Portrait Alors qu'Essaouira vit en marge des tumultes du mercato d'été et de la fièvre d'une saison sportive qui s'annonce passionnante, des figures sportives emblématiques surgissent ici et là pour rappeler que cette ville constituait naguère un vrai bastion de football et une pépinière qui a tant donné au ballon rond national. Parmi ces fils prodiges de la ville des Alizés, qui sont restés fidèles à leurs origines, même après avoir évolué sous de lointains cieux, se trouve Abdelkhalek Louzani, un cadre national qui vit le jour un 13 juillet 1945 au quartier Béni Antar (ancienne Médina) et dont le parcours, entamé sur le sable de la plage d'Essaouira, avant d'atteindre son apogée sur les pelouses des plus prestigieux clubs européens de l'époque, témoigne d'une dynamique footballistique qui animait cette petite ville, avant qu'elle ne s'essouffla, soudainement. "A Essaouira, tout le monde jouait du football à la plage. A partir de l'âge de dix ans, on faisait des tournois inter-quartiers qui duraient toute l'année. On disputait, parfois, jusqu'à deux matches par jour. Il y avait énormément de concurrence". C'est en ces termes que Louzani résume, dans un entretien accordé à l'agence MAP-Essaouira, la fièvre du football qui s'emparait de la jeunesse souirie. Coiffé de son typique béret, volumineux magazine scientifique à la main, tenue décontractée -les vieilles babouches détrompent un esprit libre malgré la rigueur apparente de l'homme-, le regard sûr et rassurant, celui que les Souiris appellent affectueusement «Bahala» -un surnom qui renvoie à une sympathique histoire humaine-, ne peut raconter sa vie de jeune footballeur sans évoquer avec nostalgie sa ville bien aimée, avec ses quartiers, ses murailles, ses Hommes et son environnement ayant semé et entretenu en lui l'amour d'un sport qui guidera son destin. Pour les jeunes qui mettait muscles et articulations à l'épreuve du sable, il ne s'agissait pas d'une simple activité physique pour tuer le temps et maintenir la forme. A une époque où, partout au Maroc, les tournois de quartier formaient les champions de demain, les plages d'Essaouira, lieux de formation, d'éducation et de prospection, ne dérogeaient pas à la règle et s'installaient à la base d'une structure qui traçait le parcours des meilleurs vers le sommet. «Il y avait un bon niveau parce qu'on jouait beaucoup. Les gens étaient formés par ce que l'on appelle la formation phénoménologique. C'est-à-dire qu'à force de jouer, on devient un bon joueur», analyse l'actuel entraîneur du KAC de Kénitra, qui s'offrait une trêve à Essaouira, avant de reprendre son bâton de pèlerin en prévision du championnat. Comme regagné par la fougue de jeunesse et l'esprit de rivalité d'antan entre quartiers, Louzani, fier, ne peut s'empêcher de faire les louanges de sa toute première équipe, celle de "Béni Antar", qui avait à ses yeux une caractéristique bien à elle."Béni Antar est un quartier en front de mer. En ce moment-là, on avait érigé une équipe très coriace. Aussi coriace que les tempêtes de mer", dit-il en souriant, avant de souligner: "Nous avions également la chance d'avoir commencé notre carrière avec d'anciens et excellents joueurs". A ce stade, impossible de ne pas évoquer le nom de Père Ahmed Souiri, un valeureux cadre national qui a marqué de ses empreintes le parcours du jeune Louzani et de beaucoup d'autres. Parler de son quartier revient également à décortiquer l'histoire du surnom "Bahala" qu'il porte depuis son plus jeune âge. "C'est tout simplement le diminutif de Abdelkhalek. Quand nous étions enfants, mon frère, qui apprenait encore à parler, m'appelait Bahala. Et comme on était inséparables et qu'il m'appelait toujours ainsi, j'ai hérité de ce surnom. Maintenant, je suis Bahala pour tous mes intimes", a-t-il expliqué. A cette époque, une fois repérés par les prospecteurs, les talents en herbe quittaient le monde spontané et innocent des quartiers -les plages dans le cas d'Essaouira- pour un autre plus structuré, plus discipliné et plus sérieux quoique encore amateur-, à savoir celui des clubs locaux qui offraient pour certains -ils étaient rares vu la concurrence acharnée-, une tête de pont pour des horizons plus larges. Sur ce registre, Essaouira n'avait rien à envier aux villes qui s'imposaient dans les chroniques sportives nationales. Et c'est à travers l'un de ces clubs que Louzani fera le grand saut vers le vaste univers du football professionnel."Il y avait deux équipes qui se partageaient toute la pépinière d'Essaouira. Il s'agit d'Amal Essaouira, qui jouait à l'époque en deuxième division, et Annassre, qui évoluait en troisième division, mais n'existe plus actuellement. C'était une bonne chose puisqu'une équipe ne pouvait pas, à elle seule, gérer tous ce potentiel", se souvient Louzani, qui optera pour Amal Essaouira pour son début de carrière. Ce pas crucial n'était que le début d'un parcours de combattant, dans un univers où les places se payaient cher. "A Amal Essaouira, on avait 45 joueurs, qui se valaient tous. On allait jouer le championnat dans la zone Sud (il y avait deux zones: Nord et Sud). Nos matches les plus en vue étaient ceux disputés à Rabat", raconte-t-il, avant de poursuivre : "Mon premier match était contre le FUS de Rabat dans le début des années 60. J'avais 14 ans à l'époque. J'étais juste collégien. Depuis, je n'ai pas cessé de progresser. Et peu après je suis parti en Belgique". Rejoindre à un si jeune âge le RSC Anderlecht, un des meilleurs clubs de Belgique et d'Europe à l'époque, après seulement deux ou trois années passées dans les rangs d'une équipe de deuxième division nationale, représentant une toute petite ville ! Voilà un luxe que rares sont les footballeurs qui en bénéficient. "En 1962, on jouait un match de la Coupe du Trône à Casablanca, contre une équipe qui s'appelait Al Mechaâl et qui n'existe plus. Après avoir terminé, j'ai été approché par M. Ntifi, patron du RAC et secrétaire général de la Fédération de football à l'époque, et le secrétaire général d'Anderlecht. Ce dernier m'a demandé si ça m'intéressait de venir jouer à son équipe. J'ai dit oui. J'avais alors 17 ans. C'est comme ça que je suis parti à Anderlecht", se souvient-il. Et d'ajouter, en sourire, étant jeune à l'époque, "je n'avais peur de rien. J'étais vraiment inconscient de la difficulté que j'allais trouver là-bas"."Une fois là-bas, on m'a intégré directement au centre de formation, où j'ai terminé l'année, avant de commencer à jouer pour l'équipe à l'âge de 18 ans, à un moment où il n'y avait que les internationaux qui jouaient à Anderlecht. Il y avait des Hollandais, des Luxembourgeois, des Anglais. J'étais le seul joueur qui n'était pas capé (jouait pour l'équipe nationale)", se rappelle-t-il, avant de conclure: "là-bas (en Belgique), j'ai appris à jouer au football. A Essaouira je m'amusais à jouer du football".C'est ainsi que le jeune souiri gagna le large pour mener une belle carrière de joueur, avant de se reverser dans le monde de l'encadrement et rentrer au pays. En tant qu'entraîneur, il connut des hauts et des bas, mais surtout, il a dû lutter contre des pratiques footballistiques qu'il jugeait anti-professionnelles. D'ailleurs, convaincu et persévérant qu'il est, tout comme la mer qui était témoin de ses débuts, il continue toujours de les dénoncer ouvertement. Voilà un portrait d'un homme fin connaisseur du football marocain qui a également brillé en équipe nationale quand il fut entraîneur des Lions de l'Atlas à l'aube des années de 1990. Louzani a réussi un parcours des plus honorables avec l'équipe du Maroc qu'il a pratiquement qualifiée en Coupe du Monde de 1994 aux Etats-Unis. Louzani ne lui restait qu'un seul match qualificatif contre la Zambie où feu Abdellah Blinda a été chargé pour assurer l'intérim...