système éducatif. Il ne sert absolument à rien de continuer à faire semblant, à proposer des réformes mortes dans l'œuf, à faire comme si de rien n'était, à proposer des solutions de pacotille, dans l'urgence, dans la précipitation. C'est justement dans l'urgence et la précipitation que le ministère a décrété les cours à distance. Je commencerai par la fin et dirai que les cours à distance est un véritable fiasco, au grand dam de ceux qui nous le présentent à la télé comme une alternative efficace, comme Le Graal. La réalité nous dit tout le contraire. Elle nous le rappelle, nous en dissuade et nous le répète: c'est un FIASCO TOTAL. Nous n'avons pas été préparés à cela. Nous ne sommes pas les seuls. D'autres pays ne l'étaient pas non plus, mais les autres pays, surtout européens, ont constaté que l'enseignement à distance est une perte de temps et ils ont réagi, chacun à sa façon. Nous, nous continuons à croire, alors que les faits sont criants et nous désavouent et que l'échec est plus que garanti, que l'enseignement à distance est une excellente option. Non, non et non. L'enseignement à distance est une perte de temps, de ressource et d'énergie. L'enseignement à distance ne doit pas être un prétexte pour que l'Etat, comme avait dit un «génie» qui a disparu de la circulation en ces temps de solidarité, «lève la main des secteurs de l'enseignement et de la santé». L'enseignement à distance ne doit pas être utilisé comme expérimentation et les Marocains comme cobayes pour décider plus tard s'il ne serait pas plus rentable pour l'Etat de ne plus construire d'écoles, d'universités, de laboratoires et de se limiter à des studios dans lesquels les professeurs se relaieront pour donner des cours à des écrans. Plus d'établissements, plus de tables, plus de chaises, plus de matériels pédagogiques ; plus de cités universitaires, de bourses, de restaurants universitaires, de grèves, de syndicats, de revendications, etc. ; juste un ordinateur, un professeur et des millions d'élèves et d'étudiants scotchés à leurs smartphones. Non, messieurs, l'enseignement à distance ne fonctionne pas, ne fonctionnera pas, n'a pas fonctionné chez les pays qui ont trente six mille fois plus de moyens que nous. Il ne marchera pas pour des raisons objectives qu'il serait trop long de citer. Contentons-nous d'en rappeler certaines : 1. La plupart de nos élèves et étudiants, s'ils disposent d'un portable, ne bénéficient pas d'une connexion internet. (Elles sont où les entreprises citoyennes qui devaient palier à ce problème en ce temps de confinement ?) 2. Même ceux qui en bénéficient trouvent une insurmontable peine à suivre les cours à cause du très faible débit. (je vis ce problème au quotidien avec mes enfants et avec mes étudiants) 3. Absence criante de matériel et d'infrastructures adéquats qu'exige l'enseignement à distante. 4. Non maîtrise des outils numériques par les enseignants. Normal, ils n'ont jamais été formés à cela. 5. Impossibilité d'un feedback entre enseignants et apprenants, (les cours dispensés sur les chaines publiques restent inefficaces et d'un ennui à vous faire haïr les études.) 6. L'utilisation des réseaux sociaux a démontré que les cours se convertissent souvent en mascarade. Pour toutes ces raisons et pour bien d'autres, L'enseignement à distance n'est rien d'autre qu'un mauvais palliatif à un enseignement qui était déjà boiteux et inconsistant. L'enseignement à distance devient juste un artifice, un leurre, un mirage qui permet de retarder la colère des parents, de gagner du temps ; en aucun cas d'instruire. Il faut avoir le courage de se regarder dans la glace et de se dire : NOUS NE DISPOSONS PAS DE RESSOURCES HUMAINES ET MATERIELLES POUR GARANTIR UN ENSEIGNEMENT A DISTANCE ACCEPTABLE. Je dis ACCEPTABLE; je ne dis pas de VALEUR. Ce que nous faisons, c'est du BRICOLAGE. Cette pandémie, au-delà des malheurs et des drames qu'elle provoque, doit être pour nous une alerte, une opportunité pour nous arrêter et réfléchir. Nous nous sommes trompés, depuis des lustres, sur les différentes réformes proposées, tout bonnement parce que nous les avons conçues dans la précipitation, avec une arrière pensée politique, dans un climat de guerre déclarée entre les arabophones, les francophones, les anglophones et les amazighs, etc. L'enseignement est devenu le réceptacle de toutes les formes de revendications, toutes sauf éducatives. C'est ce qui explique que toutes les réformes proposées ont été un échec avant même qu'elles ne commencent. Le Bachelor ne déroge pas à cette règle. Et je puis avancer, sans avoir peur de me tromper, que le Bachelor, lui aussi, sera un fiasco, parce qu'il a été élaboré dans l'urgence, parce que les considérations idéologiques, politiques et surtout mercantiles ont prévalues, parce que c'est l'exemple type de la réforme copiée-collée, et parce que nous ne disposons pas, ni dans nos écoles ni dans nos facultés, de structures adéquates et d'enseignant qualifiés pour beaucoup de matières proposées. Nous avons pris l'habitude de mettre la charrue avant les bœufs et nous continuons à le faire. Nous voulons atteindre des objectifs avec des moyens dérisoires, et si moyens il y a, ils sont gaspillés dans des futilités. Apprenons à construire les établissements, à former les enseignants, à garantir le matériel pédagogique avant de balancer les réformes à l'emporte pièce et à nous dire : «ça viendra, faisons avec les moyens du bord, ça viendra». L'expérience a démontré que ça ne vient jamais. Les budgets se volatilisent, les enseignants se morfondent, les étudiants s'ennuient… Tout le monde fait semblant et tout le monde y trouve son compte. Lorsque le fiasco est sans appel, on propose une énième réforme. Et rebelote. Il faut arrêter de reconduire des réformes non constructives et inefficaces. Il faut revoir nos programmes depuis le primaire jusqu'au supérieur. Il faut affranchir l'enseignement de toutes les mouvances, de toutes les idéologies, de toutes ambitions les mesquines. Il faut redonner la primauté des primautés à l'école publique. Il faut réhabiliter la place de l'enseignant, revoir son salaire à la hausse, lui permettre d'exercer dans de bonnes conditions tout en étant rigoureux avec lui quant au rendement. La pandémie nous offre l'opportunité de nous asseoir autour d'une table pour concevoir un plan éducatif global et à long terme. Un plan maroco-marocain et culturellement souverain. Un plan qui ne soit pas du copier/coller, qui ne soit pas conçu avec des objectifs sécuritaires, qui fera fi des recommandations de la FMI; un plan modeste, lucide, pragmatique, raisonnable qui aura pour priorité la formation du Marocain de demain et non pas la reproduction de celui d'aujourd'hui. La pandémie nous gratifie d'un long temps de réflexion. Allons-nous le saisir? Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais déclaré une année blanche. On me rétorquera que c'est insensé, qu'on ne pas se permettre de perdre toute une année. Et pourquoi donc ? Combien d'années, voire combien de décennies n'avons-nous pas déjà perdues ? IL VAUT MIEUX PERDRE UNE ANNEE ET GAGNER L'AVENIR QUE PERDRE L'AVENIR EN SAUVANT UNE ANNEE. Si vous considérez qu'il est insensé de déclarer une année blanche, je considère qu'il est irresponsable de continuer à croire que l'enseignement à distance est notre planche de salut. Faute d'année blanche, je demande à ce que le ministère de l'éducation nationale déclare l'année 2019/2020 terminée et que le résultat du premier semestre soit officialisé en tant que résultat final. Laissons les élèves et les étudiants bénéficier de longues vacances pour qu'ils revoient leurs cartes et décident de leur avenir, et surtout pour qu'ils ne détestent pas les études ; parce que s'il y a une chose que l'enseignement à distance à réussi pendant cette courte période de confinement, c'est de pousser les élèves et les étudiants à maudire les études. Comment imaginez-vous que ces derniers aborderont la rentrée prochaine si les études deviennent leur bête noire? Elles l'étaient déjà avant la pandémie, elles le seront pire après. Nous avons vraiment besoin d'une longue pause de réflexion sur le Maroc de l'après Covid19. Nous avons besoin de nous mettre à table avec les vrais pédagogues, et non pas avec les syndicats politisés ; nous avons besoin de prendre le temps du débat, de la réflexion, de l'élaboration d'un plan éducatif digne de ce nom, un plan qui prend en considération le bien des Marocains et non pas d'une catégorie de Marocains.