Depuis quelques temps, surtout après certains dérapages déontologiques qui frisent l'anti-journalisme, la presse électronique suscite un débat public sur sa place dans le paysage médiatique. Tout le monde en parle et s'accorde à dire que cette presse, certes sans frontières, ne doit pas pour autant échapper à la réglementation et transgresser délibérément les fondamentaux de l'éthique. Une nécessité de réglementation plus que jamais à l'ordre du jour, surtout après les dérapages commis par certains sites, publiant notamment des informations erronées ainsi qu'un photomontage grossier sur les événements qui se sont produits à Taza en février dernier. Ce qui a amené le chef de gouvernement, M. Abdelilah Benkiran à condamner fermement l'attitude irresponsable de «certains organes de presse, notamment électroniques, qui ont inventé et amplifié ces incidents en véhiculant de fausses informations, induisant ainsi en erreur l'opinion publique et violant de ce fait la loi et les principes de déontologie qui exigent la rigueur et la nécessité de vérifier l'information». Ce désir de réglementation a été réaffirmé dernièrement lors d'une journée de réflexion sur la presse électronique organisée il y a un mois, le 10 mars à Rabat par le ministère de tutelle où le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi a mis les points sur les i, soulignant l'urgence d'une réglementation de la presse électronique qui ne fera, selon lui, que renforcer la liberté de presse. Tout en assurant que la mise au point d'un cadre juridique favorable à l'éditeur et au journaliste est à même de consolider les garanties pour l'exercice de la liberté en toute responsabilité, il a mis en avant l'importance d'intégrer ce genre journalistique naissant dans la stratégie nationale pour le numérique de manière à lui garantir des conditions de travail appropriées sur le plan technique et technologique. D'où, pour lui, la nécessité d'une mise à niveau appropriée de la presse électronique qui aura droit au chapitre dans le nouveau code de la presse en préparation. Et c'est d'ailleurs l'avis des principaux acteurs dans la rédaction de ce texte tant attendu. Le Président du Syndicat National de la Presse Marocaine, Younès Moujahid, insiste sur le respect de l'éthique professionnelle car, pour lui, le progrès technologique, facteur certes d'affranchissement, peut donner lieu à des dérives inadmissibles en matière de déontologie. De même, le Président de la Fédération Marocaine des Editeurs de Journaux, Noureddine Miftah, a vivement condamné l'intrusion de certains sites électroniques dans la vie la vie privée des gens. Liberté et responsabilité Pour le directeur de l'hebdomadaire Al Ayam, la presse électronique ne doit pas inscrire sa démarche en opposition de la presse traditionnelle en papier mais au contraire s'en inspirer, d'autant que les deux genres cherchent à défendre les mêmes causes à savoir la liberté de la presse, l'accès à l'information, l'indépendance de la structure rédactionnelle, l'honorabilité de la profession ainsi que la viabilité de l'entreprise de presse. Mais avant d'espérer une réelle mise à niveau de la presse électronique, encore faut-il mettre de l'ordre dans la fourmilière ? Profitant de l'aubaine, le vide juridique (pas besoin d'une déclaration ou autorisation préalables), la liberté d'expression et aussi la facilité de créer un site d'information qui ne demande pas énormément de moyens techniques, financiers et humains, les sites électroniques se sont multipliés ces dernières années pour franchir, dit-on, la barre des 400. Quoique la majorité parmi eux restent des expériences personnelles, en manque de structure et de professionnalisme. Mais il n'en demeure pas moins que la presse électronique connaît véritablement une extraordinaire «success story». Preuve de ce succès grandissant, le nombre des visiteurs revendiqués par un site d'information qui dépasse 1 million par jour. Ce site lancé il y a de cela un peu plus de 5 ans avec un petit budget de 2000 DH, vaut aujourd'hui pas moins de 20 millions de dirhams. Forts de ce succès, les fondateurs de ce site s'apprêtent à lancer deux versions en français et en anglais, destinés principalement à la communauté marocaine à l'étranger et aussi pour étoffer les sites en langues étrangères qui restent très minoritaires dans un champ dominé nettement par les sites arabophones et même en Darija (dialecte). cette formidable poussée de la presse électronique, il est difficile, surtout pour le lecteur en ligne néophyte, de faire la part des choses et d'avoir à portée de clic la bonne information. Pour Jameleddine Ennaji, un expert en Médias qui a dirigé le débat national Médias et société, «nous assistons aujourd'hui aux balbutiements d'une entreprise de presse électronique, ce qui pose la question de faire le distinguo entre un journaliste professionnel et une personne qui utilise les moyens technologiques pour produire des informations ou simplement communiquer». Il indique que parmi les 303 recommandations issues de ce débat national, pas moins de 25 sont réservées à la presse électronique et contiennent 75 propositions concrètes. Notamment, la recommandation 259 qui préconise le financement des projets des jeunes dans le cadre d'un modèle économique concurrentiel et viable, ce qui suppose la définition d'un cadre juridique clair pour l'exercice de la profession. Pour se faire, il note que l'entreprise de presse électronique doit au moins être composée de deux personnes dont un journaliste, une diffusion périodique avec un renouvellement du contenu du site au moins trois fois par semaine durant une année. L'entreprise doit aussi être enregistrée dans les fichiers de la commission nationale pour la protection des données personnelles et se conformer aux clauses de la convention collective. Concernant les blogs, il fait la distinction entre un blogueur qui exprime son opinion et reste donc en dehors du registre et un blogueur qui propose des informations d'utilité publique auquel en revanche s'applique le code de la presse. Réinventer le journalisme Mais que pensent les professionnels de la presse électronique de cette nécessaire réglementation? A priori, ils sont dans leur majorité favorables à cette option quoique les avis restent partagés. Pour Noureddine Lachhab, un des fondateurs en février 2007 du site d'information Hespress, la réglementation est vivement souhaitée mais elle ne devrait pas, selon lui, «être un prétexte pour museler la presse électronique et limiter son champ de liberté». Pour lui, cette réglementation serait surtout la bienvenue pour mettre un terme à l'anarchie qui sévit dans le domaine en raison du fait que certains sites électroniques ne manifestent aucun respect pour la propriété intellectuelle et s'approprient le contenu des autres. Un plagiat très courant et récurent qui a amené cinq des principaux sites d'information les plus visités à poursuivre en justice un autre site pour ce motif. Pour se faire, il plaide pour un dialogue direct et sans intermédiaire avec le ministère de tutelle, annonçant dans la foulée l'intention de certains de ses confrères de s'associer dans le cadre d'une Fédération représentant uniquement les professionnels de la presse électronique, les seuls, selon lui, à être habilités pour soulever les problématiques du secteur et proposer des pistes de réflexion sur une éventuelle réglementation. Le chantier est donc lancé et la volonté du ministère de la communication est très affirmée mais encore faut-il que les premiers concernés par la réglementation de la presse électronique commencent par se structurer et inscrire leur pratique dans une démarche soucieuse des fondamentaux de l'éthique et de la déontologie. Et sur ce registre, il est évident que la profession a du pain sur la planche à commencer par le manque de professionnalisme et de rigueur en matière de traitement de l'information. Les sites d'information doivent aussi revoir leur conception de la liberté du commentaire. Et pour cause, en se contentant seulement d'un avertissement qui stipule que les opinions exprimées en réaction à un article ne concernent que leurs auteurs, ils laissent la voie libre aux dérapages les plus invraisemblables. Pire, ils offrent une tribune gratuite sous couvert d'anonymat, à certaines mauvaises langues pour déverser leur haine et tenir des propos diffamatoires à l'encontre des personnes et des institutions. Toute cette mise à niveau est nécessaire pour que la presse électronique ne soit pas victime de son succès et gâche l'immense opportunité que lui offre internet pour réinventer le journalisme. Car tout n'est pas permis au nom de la liberté.