Les inégalités sociales au Maroc sont d'une intensité telle, qu'elles sont visibles à l'œil nu. Dès lors, il n'est nul besoin de recourir aux statistiques qui restent d'ailleurs biaisées et partielles, tant elles n'intègrent pas tous les paramètres qui déterminent les inégalités. Les données en la matière se limitent aux seules enquêtes sur la consommation et fournissent très peu d'indications quant aux revenus et aux patrimoines. Ces inégalités sociales sont dues pour l'essentiel au modèle de développement à l'œuvre depuis l'indépendance nonobstant quelques inflexions qu'il a connues au cours des dernières décennies d'une part, et aux dysfonctionnements des politiques publiques en matière de redistribution d'autre part. Par conséquent, toute politique qui vise à réduire ces inégalités se doit d'agir sur ces deux leviers : revoir le système de répartition primaire des revenus et mettre en place une redistribution efficiente des richesses à travers des politiques sociales actives et inclusives. Au niveau de la répartition primaire, on relève que les revenus du capital constituent la part de lion du revenu national : ils représentent plus de la moitié du «gâteau national» quand un petit tiers va aux travailleurs qui constituent la force vive du pays. Le reste, autour de 20%, constitue le revenu de l'administration sous forme de recettes fiscales. Cette répartition primaire, on ne peut plus injuste, est doublement pénalisante : pour le pouvoir d'achat de la population et pour le développement du pays. L'objectif serait dans un premier temps de parvenir à un partage du gâteau selon au moins la règle des trois tiers. Cela permettrait à l'Etat de disposer de plus de ressources pour conduire une politique sociale ambitieuse et corriger les imperfections nées de la répartition primaire. Pour ce faire, il n'y a d'autre voie que celle de la fiscalité à travers une réforme fiscale basée sur les principes d'équité et de transparence : lutter sans merci contre la fraude et l'évasion fiscales en intégrant le secteur informel. Comme la répartition primaire n'est jamais totalement juste, les pouvoirs publics doivent procéder à une répartition secondaire à travers une redistribution des revenus. Il s'agit tout d'abord de la généralisation du système de couverture médicale et sociale en visant, à terme, la mise en place du «socle de couverture universelle» englobant la couverture médicale, la retraite, les allocations familiales, l'assurance contre les accidents de travail et les maladies professionnelles, l'assurance contre le chômage. C'est un vaste chantier sur lequel il faut travailler d'arrache-pied car le rythme actuel ne nous permet pas d'aller aussi vite qu'on l'aurait souhaité. En effet, le projet en cours consistant à généraliser la couverture sociale aux professions indépendantes (artisans, agriculteurs, commerçants, professions libérales) suscite quelques inquiétudes. Il y a ensuite les services publics dont la population a besoin et qui couvrent toute une série de domaines comme l'éducation, la santé, les transports, la culture et les loisirs… Ainsi, un enseignement public de qualité épargnerait aux ménages modestes des dépenses qui pèsent lourdement sur leur budget. Il en est de même pour la santé et les autres secteurs. Enfin, dans le cadre de la solidarité nationale et du raffermissement du sentiment d'appartenance à la Nation, des filets de sécurité doivent être mis en place à destination des populations vulnérables aux besoins spécifiques. Ce ciblage, par définition limité, doit concerner les personnes exclues, pour une raison ou une autre, du marché du travail. A cet égard, il faut procéder à une remise à plat des politiques sociales à l'œuvre, avec la mise en place d'une nouvelle gouvernance assurant la convergence et l'efficience des programmes concernés. Pour les autres personnes, il faut « faire feu de tout bois » en vue de leur assurer un emploi stable et rémunérateur à travers une politique visant le plein emploi des ressources humaines disponibles. Cet objectif ne relève pas de l'utopie. Il est à notre portée à condition de faire travailler notre intelligence collective, de mobiliser l'ensemble des acteurs autour de la lutte contre le chômage et de mettre la question de l'emploi au centre des politiques macro-économiques. La Stratégie Nationale pour l'Emploi indique les mesures précises à mettre en œuvre mais le gouvernement actuel, comme le précédent, n'y accordent que peu d'égards. En somme, si nouveau modèle de croissance (de développement) il y aura, ce sont là, à mon sens, les leviers principaux qui devraient en constituer l'ossature de base. Les Marocains ont trop patienté, on ne peut pas leur demander plus. Ils veulent un partage équitable des fruits de la croissance. Ici et maintenant.