Le forum national sur l'Amazighité, dont la 3ème édition a eu lieu jeudi à Rabat, a appelé tous les acteurs œuvrant en faveur de la cause amazighe à conjuguer leurs efforts et à faire preuve de lobbying et de pressions en vue de mettre en œuvre sans plus tarder les dispositions constitutionnelles concernant l'officialisation de l'Amazighité, telle que prévue dans la Constitution de 2011. Selon l'article 5 de la Constitution, «...l'amazighe constitue une langue officielle de l'Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception ». Chaâbi : formuler des propositions réalistes et réalisables Commentant ce texte dans un exposé présenté au cours de la deuxième séance de cette rencontre, tenue sous la présidence de Mohammed Salou, membre du Comité central (CC) du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Hussein Chaâbi, coordonnateur national du secteur de la culture et de la communication et membre du CC du PPS, a indiqué qu'il ne faut pas minimiser la portée de la constitutionnalisation de l'Amazighité tout en ayant à l'esprit les sacrifices du mouvement amazigh au cours des dernières décennies. Pour aller de l'avant, il a estimé nécessaire de sa débarrasser des séquelles du passé pour se consacrer à la nouvelle étape qui requiert davantage d'efforts pour faire du lobbying en vue de mettre en pratique les nouvelles dispositions constitutionnelles. Il est temps de mettre en place un groupe de pression et de lobbying capable de produire des initiatives et des propositions constructives dans ce domaine, a-t-il expliqué, recommandant aux partis politiques, associations et membres du mouvement amazigh de formuler des propositions réalistes et réalisables et de passer des discours de protestation à un travail de lobbying pour faire aboutir le chantier en cours. La Constitution du 1er juillet 2011 comporte suffisamment de dispositions qui considèrent la langue amazighe comme langue officielle, a-t-il rappelé, précisant que cela ne se limite pas à l'article 5. Il a en outre indiqué que la classification des priorités dont on parle ne signifie pas qu'il faut décréter une période d''attente, au contraire, a-t-il dit, cela signifie qu'il faut immédiatement établir un agenda précis pour le processus de cette officialisation. Il faut activer aussi la mise en œuvre des propositions susceptibles d'aider à l'élaboration dans les plus brefs délais de la loi cadre de l'Amazighité, a-t-il ajouté, expliquant que l'officialisation sera réalisée en deux étapes, la première à caractère symbolique est liée à l'âme même de la nation et se manifeste essentiellement dans les domaines de la culture, de la création et de la communication, la seconde d'ordre matériel a trait aux intérêts vitaux et quotidiens du citoyen tels l'enseignement, la santé, la justice et l'Administration. Toutes ces questions et bien d'autres ne doivent pas nous faire oublier qu'elles restent tributaires des dépenses publiques, question qui ne doit pas être perdue de vue au cours de tout le processus d'officialisation. Il s'est ensuite interrogé sur la composition future du Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment, selon la Constitution «de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d'inspiration contemporaine. Il regroupe l'ensemble des institutions concernées par ces domaines». Selon Chaâbi, il est temps de prendre les dispositions nécessaires pour éviter que ce Conseil ne soit l'image de l'ex Conseil suprême de la culture, qui était un conseil de «façade sans valeur aucune». Il faut parvenir à un accord sur les composantes de ce conseil et des intervenants ainsi que sur ses attributions et ses structures nationale et régionales, a-t-il estimé, insistant sur la nécessité pour ce Conseil d'avoir un pouvoir de délibération sur les stratégies et politiques publiques dans le domaine culturel et linguistique. Pou sa part, Mme Meryem Demnati, membre de l'observatoire amazigh des droits et libertés a tiré la sonnette d'alarme sur le fait que la langue amazigh est en voie d'extinction, en raison du «choix des élites depuis des décennies pour la disparition de cette langue en empêchant sa transmission d'une génération à une autre contrairement à d'autres langues dont le dialecte marocain de la Darija». Elle a dénoncé dans ce cadre l'absence totale de l'Amazigh dans la vie publique des Marocains, contrairement à la Darija et le manque des acteurs amazighs dans nombre d'établissements, ce qui s'est traduit, selon elle, par une diminution des personnes parlant la langue amazighe, du fait du manque des moyens pédagogiques d'apprentissage. Demnati : le PPS fidèle à l'Amazighité Elle a par ailleurs rendu hommage au PPS, «un allié fidèle du mouvement amazigh», dont les positions ont permis de faire face au « courant arabe et islamique hostile à l'amazighité ». Elle a par ailleurs appelé à la poursuite du combat jusqu'à la reconnaissance totale de la langue, de la culture et de l'identité amzighes, car la manière d'officialisation de l'amazighité dans la constitution de 2011 n'a pas été au niveau des attentes du mouvement amazigh, a-t-elle estimé. Evoquant la question des priorités, elle a indiqué que l'établissement de cet agenda ne doit pas faire retarder les échéances, appelant à davantage de mobilisation jusqu'à l'achèvement de ce chantier. Laâraj : l'officialisation de l'Amazighité ne se limite pas à la langue amazighe De son côte, M. Youssef Laâraj, membre du réseau amazigh de citoyenneté, a estimé qu'il impossible de mettre en œuvre les dispositions de la Constitution relatives à l'Amazighité en dehors des principes de la parité, de l'égalité et de l'abolition de toutes les formes de discrimination à l'encontre de l'Amazighité y compris les noms amazighs. Le mouvement culturel amazigh doit faire preuve de créativité et d'imagination pour présenter des alternatives dans ce domaine, a-t-il ajouté, rappelant que l'officialisation de l'Amazighité ne se limite pas à la langue amazighe mais s'étend également à la participation des citoyens dans l'œuvre du développement du pays et à la répartition équitable des richesses créées. Pour lui, l'Amazighité est un système de valeurs dont il faut tenir compte dans son ensemble. Il a fait savoir aussi que le réseau amazigh de citoyenneté a réalisé une étude sur les secteurs de l'enseignement, de la communication, de l'administration territoriale et de la justice, qui propose une série de solutions aux problèmes recensés. Il s'est en outre prononcé pour une révision de la charte communale dans le but de dépasser les obstacles qui entravent la promotion de l'Amazighité notamment au niveau local, qui requiert une approche locale rénovée. Il a fait savoir dans ce cadre que le réseau a élaboré un avant projet de la loi cadre de mise en œuvre de l'officialisation de l'Amazighité, rappelant que la société civile a le devoir de formuler des propositions et initiatives et que le responsable politique se doit d'assumer son rôle de mise en œuvre des propositions adoptées. Selon le réseau amazigh pour la citoyenneté, quatre priorités doivent être retenues, à savoir l'enseignement, la communication, la justice et le droit, a-t-il ajouté, rappelant qu'une série de lois encore en vigueur sont anticonstitutionnelles et qu'il est temps de les abroger. Il est également nécessaire de revoir le système des collectivités locales, précisant que le succès de l'officialisation de l'Amazighité est tributaire de la refonte de tout le dispositif concernant les collectivités territoriales. Nombre d'autres intervenants ont souligné la portée de l'initiative du PPS d'avoir lancé ce forum annuel, devenu un espace de dialogue et d'échange d'idées sur un sujet aussi décisif concernant le destin même de l'Amazighité au Maroc et ailleurs, et appelé à la mise en place d'un plan d'urgence dans le cadre de la loi de finances pour la promotion de la langue et culture amazighes. Selon les intervenants, la promotion de la langue et culture amazighes doit s'effectuer dans le cadre de la réconciliation de la nation avec son histoire et passé tout entiers. Tous les intervenants ont été unanimes à appeler aussi à traiter la question des langues sur un pied d'égalité entre l'Arabe et l'Amazigh sans distinction aucune et selon le principe de la corrélation de la responsabilité avec la reddition des comptes et de la bonne gouvernance. Ils ont appelé aussi à accorder aux habitants des montagnes toute l'attention requise, selon de nouvelles approches purement amazighes de leur espace et proposé au ministère de la Culture de faire de la question de l'Amazighité une cause centrale dans ses programmes, car l'Amazighité est la culture première et initiale du pays et qui mérite de ce fait tous les égards. Une déclaration générale a été adoptée au terme de ce forum, le 3ème du genre, après ceux de Rabat de 2010 et d'Ifrane de 2011, initiés par le PPS en partenariat avec les organisations et activistes opérant à la faveur de la cause Amazighe au Maroc. Quelques repères : *L'article 5 de la Constitution stipule : « L'arabe demeure la langue officielle de l'Etat. L'Etat oeuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu'à la promotion de son utilisation. De même, l'amazighe constitue une langue officielle de l'Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle. L'Etat œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l'identité culturelle marocaine unie, ainsi qu'à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l'apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu'outils de communication, d'intégration et d'interaction avec la société du savoir, et d'ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines. Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d'inspiration contemporaine. Il regroupe l'ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement ». *Le discours d'Ajdir (province de Khénifra) du 17 octobre 2001 : Ce discours, prononcé par SM le roi Mohammed VI, s'inscrit dans le cadre général du processus de démocratisation du Maroc. Il marque ainsi la reconnaissance de la composante amazighe dans le contexte pluriculturel marocain, dans ses dimensions de langue, de culture et d'histoire, tout en sachant que l'Amazighité va faire désormais partie intégrante du paysage culturel marocain global. Le discours a été prononcé lors de la cérémonie d'apposition du sceau chérifien scellant le dahir créant et organisant l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM). La diversité culturelle marocaine, un acquis historique et géographique : la culture marocaine est riche par ses affluents culturels amazighs, arabes, islamiques, juifs, méditerranéens, romains et même puniques, ce qui fait maintenant la fierté de tous les démocrates.