De nouveau, et après seulement trois mois au pouvoir, le gouvernement espagnol vient de rallumer la mèche des tensions avec le Maroc en autorisant, vendredi, la compagnie pétrolières Repsol YPF à réaliser des prospections pétrolières dans les eaux séparant l'archipel des Iles Canaries et les provinces du sud du royaume. Sur la base de cette autorisation, le gouvernement de Madrid donne le feu vert au grand projet de la compagnie pétrolière espagnole d'entreprendre des explorations au large des cotes canariennes de Lanzarote et Fuerteventura dans la recherche de gisements off shore d'hydrocarbures. Les prospections pourraient se réaliser à 60-70 kilomètres au large des cotes canariennes. Il s'agit d'une décision qui pourrait provoquer de grandes tensions entre Rabat et Madrid bien que la Cour Suprême espagnole eut suspendu le permis d'autorisation en 2004 et les autorités marocaines eurent manifesté violemment toute décision unilatérale d'autoriser des recherches pétrolières entre les Iles Canaries et les cotes du Sud marocain. La vice-présidente du gouvernement espagnol, Soroya Saenz de Santamaria, a expliqué, vendredi lors d'une conférence de presse à l'issue du Conseil des ministres, que le gouvernement a approuvé un décret royal qui confirme un autre datant de 2001 autorisant la réalisation de prospections d'hydrocarbures. Que dit ce décret royal ? Le conseil des ministres espagnol a approuvé un Décret Royal par lequel est agréé l'autorisation originelle des permis de recherche d'hydrocarbures «Canarias 1 a 9», situés au bord de la médiane entre l'Espagne et le Maroc, à plus de 60 kilomètres des cotes de l'archipel des Canaries. Le texte reconnaît que ces permis de recherche d'hydrocarbures ont été accordés par Décret royal le 21 décembre 2001, mais les travaux furent paralysés par une sentence de la Cour Suprême, le 24 février 2004, pour vice de forme au décret. Les travaux réalisés antérieurement à ladite sentence avaient permis de connaître le haut potentiel géologique de la zone. Le Décret Royal, approuvé vendredi, permettra d'achever les travaux en suspens en vue de vérifier l'existence d'hydrocarbures et, dans ce cas, la viabilité technico-économique de leur extraction. La vice-présidente du gouvernement a observé que l'Etat espagnol est compétent de réguler les prospections d'hydrocarbures et que le gouvernement prend «des décisions en fonction de l'intérêt général». Les experts assurent, a-t-elle ajouté, qu'il existe au point géographique signalé de grandes possibilités de rencontrer des gisements d'hydrocarbures. Elle a reconnu que «d'autres pays», en référence au Maroc, entreprennent des recherches dans le périmètre de leurs eaux. « Nous ne considérons pas qu'il ait des arguments pour retarder davantage la prise de cette décision », a-t-elle observé. Le projet de Repsol de mener ses prospections dans les eaux situées entre le Maroc et l'archipel canarien remonte au début des années 2000 lorsque, en pleine crise dans les relations avec le Maroc, José Maria Aznar, alors président de gouvernement, avait octroyé en 2002 des permis nécessaires pour que la compagnie pétrolière entame des prospections dans neuf champs d'exploitation à l'Est de Fuerteventura et Lanzarote. Cette initiative permettait à Repsol le contrôle de 50% du projet auquel prennent part les compagnies australiennes Woodside (30%) et l'allemande RWE DEA (20%). Toutefois, la Cour Suprême espagnole avait paralysé le projet en 2004 pour ne pas respecter suffisamment la législation en matière de protection de l'environnement. L'ancien gouvernement socialiste avait opté de laisser en stand bay le projet durant les huit ans au pouvoir. L'actuel gouvernement, à l'instigation de son ministre d'Industrie, José Manuel Soria (originaire des Canaries) a décidé de relancer le projet, trois mois seulement après la reprise du pouvoir par les conservateurs. Les zones de prospections se trouvent à une distance de 61 kilomètres à l'Est des cotes de Fuerteventura et Lanzarote et à une profondeur qui vont de deux mille à trois mille mètres de profondeur. Selon les estimations de Repsol, il est possible d'extraire chaque année 38 millions de barils d'hydrocarbures, ce qui équivaudrait à 10% de la consommation actuelle de l'Espagne. La compagnie compte mener des explorations dans des délais allant de 20 à 30 ans et effectuer des investissements de l'ordre de 13 milliards de dollars. Le projet contribuera à la création de cinq mille postes d'emplois aux Iles Canaries. Attitude du Maroc Seulement, pour rendre effectif ce projet ambitieux, il faudra s'entendre avec le Maroc qui proclame sa souveraineté sur la zone où devront se réaliser les projections pétrolières. En cas d'entamer les travaux dans les eaux situées entre le Maroc et l'archipel canarien, une éventuelle tension dans les relations bilatérales pourrait survenir et perturber le climat d'entente qui règne actuellement entre les deux pays. Le Maroc proclame sa souveraineté sur les eaux visées dans le Décret Royal où Repsol compte effectivement entamer ses explorations. Ces eaux font partie des problèmes entre Rabat et Madrid concernant la délimitation des espaces maritimes aussi bien dans le Nord que dans les eaux atlantiques. Ceci ne date pas d'aujourd'hui. Lorsque le gouvernement Aznar avait accorde en décembre 2001 des licences de prospection pétrolière à Repsol, en approuvant un Décret Royal, le gouvernement marocain, alors dirigé par Abderrahmane Youssoufi, avait violemment protesté à travers un communiqué dans lequel il rappelait les protestions antérieures du Maroc contre la détermination unilatérale par l'Espagne de la ligne médiane pour délimiter la Zone Economique Exclusive (ZEE) ou la plateforme continentale. Le communiqué disait ceci : « Ainsi, en novembre 2000, lorsque la presse internationale avait fait état d'une délimitation unilatérale, dite technique, de l'espace maritime des Iles Canaries sur la base de la ligne médiane, le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération, a officiellement protesté, par Note Verbale adressée à l'Ambassade d'Espagne, le 27/11/2000. De même, dès qu'elles apprirent par voie de presse, en avril 2001, que la compagnie Repsol avait présenté au Gouvernement espagnol une demande d'autorisation pour réaliser des recherches dans la région, les autorités marocaines avaient immédiatement réagi, notamment par une protestation officielle consignée dans une Note diplomatique réitérant le rejet catégorique du Maroc de toute délimitation unilatérale et précisant que la délimitation en question ne peut s'opérer que par voie de négociations, en vue de parvenir, d'un commun accord, à une solution équitable prenant dûment en considération les circonstances pertinentes propres à la région. La même position a été, de nouveau, rappelée par le Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères et à la Coopération à son homologue espagnol lors de sa visite à Rabat, en octobre 2001.” De même, le Maroc avait affirmé que “selon les normes du Droit International coutumier, la délimitation du plateau continental est effectuée par voie d'accord, dans le but de parvenir à une solution équitable. Au cas où les Etats concernés ne parviennent pas à conclure un accord définitif, ils procèdent à des arrangements provisoires de caractère pratique, qui sont sans préjudice de la délimitation finale. Ainsi, sur le plan procédural, l'accord des deux pays est donc incontournable pour délimiter, à titre définitif ou provisoire, le plateau continental ». L'attitude officielle des autorités de Rabat a été claire puisque la même note précise que “le Maroc exerce des droits souverains sur son plateau continental- qui s'étend bien au-delà de la ligne médiane- en tant que prolongement de son territoire sous la mer, aux fins de l'exploration et de l'exploitation de ses ressources naturelles. Ces droits sont exclusifs, en ce sens que si le Maroc n'explore pas son plateau continental ou n'en n'exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement express ». Ainsi donc, après la relative accalmie qui a marqué les rapports entre Rabat et Madrid (qui avait coïncidé avec la nomination de deux nouveaux gouvernements à Rabat et Madrid), un des conflits les plus délicats et affecte directement la souveraineté territoriale du royaume, a repris surface. Il s'agit d'un conflit qui a attisé la tension durant le deuxième mandat d'Aznar comme président de gouvernement alors que les relations entre les deux pays étaient extrêmement tendues. A l'heure actuelle, les deux capitales sont appelées à explorer toutes les voies diplomatiques en vue d'éviter un nouveau cycle de tension eu égard à l'attachement du royaume au respect scrupuleux de son intégrité territoriale, y compris son espace maritime.