Des femmes ordinaires... au combat extraordinaire Loin des feux de la rampe, au Centre d'Azrou pour le développement communautaire, au cœur du Moyen Atlas, des femmes issues de milieux défavorisés sortent de leur rôle de victimes, se retrouvent, s'organisent et assurent...Un vrai travail de fourmis. Reportage. Les trombes d'eau qui s'abattaient ce mercredi 6 mars sur la ville d'Azrou n'ont pas découragé Zahra (nous l'appellerons ainsi suite à sa demande) à se déplacer au Centre. Les trente ans révolus, divorcée et mère d'une jeune fille de 5 ans, Zahra, est à l'image d'une centaine d'autres femmes qui ne veulent en aucun cas rater leurs séances gratuites de travaux manuels ou leurs cours d'alphabétisations dispensés régulièrement au Centre d'Azrou pour le développement communautaire, une entité relevant de l'Université Al Akhawayn d'Ifrane. Parmi ses voisins au quartier El Kechla, Zahra tire aujourd'hui orgueil d'avoir «tenu tête», il y a trois ans, a un ministre marocain devant un parterre de personnalités en répondant, « je suis une prostituée qui en a marre tout en lançant des piques critiques contre la politique de l'Etat concernant les conditions de vie des femmes rurales. » « Sans trembler », insiste telle à souligner. Sortir de l'ombre Le comportement de Zahra témoigne, s'il en est, «du travail fourni pour forger la personnalité et l'esprit critique au sein des bénéficiaires des services du centre.» Militant des droits humains et acteur associatif local, Hassan explique : « Une majorité de femmes de la région sont démunies et écrasées par le poids de la marginalisation. Elles trouvent alors au centre l'occasion de libérer leurs énergies, confrontent leurs expériences et leurs savoirs, sortent leurs états de victimes, se reconstruisent et deviennent à leur tour des relais pour les autres. » Pour Zahra dont le parcours est un condensé des souffrances que vivent des femmes de cette région montagneuse notamment la misère et l'analphabétisme avec comme corollaire l'exclusion sociale, la prostitution ou le délien familial, le centre d'Azrou c'est « notre espace de respiration pour échapper certes à des situations matérielles très dures ». Mais aussi « pour espérer une autre vie, meilleure, est possible », soupire-t- elle. Au fond de sa petite boutique coincée dans une venelle de l'ancienne médina, Zahra, qui a réussi à monter sa propre entreprise de bonneterie grâce à un financement bancaire, laisse défiler le chapelet des souffrances subies durant des années : dix années de maltraitance comme bonne, un accident sexuel, de la prostitution, de la prison et un enfant sur les bras. Et puis la délivrance : « grâce au centre, j'ai été ressuscité et j'ai appris ce que veut dire la dignité ». Dans le quartier de Zahra, des femmes autrefois cataloguées comme « professionnelles du sexe », se sont parvenues à realiser, elles aussi, « des activités économiques dignes » alors que d'autres se sont tournés vers l'INDH pour demander un financement de leurs projets dans le cadre des activités génératrices de revenues. On les trouve un peu partout : Qui dirige un salon de coiffure, qui une gargotte qui un atelier de couture. Au niveau de la province d'Ifrane, pas moins de 97 projets d'un montant de 7,5 millions DH ont été financés par l'INDH durant la phase 2005-2010. Situé à quelques pâté de maisons des quartiers dits «difficiles» de la ville du Rocher où se concentre d'ailleurs le taux le plus élevé des foyers pauvres, le centre d'Azrou a, depuis son démarrage en octobre 2002, bouleversé les habitudes des femmes de ces quartiers qui au fil des années ont pris de l'assurance, « plus audacieuses et capables de dire non », explique Mme Benbella, la directrice du centre. Aujourd'hui, ajoute Mme Benbella, « ces femmes expriment surtout le besoin d'être ensemble, de discuter, d'être écoutées et reconnues.» Visibles, dynamiques et courageuses, les femmes du Centre, comme n aime bien les appeler, sont devenues le parangon du défi et de l'abnégation qui, malgré un quotidien dur, ne baissent pas les bras et militent chaque jour pour sortir de l'ombre. **** Trois questions à Mme Malika Benbella, directrice du Centre d'Azrou pour le développement communautaire Al Bayane : En quoi consiste la mission du Centre d'Azrou pour le développement communautaire ? Malika Benbella : Le Centre d'Azrou qui relève de l'Université Al Akhawayn d'Ifrane a pour mission principale l'amélioration des conditions de vie de la population vulnérable de la ville d'Azrou notamment les femmes et les jeunes filles en situation difficile et la participation au développement économique et social de cette région. Dans ce sens, nous concentrons nos activités sur quatre axes principaux : le volet médical à travers lequel nous offrons des services de consultations médicales et nous organisons des campagnes spécialisées au profit de la population non seulement à Azrou mais aussi dans les zones rurales dans la région. Le volet de la formation au profit des diplômés en quête d'emploi. Nous offrons dans ce cadre 3 filières : informatique et développement web, commerce, infographie, audio-visuel en plus de la filière coiffure et esthétique destinée aux filles ayant un niveau moyen d'instruction. Bien entendu tous nos services sont offerts gratuitement aux bénéficiaires. L'alphabétisation fonctionnelle des adultes, principalement les femmes et les jeunes filles non scolarisées. Cette alphabétisation est complétée par des programmes de formation professionnelle qui permettent aux bénéficiaires d'apprendre des métiers et créer des coopératives de production génératrices de revenus (tissage horizontal, coupe et couture, broderie...etc.). Ce programme est également accompagné de plusieurs séances de sensibilisation telles que : la planification familiale, l'éducation sanitaire, les droits de l'homme, le code de la famille, les MST/SIDA, la citoyenneté... L'éducation non formelle a pour but de sauver les enfants de la rue, les accueillir et les réintégrer ultérieurement dans le système d'enseignement public ou dans les cycles de la formation professionnelle. Dix ans après la création du centre, quel bilan tirez-vous de vos actions ? En réalité le Centre a dépassé les objectifs qui lui ont été fixés au départ, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Il est ainsi devenu un pilier de l'action sociale dans la région d'Azrou. En termes de chiffres, ce sont de milliers de femmes qui ont bénéficié de nos services éducatifs et médicaux, et ce sont des centaines de jeunes diplômés qui ont pu intégrer le marché du travail grâce aux formations acquises au Centre. Nous avons introduit l'activité du tissage horizontal (production du tissu) dans la ville d'Azrou et formé des femmes qui ont fini par créer une coopérative aujourd'hui en activité dans le complexe artisanal de la ville d'Azrou. L'impact des activités du centre s'étend en outre au comportement et aux attitudes de plus en plus positives et constructives des femmes et des bénéficiaires en général. Ainsi des personnes qui sont venues solliciter de l'aide deviennent elles-mêmes des personnes ressources avides de contribuer à leur tour à la lutte contre la pauvreté et contre l'ignorance. De nombreuses activités permettent aussi de découvrir de jeunes talents et de leur ouvrir de nouveaux horizons. A travers vos actions de proximité et vos expériences sur le terrain, comment évaluez-vous la situation de la femme en zone de montagne? La situation de la femme dans cette région n'est pas enviable, elle n'est pas plus dramatique que dans les autres régions de notre pays. Mais la pauvreté, l'analphabétisme, le chômage sont des facteurs qui renforcent la précarité de la situation, notamment des jeunes filles et des femmes. Nos actions nous ont permis d'observer parfois des situations dramatiques et très difficiles mais la majorité de ces citoyens et des citoyennes de cette région demeurent fiers et pudiques malgré les conditions difficiles. De notre côté, nous réfutons le misérabilisme et le défaitisme. Nous préférons travailler et militer pour créer un environnement favorable au travail, à la créativité, à la solidarité et à l'épanouissement des citoyens. Notre travail consiste à faire face aux facteurs négatifs. Il ne faudrait néanmoins pas se leurrer car beaucoup reste à faire. Et le développement social durable souhaité exige davantage d'efforts de la part de tous les acteurs de la société.