Le CNDH lance un cri d'alarme Sans complaisance aucune et sans exagération, le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) a mis en garde, lundi dernier, dans un rapport alarmant sur les centres de sauvegarde de l'enfance (CSE) contre «le danger» que les pensionnaires de ces établissements encourent et les conditions dégradantes qui leur sont réservées dans ces fourre-tout. «J'ai peur la nuit, les autres enfants sont méchants et plus forts que moi», a confié un enfant aux enquêteurs du CNDH, qui précise que «pour des raisons éthiques, il a été difficile d'aborder avec les enfants le sujet relatif aux abus sexuels». Le rapport note toutefois que certains encadrants ont relevé lors des entretiens «l'existence d'abus sexuels entre enfants et ce d'autant que certains enfants jugés pour viols sur enfants partagent les mêmes dortoirs avec de très jeunes enfants». Selon le CNDH, les enfants sont exposés à diverses formes de violences physiques et/ou morales, exercées soit par certains éducateurs, soit par d'autres enfants. Les enfants les moins âgés ont fait état de violence et d'abus exercés sur eux par les enfants plus âgés, plus forts ou violents. Ils ont d'ailleurs exprimé leurs craintes et angoisses surtout la nuit. Il a également été constaté lors des visites que faute d'éducateur disponible, la responsabilité d'un groupe d'enfants est parfois confiée à un autre enfant, lequel –responsable-, fort de ses prérogatives, peut être violent à l'égard de ceux dont il assure la garde, note le rapport. Le mélange d'enfants, le manque d'intimité dans les dortoirs et l'insuffisance d'encadrement constituent des facteurs de risques d'agressivité et de violence et peuvent créer des tensions entre les enfants. Le rapport révèle qu'un grand nombre d'enfants interviewés affirment que la violence physique est l'outil «pédagogique» qui est utilisé pour discipliner les enfants. Ces châtiments corporels revêtent plusieurs formes: flagellation avec des tuyaux, coups de bâton, gifles, etc. Les enfants ont également souligné l'existence d'autres moyens de discipline, tels que la privation d'accès à certaines activités (loisirs, sorties, sport), les insultes et les brimades. Certaines sanctions sont collectives lorsque tout un groupe est puni pour le comportement de l'un de ses membres. Après de telles punitions, aucune explication n'est donnée aux enfants qui considèrent cela comme une injustice. Les enfants sont perçus par quelques membres du personnel encadrant comme des criminels, des enfants mal éduqués et des fauteurs de troubles qui ne réussiront jamais leur vie. Certains éducateurs ont déclaré lors des entretiens que la violence est le seul moyen pour «corriger» les enfants et que les sanctions qui ne recourent pas à la violence ne sont pas utiles avec cette «catégorie» d'enfants. En effet, à l'exception de certains éducateurs qui ont des qualités pédagogiques, cités d'ailleurs comme modèles par les enfants interviewés (qualités observées lors des visites), les relations entre les enfants et les éducateurs restent empreintes de violences physiques et morales qui démontrent la volonté des éducateurs de contrôler et de «discipliner» les enfants. «Mr X nous insulte avec des mots que vous ne pouvez même pas entendre. Parfois il fait subir à des enfants des traitements inhumains, il nous frappe et nous gifle. Il n'arrête pas de nous dire «vous êtes là pour être éduqués et si vous ne vous soumettez pas, je saurai le faire». On pense qu'il a des problèmes lui aussi à l'extérieur, c'est pour ça qu'il est violent, personne ne l'aime ici. Les autres éducateurs sont différents, ils sont sympathiques et nous aident à résoudre nos problèmes, on les aime beaucoup», lit-on dans le témoignage d'un enfant cité dans le rapport. L'enquête précise par ailleurs que le placement des enfants dans les centres de sauvegarde de l'enfance n'est conforme ni aux standards de la Convention internationale relative aux droits de l'Enfant (CDE), ni aux principes régissant la justice des mineurs. D'après les auteurs de ce rapport très inquiétant sur le sort de cette catégorie sociale, le placement en institution et la privation de liberté constituent souvent le premier recours pour caser les enfants dans ces établissements que sont les centres de sauvegarde de l'enfance (CSE). Le bilan est catastrophique pour ces CSE, devenus des fourre-tout. On y interne des enfants dont les profils, les âges et les situations sont très variés, ce qui fait que les enfants en situation difficile (les enfants abandonnés et les enfants de la rue) partagent les mêmes espaces avec les enfants en conflit avec la loi, un mélange qui ne permet pas une prise en charge adaptée et pose le problème de la protection des enfants vulnérables, notamment ceux âgés de moins 12 ans et les enfants en situation de handicap. Globalement, les conditions de vie (hébergement, hygiène et alimentation) dans ces centres, qui ne sont pas régis par des normes conformes aux standards internationaux, ne garantissent pas les droits fondamentaux des enfants placés, en particulier les droits à la santé, à l'intégrité physique, à la protection contre toutes les formes de violence, d'abus et d'exploitation, à une rééducation appropriée et à la participation, déplore le CNDH. Le même constat s'applique au droit de ces enfants d'être entendus, protégés et assistés légalement tout au long du processus judiciaire. Tout en rappelant l'importance des acquis réalisés au niveau de la justice des mineurs, à l'issue de la mise en conformité des lois nationales avec les dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l'enfance (réformes du Code pénal et du Code de procédure pénale), le rapport en appelle au gouvernement pour la mise en place d'une politique nationale de protection intégrée des enfants basée sur l'application des principes généraux et dispositions de la CDE. Cette politique nationale de protection intégrée des enfants devrait englober une justice adaptée aux enfants, les programmes de prise en charge globale et de suivi aisément accessibles aux enfants en contact avec la loi, qu'ils soient victimes, témoins, auteurs ou en situation difficile, les programmes de soutien familial et d'aide à la parentalité, la prévention, les mesures alternatives à la privation de liberté et les mesures alternatives à l'institutionnalisation. Cette politique devrait être dotée des moyens humains et matériels nécessaires et être assujettie à des mécanismes de suivi-évaluation et d'imputabilité sans oublier de désigner clairement l'Instance en charge de coordonner la mise en œuvre et le suivi de la politique nationale de protection intégrée des enfants et de clarifier les rôles et les responsabilités des principaux ministères et départements concernés, notamment le ministère de la Justice et des Libertés, le ministère de la Jeunesse et des Sports, et le ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille, et du développement social et l'Entraide nationale. En matière de formation et de renforcement des capacités, le CNDH recommande de mettre en place une stratégie de formation (initiale et continue) des différents acteurs intervenant auprès des enfants en contact avec la loi (officiers de police/gendarmerie, juges, procureurs, juges d'instruction, équipes éducatives et directeurs des centres, assistantes sociales/enquêteuses familiales, avocats). En attendant, le rapport appelle à une révision des mesures judiciaires prises, afin de faire bénéficier les enfants des garanties prévues par la loi, d'évaluer la situation sanitaire des enfants et leur fournir les soins nécessaires, de procéder rapidement aux enquêtes familiales en attente afin de permettre aux juges de revoir la décision de placement de certains enfants et de réintégrer ces enfants dans leur famille quand cela est possible et ce, bien entendu, dans l'intérêt de l'enfant. Selon les rédacteurs du rapport, il est impératif de procéder à l'organisation le plus tôt possible d'un colloque national sur ces fameux Centres de protection de l'enfance avec la participation de toutes les parties concernées dans l'objectif ultime d'élaborer une politique globale et intégrée de protection des droits des enfants. Il est temps de redresser la situation, a estimé le président du CNDH, Driss El Yazami, qui présentait, lors d'une conférence de presse organisée lundi les grandes lignes de ce rapport intitulé «Enfants dans les centres de sauvegarde : une enfance en danger, pour une politique de protection intégrée de l'enfant». La méthodologie participative adoptée lors de cette enquête a intégré tous les acteurs publics (au niveau central et local) et associatifs, les enfants et les familles, et a pris en compte la dimension genre. L'une de ses principales étapes a été l'enquête de terrain dont la visite de 17 CSE, qui sont des établissements socio-éducatifs relevant du ministère de la Jeunesse et des sports et qui accueillent, sur décision judiciaire, des enfants en conflit avec la loi ainsi que des enfants en situation difficile. Ils ont pour missions d'assurer la rééducation et la réinsertion des enfants placés. Composés de 3 sections (les sections d'observation, les sections de rééducation et les foyers d'action sociale), les CSE sont au nombre de 20 (nationaux, régionaux et foyers d'action sociale), 3 d'entre eux sont actuellement fermés pour mise à niveau. Ainsi, la capacité d'accueil totale des 17 CSE ouverts est de 1852 places (1252 pour les garçons et 600 pour les filles), mais leur taux d'occupation fluctue fortement et leur répartition géographique est inégale.