Ce qui est certain, c'est que le professeur Aziz Belal n'a pu mener tous ses projets à bonne fin. Ses nombreux ouvrages - à titre d'exemple, «la pensée économique chez Ibn Khaldoun», «la renaissance du monde arabe» ou encore «les facteurs non économiques du développement», entre autres, sont toujours de grande actualité. Ce n'est donc pas par hasard, dira de lui son ami et compagnon le Russe Youri Popov, qu'il a mis en épigraphe dans son ouvrage sur la pensée économique d'Ibn Khaldoun, qu'un jour viendra un «génial penseur arabe» doté d'une puissante faculté de réflexion» pour parachever l'ouvrage. Les idées profondes exprimées dans «La formation du sous-développement », son dernier ouvrage, peu avant sa mort tragique à Chicago aux Etats-Unis, constituent en quelque sorte son testament scientifique. Dans son étude fondamentale «L'investissement au Maroc (1912-1964) » rééditée trois fois,, Belal se livre à l'examen des différents aspects de l'impérialisme et du néo-colonialisme, aspects qu'il explique non seulement par la politique de l'impérialisme, mais aussi par l'existence de tout un système de rapports (économiques, politiques, juridiques, culturels et autres) fondés sur l'exploitation. Ce qu'il met en cause, ce ne sont pas seulement une «mauvaise» politique ou de «mauvais» hommes politiques. On peut changer de politique, mais il est beaucoup plus difficile d'en finir avec l'ensemble des rapports de dépendance et d'inégalité engendrés par la division néo-colonialiste internationale du travail. Depuis longtemps célèbre comme économiste, Belal gagnait la sympathie et l'estime des esprits les plus différents par son érudition, sa force de conviction, la fermeté de ses principes et son honnêteté intellectuelle. Sa célébrité avait vite dépassé le cadre des Universités de Casablanca et de Rabat pour devenir internationale. Il était écouté avec la plus grande attention et un intérêt soutenu aux congrès et aux colloques internationaux à Mexico comme à Moscou, à Paris comme à Bruxelles. Ses livres sont lus dans de nombreux pays sur tous les continents. Le sous-développement n'est pas une fatalité Selon le professeur Belal, le sous-développement est loin d'être une fatalité, puisque «l'expérience historique dans le monde entier a confirmé qu'il était parfaitement possible d'y mettre un terme en un laps de temps relativement court, à une condition, bien entendu, de créer les conditions politiques, socio-économiques et idéologico-culturelles de l'élimination du «sous-développement». De l'avis de nombreuses personnalités l'ayant connu ou côtoyé, le regretté Aziz Belal fur un grand humaniste, adversaire convaincu de toutes les formes d'oppression tant nationale que sociale. Il ne se bornait par à expliquer le monde, il luttait pour le transformer. Ayant une foi profonde dans les forces créatrices de son peuple qu'il aimait tant, Aziz Belal s'élevait résolument contre le pessimisme dont faisaient preuve les théories occidentales à l'égard des pays en développement. Cela concerne en premier lieu les théories du « cercle vicieux » ou des « étapes de la croissance économique » de W.Rostow. Non! Au lieu d'attendre, les bras croisés durant des décennies la fameuse étape de la « maturité » économique, il faut lutter, dès aujourd'hui, pour l'indépendance économique, le progrès social dans l'intérêt du peuple et en s'appuyant sur lui ; voilà à quoi appelait Aziz Belal de son vivant et à quoi appellent aujourd'hui ses ouvrages. Par ce qu'il a légué aux générations montantes tout un trésor d'idées, ce grand penseur marocain, cet économiste de renommée mondiale n'est pas mort. Son décès tragique survenu, dans des circonstances troublantes, un 23 mai 1982 ! à la suite d'un incendie qui s'est produit à l'hôtel «Conrad Hilton» de Chicago, lors des cérémonies de jumelage entre Chicago et Casablanca, ne pouvait mettre fin à cet héritage qui fait la fierté pas seulement du PPS, mais de tout le pays. Une œuvre pleine d'enseignements Ce natif de Taza, est venu au monde -comme par hasard-, un 23 octobre 1932. Il n'est pas né avec une cuillère d'or à la bouche. Issu d'une famille modeste, à huit ans, il perd son père et devait connaitre à son bas âge les dures conditions de la vie quotidienne. Ayant réussi avec brio ses études à Oujda où il a décroché son baccalauréat, il regagna Rabat pour y préparer sa licence en sciences économiques de 1951 à 1953. Il se rendit, par la suite, à Toulouse où il obtint son diplôme d'études supérieures (1956). A 19 ans, alors le contexte national était marqué par la lutte la libération et l'indépendance, il adhéra au parti communiste marocain -PCM-, alors clandestin, (devenu successivement parti de libération et du socialisme, puis parti du progrès et du socialisme) pour devenir l'un de ses illustres dirigeants en tant que membre du bureau politique. Après l'indépendance du Maroc, il fut chargé de mission au Plan où il participa à l'élaboration du premier plan quinquennal (1960-1964). En 1959, il accéda - dans le cadre d'un gouvernement de coalition nationale présidé par Abdellah Ibrahim - au poste de secrétaire général du ministère du Travail. Il démissionna de son poste pour ne pas cautionner les déviations du gouvernement par rapport aux orientations de départ. En 1960, il intégra la faculté de droit de Rabat, la seule à l'époque, où il enseigna l'économie tout en œuvrant à la mise en place de la section de langue arabe et à la création du syndicat national de l'enseignement supérieur. Parallèlement à son activité en tant qu'enseignant et son engagement politique sur tous les fronts, il s'est mis à préparer une thèse d'Etat en sciences économiques sur «l'investissement au Maroc 1912-1964, et ses enseignements en matière de développement économique». Cette thèse soutenue brillamment à l'université de Grenoble en 1965, fit date dans la recherche socio-économique du pays faisant de Belal le premier économiste marocain titulaire d'une thèse d'Etat. «Grâce à ses qualités d'intellectuel talentueux, d'humaniste sans faille et d'orateur hors pair, il constituait une école. Dans un témoignage, Abdeslam Seddiki disait que Aziz Belal constituait, à lui seul, une école à laquelle ses anciens étudiants et ses nombreux amis s'identifient spontanément. Il a vécu modestement bien qu'il disposât de tous les atouts pour s'enrichir et accumuler la fortune dans la légalité. Il symbolisait cet «intellectuel organique » au sens gramscien du terme. Il n'a eu de cesse de professer que la culture et l'argent font rarement bon ménage. Au-delà du bilan de la colonisation, et des relations avec l'Europe, d'autres questions ont retenu l'attention de Aziz Belal dans ses écrits dont notamment l'unité maghrébine et les blocages à l'intégration maghrébine. La découverte et l'exploitation de gisements de pétrole et de gaz en Algérie jouent un facteur «déséquilibrant» dans les relations intermaghrébines en donnant à ce pays un sentiment de supériorité voire d'hégémonie. Ces facteurs continuent de faire obstacle à l'édification du grand Maghreb. L'ouvre de Aziz Belal, qui était président de l'Association des économistes marocains, pilier du Syndicat de l'enseignement supérieur et membre de l'Association pour la recherche culturelle, reste encore, 30 ans après sa mort, pleine d'enseignements. Al Kifah Al Watani Après son adhésion en 1951, Aziz le militant déployait une grande activité au sein des diverses instances du PPS. Dans le cadre de ses activités au sein du Bureau Politique et du Comité Central, il a animé des cercles ou des meetings dans les diverses ville du Pays et également à l'extérieur dans les milieux des compatriotes étudiants et travailleurs émigrés. Il participait au comité de rédaction de la presse du parti : AL MOUKAFIH ; AL KIFAH AL WATANI ; puis AL BAYANE qu'il alimentait de ses écrits en même temps qu'il œuvrait pour faire parvenir les idées et thèses du Parti en publiant des articles dans d'autres publications nationales ou étrangères. Militant invétéré et ennemi juré de l'impérialisme, Aziz luttait de tous ses efforts pour l'union des forces progressistes nationales et pour l'unité maghrébine. L'illusion de l'indépendance Aziz Belal reste le spécialiste de la question des inégalités socio-économiques et leur évolution à travers l'économie marocaine. Aujourd'hui, ce problème se trouve plus que jamais d'actualité au Maroc et Aziz Belal démontre que l'économie marocaine est celle d'un pays capitaliste sous développé, situation qui ne doit rien à une quelconque malédiction naturelle. Il fait remarquer immédiatement une prépondérance du secteur agricole, une faiblesse des industries d'équipement par rapport aux industries extractives, un secteur tertiaire disproportionné, ce qui explique l'importance du sous emploi. L'indépendance politique de 1956 laissa à la finance étrangère une bonne partie du patrimoine nationale marocain, même s'il l'on a pu parler plus tard de «Marocanisation». Cependant, les avantages matériels de La «Marocanisation» se révèlent une pure illusion. Une perte cruelle Le 23 Mai 1982, décédait à Chicago dans des circonstances tragiques le grand penseur et éminent professeur Aziz Belal à l'âge de 51 ans. Une perte cruelle pour le Maroc et pour le mouvement ouvrier international dont il fut un des leaders les plus charismatiques. Aziz Belal, le militant au service de sa patrie, de son peuple et des justes causes à travers le monde, est mort ce jour-là en sa qualité de représentant des populations casablancaises, en tant que président en exercice de la commune de Aïn Diab, tâche qu'il assumait à la suite de l'incarcération du président élu, Mustapha Karchaoui.