Espace ou territoire ? Espace ou territoire ? Laquelle des deux approches cadre mieux avec la stratégie du développement durable dans le contexte des discussions et débats actuels sur l'après 2015 des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ? Il est permis de poser une telle question dans la perspective de la régionalisation avancée projetée par notre pays. L'espace, on le sait, renvoie à la verticalité des économistes, une sorte de parachutage du capital visant l'exploitation à outrance des richesses sans se soucier de l'impact de l'acte de produire sur le milieu environnant (localité, ville ou région). Le mode de production colonial illustre parfaitement cette approche en termes d'espace : une infrastructure sur mesure, juste le nécessaire, sera mise en place pour relier les centres névralgiques (gisements miniers, terres fertiles) avec les ports pour une exportation vers la métropole. L'aspect radial est d'ailleurs caractéristique des liaisons routières et ferroviaires léguées par le système colonial, en ce sens que les routes ne desservent que rarement les pays qu'elles traversent. L'orientation unidirectionnelle du rail, véritable arc (Marrakech-Oujda) sans dimension intérieure, absence des liaisons (Marrakech-Ouarzazate ou Agadir), (Meknès- Errachidia) ou encore (Oujda-Figuig) corrobore le caractère radial des liaisons précité. Deux autres exemples puisés dans la phase postcoloniale vont nous permettre d'étayer l'impact négatif de l'approche en termes d'espace sur deux secteurs, en l'occurrence la pêche et l'agriculture. Le premier accord de pêche avec l'Union européenne (Accord de 1995) s'est traduit par une exploitation excessive de la ressource halieutique, sans respect du repos biologique, notamment de la part des armateurs espagnols. Notons que le Maroc s'est rattrapé lors des derniers rounds de négociation en insistant, entre autres, sur le respect du repos biologique pour une exploitation durable du secteur. L'exemple de l'agriculture nous vient de Houara (région de Taroudant), où l'approche en termes d'espace, dont le seul mobile est le profit, a conduit à l'épuisement de la nappe phréatique. Les cas conduits ici, brièvement, sont donnés à titre d'exemple pour montrer les limites d'un modèle de développement dont le seul mobile est le profit. C'est l'approche en termes d'espace qui a été reconduite par le Maroc postcolonial. Elle s'est traduite par un exode massif des populations vers les villes avec les conséquences que l'on connait : pression sur les services publics urbains, bidonvilles et habitat insalubre, chômage, délinquance et criminalité. Il s'agit d'un exode forcé, dû non à l'attractivité des villes mais à l'effet répulsif des campagnes. A titre comparatif, la révolution industrielle en Angleterre est précédée par une révolution verte. La mécanisation de l'agriculture a permis de dégager une main d'œuvre rurale, vite absorbée par l'industrie dans les villes. L'alternative, pour un développement durable et intégré, suppose de substituer à l'approche en terme d'espace une approche en terme de territoire. Le territoire, lieu chargé d'histoire (des joies mais aussi des souffrances), renvoie à une vision transversale, intégrée et systémique où, à côté de l'économique se mêlent le politique, le social, l'écologique, le culturel... Désormais, l'espace est un ensemble de territoires. Le territoire satisfait au concept de "Glocalisation" (développement global ou mondial à partir du local), terme émergé du contexte du début des années quatre vingt du siècle dernier pour décrire le modèle nippon de développement. En effet, dans ce pays du soleil couchant, même si les entreprises évoluent dans un contexte mondial, elles restent localisées spatialement, c'est-à-dire qu'elles tirent le secret de leur réussite des spécificités locales. C'est cette approche, en termes de territoire, qui permettra donc de valoriser l'atout du Maroc : contraste géographique et de reliefs (deux mers, les fleuves, les montagnes et les sables (Sahara) facteurs à valoriser pour que la destination Maroc soit prisée) doublé d'une diversité culturelle, source de fierté et de richesse. Approche qui permettra ensuite de mettre en place sur le terrain, dans le cadre de la régionalisation avancée, les stratégies sectorielles projetées par le Maroc. Il s'agit, en l'occurrence, des plans Halieutis (pêche), Maroc vert (agriculture), Emergence (industrie), Rawaj (commerce), Maroc Numeric (NTIC) et Azur (tourisme). Approche qui autorise, enfin, l'aspect managérial dans la gestion de l'espace via la norme ISO14001, norme qui renvoie dans ses chapitres et articles aux questions sur l'environnement et développement durable. Ainsi, l'approche en termes de territoire interpelle, par conséquent, les décideurs locaux et régionaux (walis, gouverneurs, agents d'autorité, élus) à agir en gestionnaires pour un aménagement durable des territoires garantissant une triple solidarité spatiale (inter-régions), sociale (inter-catégories sociales), et temporelle (inter-générations). * Enseignant chercheur, Université Cadi Ayyad Marrakech