Thierry Frémaux, délégué général du festival Cannes, est le réalisateur du documentaire «Lumière! L'aventure commence» et auteur de «sélection officielle», un journal intime sur les coulisses du festival de Cannes. Au 17e FIFM, il a partagé avec le public et les passionnés ainsi que les professionnels du cinéma son expression, sa passion et sa vision vis-à-vis du 7e art. Dans cet entretien, il nous parle de son regard sur le FIFM, le cinéma marocain, Marrakech et Cannes. Al Bayane : Vous avez partagé avec les cinéphiles, la presse et les professionnels du cinéma une conversation libre lors du 17e FIFM. Que pensez-vous de ce festival qui fête cette année sa 17e édition? Thierry Frémaux : Je porte un regard plein d'affection et d'admiration. Je pense que tous ceux qui font des festivals de films sont des héros. En ce moment, toute la presse du monde entier en parle. Donc on parle du cinéma…. C'est formidable parce que le cinéma est entouré de nouveaux médias, de nouvelles manières de raconter des histoires, des images. Le festival prouve que le cinéma est vivant. Le festival a inventé trois fois le cinéma : il a inventé la technique, il a inventé l'art et il a inventé la salle de cinéma… et cette idée là, d'être tous ensemble, est formidable, que ce soit ici au festival de Marrakech comme au festival du Caire ou encore à celui de Tokyo… Partout dans le monde, il y a des festivals. Et celui de Marrakech est très spécial. La sélection de cette année le prouve d'ailleurs. Elle est mondiale, universelle. En plus, il y a des artistes universels comme Robert De Niro, Agnès Varda. Je pense que c'est important, notamment pour le public de Marrakech. Il est aussi intéressant de rencontrer les artistes. Vous voyagez à la rencontre des autres, de leurs cultures et cinémas. Vous dites que vous venez de Lumière, cinématographiquement parlant, que représente pour vous Marrakech, cité ocre ensoleillée et colorée? D'abord sur place, je croyais voir James Stewart. C'est une ville que j'ai appris à connaitre grâce au cinéma et au festival de Marrakech. Nous les cinéphiles, généralement on connait le monde à travers les films. A chaque fois que je viens, c'est pour le festival et j'ai appris à connaitre le peuple marocain grâce au cinéma. Je venais quand j'étais jeune voyageur. Je venais en voiture depuis Lyon avec mes copains, ici au Maroc, dans les montagnes. Il faut le rappeler, moi je suis de la montagne de Lyon, de Grenoble… les festivals, c'est aussi ça. C'est un mixte entre cultures, peuple et paysage. C'est une chance magnifique d'être là. Un festival, c'est d'abord sa ligne éditoriale, sa sélection et sa programmation. Vous êtes le délégué général du festival de Cannes. Comment choisissez-vous vos films, sachant que vous devez veiller sur la qualité du contenu artistique? Je ne peux répondre parce que je n'en sais rien (sourire). En fait, il n'y a pas de recette. Il faut bien connaitre le cinéma, il faut être généreux, il faut être capable d'admirer, il faut être capable de comparer, de saisir ce qu'il y a de classique et de ce qu'il y a de moderne. Puis, il faut composer, c'est un peu comme le menu d'un grand chef. Il faut une certaine manière d'enchanter. Cannes est une sorte de photographie instantanée de cinéma. Vous avez fait un film sur les frères Lumière «Lumière! L'aventure commence». Comment avez-vous eu l'idée de faire un tel projet cinématographique de 108 films formés par les Frères Lumière? Parce que je m'occupe des films Lumière dans mes fonctions à Lyon et je suis amoureux depuis toujours de ces films. Mais certains films, je suis le seul à les connaitre avec mes collaborateurs. Donc l'idée, c'est de rendre au monde cette filmographie fantastique. On a fait un premier film et on va en faire un autre parce que c'est très beau, et c'est quelque chose de très extraordinaire… et c'est aussi un devoir. C'est comme percer le mystère des pyramides en Egypte. Pour nous, c'est percer le mystère dans la création, dans l'invention du cinéma. Vous avez initié un projet magnifique au Festival de Cannes «Cannes Classics ». Pourquoi cette rubrique? Parce que je viens d'abord du monde des cinématiques et des archives. Pour moi, c'était naturel. Ensuite parce qu'il faut qu'il y ait un lien entre le passé et le présent. Par exemple, connaitre l'histoire du cinéma, ça m'aide dans la sélection des films contemporains, mais aussi je ne veux pas rester un cinéphile uniquement concentré sur le passé. C'est important de connaitre le cinéma contemporain. C'est donc une aide mutuelle. Et puis, la troisième raison est qu'il y a aujourd'hui une véritable industrie du cinéma classique grâce aux restaurations et au numérique, au digital. En effet, il fallait aussi que Cannes soit le lieu d'accueil de tous ceux qui restaurent les films, de tous ceux qui font en sorte que les trésors du passé comme ça se passent dans les musées, comme les traditions ici au Maroc… ne tombent pas dans les oubliettes. C'est une façon aussi de dire aux cinéastes d'aujourd'hui que leurs films ne seront pas oubliés. Dans cette optique, quel regard portez-vous sur la nouvelle vague du cinéma marocain? Je porte un regard plein d'intérêt, plein de curiosité sur ce cinéma. Ils sont venus à Cannes : Nabil Ayouch, Laila Marrakchi, Faouzi Bensaidi… J'attends de cette nouvelle génération des choses importantes dans l'avenir. J'espère qu'on va travailler tous ensemble et que le Maroc sera toujours représenté notamment à Cannes.