Abdel Ahed El Fassi : conjuguer efficacité économique et justice sociale Le rapport n'apporte pas quelque chose de nouveau par rapport aux études et propositions déjà élaborées auparavant. Cependant, il tire pour la énième fois la sonnette d'alarme pour se pencher sur la réforme des régimes de retraites, surtout que l'on sait que le déficit se creuse année après année. En fait, au sein du PPS nous envisageons la question de la retraite dans la continuité, avec une vision des choses progressiste, qui place en tête la dimension humaine dans toute réforme. Il faut donc se doter d'une approche globale pour pallier les diverses défaillances. Cela veut dire qu'il faut réfléchir à inverser l'équation en étendant la couverture sociale aux 67% de la population active. Autrement dit, à peine 33% de la population active bénéficient d'une couverture de retraite. Autre point non moins important, c'est que toute solution de ce problème doit être faite dans le cadre du dialogue social, qui se trouve en panne depuis quelques mois. Sachant bien que le gouvernement a fait de la réforme de ce chantier un axe prioritaire. Un retard a été constaté au niveau de l'application. Mais je pense qu'une fois le gouvernement installé, ce dossier aura toute l'attention qu'il mérite. En fait, le véritable enjeu pour cette réforme c'est comment conjuguer efficacité économique et justice sociale. Evidement, cela doit se faire avec la concertation avec les partenaires publics. ---- Mohamed Chiguer, économiste : tenir compte du facteur démographique Le rapport s'inscrit dans la logique de la Commission technique chargée de la réforme des régimes de retraite. On constate bien qu'il propose une réforme à deux plans : paramétrique, dont l'objectif est diminuer les dettes des régimes fragiles et augmenter par conséquent l'horizon de la viabilité et, en second lieu, une réforme systémique globale couvrant tous les régimes. A mon humble avis, le rapport ne traite pas le fond de la question. C'est comment inverser l'équation active/inactive. Or la question qui devrait être posée, c'est de savoir est-ce que l'Etat dispose d'une politique de recrutement suffisante pour résoudre ce problème... Je pense que cette problématique se réduit à deux points essentiels : le faible taux d'emploi et la faiblesse de la couverture sociale. Qui plus est, toute réforme sérieuse ne peut se concevoir que dans le cadre du dialogue social, notamment lorsqu'il s'agit du cas de la CMR. Au-delà de toute approche comptable, la réforme des régimes de retraite devrait prendre en considération un élément très important pour toute stratégie efficace, celui de la transition démographique que connait le Maroc. Il faut dire que la population du royaume vieillit de plus en plus vite. Les pouvoirs publics n'ont qu'à en tirer les leçons... Kadmiri : la CGEM pour une réforme à petits pas «La position de la CGEM, par rapport à la problématique des régimes de retraite au Maroc est claire», nous précise Salaheddine Kadmiri, Vice-Président de l'organisation patronale. S'agissant du rapport de la cour des Comptes sur la question, M. Kadmiri rappelle que, dans le débat ambiant, la CGEM a toujours bataillé pour «la séparation des deux pôles : un pôle public et un pôle privé ». La confédération patronale est « pour la réforme ». Le n°2 de la CGEM reste toutefois vigilant en ce qui concerne « l'urgence de la réforme ». « Il faut aller à petits pas pour ne pas détruire tout ce qui a été construit depuis des décennies ». La CGEM, disait-il est « pour une réforme sur le long terme ». Bien sûre, «il faut des réformes paramétriques, mais aussi des réformes systémiques», mais « on ne peut promettre des choses qu'on ne peut tenir demain », tient à prévenir M. Kadmiri. Au niveau du conseil de la CGEM, « on est d'accord pour la réforme de la CNSS ». Encore faut-il lutter contre l'emploi informel, poursuivre le combat contre la délinquance sociale, c'est-à-dire la non déclaration des salariés par tout un pan de PME auprès de la CNSS. Cela dit, de l'avis général des observateurs, la réforme du système des retraites au Maroc est une urgence nationale. Aujourd'hui avant demain matin. Plus ça tarde plus le déficit des caisses s'alourdit et plus les remèdes deviennent complexes, longs et coûteux. On estime à plusieurs centaines de milliards DH le déficit des caisses de retraites, en l'occurrence dans le pôle public. Le diagnostic est connu depuis longtemps, tandis que « les voies de réformes préconisées, ici et là, ont besoin d'être traduites en mesures concrètes au niveau gouvernement » estime M. Kadmiri. Le rapport de la Cour des Comptes, le premier du genre, après les récentes études réalisées par le HCP et le rapport du cabinet Actuaria en 2010, traduit la volonté politique de réformer le système de retraite. Entre les lignes, on comprend pourquoi la Cour des comptes publie ce rapport aujourd'hui, alors que le gouvernement Benkirane II est en voie de reconstitution et que le projet de loi de finances pour l'année 2014 est dans sa dernière phase d'élaboration. De toute évidence la volonté politique existe, mais la réforme, proprement dite, saura-t-elle se tailler une place dans le plan d'action du gouvernement. Dix ans après avoir suscité une lueur d'espoir, Driss Jettou revient à la charge et commet un rapport, cette fois-ci, au nom de la cour des comptes. Au fond, rien de nouveau sous le soleil. Le diagnostic est connu et toutes les réformes préconisées nécessitent une aussi une implication sérieuse et responsables de tous les partenaires sociaux. Il y a longtemps, la banque mondiale préconisait la réduction de la masse salariale de la fonction publique, qui devrait être au-dessous de 10% du PIB. Or, malgré l'opération DVD (Départs volontaires), qui a coûté à l'Etat pas moins de 8 milliards DH, la masse salariale est restée aux alentours de 13-14% du PIB, car «on a oublié d'agir sur le PIB», en termes de croissance économique et de création d'emplois. Cette fois-ci saura-t-on éviter les écueils du passé ? A. Kidiss ---------- Mhamed Grine : le rapport de la Cour des Comptes vient à point nommé Pour Mhamed Grine, membre du Conseil de présidence du PPS, le rapport de la Cour des Comptes sur le système de retraite au Maroc vient à point nommé et le gouvernement en cours d'installation est appelé à prendre à bras-le-corps cette question de l'urgence de la réforme des régimes de retraite au même titre que les autres grandes réformes auxquelles elle reste intimement liée à savoir celle de la compensation et de la refonte du système fiscal. Certes, dit-il, le dossier a pris beaucoup de retard depuis que Driss Jettou avait promis une véritable réforme du régime de retraite en 2004, mais il y avait tellement de résistance, de stéréotypes et d'aprioris que le dossier a été mis en stand by. Aujourd'hui, Jettou, à la tête de la Cour des Comptes, revient à la charge. La nouveauté d'abord est que le constat vient d'une instance de la taille de la Cour des Comptes. D'habitude, les conclusions du rapport s'intéressaient beaucoup plus à la gouvernance des entreprises publiques ou privés, des administrations publiques. S'attaquer à la réforme des régimes de retraite signifie qu'il y a péril en la demeure. Actuellement, le système court de gros risques. Le gouvernement et les pouvoirs publics encourent de lourdes responsabilités si des mesures d'urgence ne sont pas prises, d'autant plus que les pistes de sortie sont recommandées par les experts de la Cour des Comptes. Cette instance tire la sonnette d'alarme et interpelle le gouvernement pour agir en conséquence. Sinon, c'est un legs aussi lourd qu'on va laisser aux futures générations. Imaginer qu'une personne entre dans un restaurant. Le serveur, avant même de lui demander ce qu'elle veut manger, lui présente une facture et exige son paiement avant d'être servi. Pour s'expliquer, le serveur lui annonce qu'il s'agit de la facture de ses parents et ses grands parents.... C'est là un vrai problème d'éthique générationnelle auquel s'ajoute un autre problème d'éthique social, souligne Grine. Prenant le cas de la CMR, celle-ci avait jusqu'à maintenant des recettes supérieures aux dépenses (pensions servies aux retraités et ayants droit), ce qui lui permettait de placer le différentiel dans le fonds des réserves. A partir de 2013, les recettes vont être inferieures aux dépenses. Donc on va aller puiser dans les réserves. Le montant des réserves s'élève aujourd'hui à 90 milliards de dirhams. On va commencer à épuiser de manière exponentielle, et vers 2019 toutes les réserves seront consommées. Du coup, la différence va être payée par le budget de l'Etat qui va être financé par les impôts. C'est dire que les 70% des Marocains qui ne bénéficient pas du régime de retraite vont payer pour les 27% ou 30% qui sont déclarés et cotisent. Pour Grine, la question des retraites est une question sociétale, budgétaire, économique et financière. Quand on aura plus de réserves, sources de financement de la dette de l'Etat, ce dernier ne pourra plus lever des dettes. C'est un problème pour l'ensemble de l'économie nationale. Tout le monde est convaincu aujourd'hui qu'une année perdue est lourde de conséquence et le déficit va en s'aggravant à défaut de réforme urgente. Le cas de la CMR est frappant. Une année de retard correspond à un manque à gagner de 15 milliards de dirhams. En 2012, ce manque à gagner est passé à 18 milliards de dirhams contre 20 milliards de dirhams pour l'année en cours. Comparé à l'effort de la compensation, le déficit est trop lourd, voire même exponentiel. Mhamed Grine explique qu'auparavant, le recrutement se faisait à l'âge de 20 ou 22 ans, l'employé cotisait pendant 40 ans et l'espérance de vie était de 65 ans. Les temps ont changé. Contrairement aujourd'hui l'âge du premier emploi oscille autour de 30 ans et l'espérance de vie autour de 73 ans (en moyenne on vit 22 après l'âge de la retraite). Les solutions préconisées par la Cour des Comptes paramétriques et systémiques doivent être prises sérieusement en considération. La réforme dite paramétrique correspond donc à la hausse des recettes et la baisse des dépenses on optant au relèvement de la durée de cotisation et l'augmentation de l'âge de départ à la retraite. La solution paramétrique stipule aussi qu'il faut agir sur la hausse du taux de contribution et de cotisation quelque soit le salaire (salaire de base, dernier salaire ou la moyenne des cinq derniers salaires). La réflexion doit s'orienter rapidement vers un relèvement de l'âge de la retraite avec toutefois des différenciations selon l'activité et parfois selon la préférence de la personne concernée. Donc la dette implicite va baisser. De même qu'il faut élargir le champ de la retraite en intégrant les professions libérales Quant à la réforme systémique, la logique veut qu'il faut rassembler ce qu'il faut avec un régime de base obligatoire avec répartition et des paliers complémentaires. Fairouz El Mouden