La Constitution de juillet 2011 a conforté le bicaméralisme pour donner sa pleine substance à l'équilibre des pouvoirs, tout en consacrant la prééminence de la chambre des représentants. Un tel choix, fruit d'une longue maturation du système politique marocain depuis la première constitution de 1962, émane du souci d'assurer une meilleure articulation des attributions de l'institution législative pour qu'elle assume au mieux ses fonctions en matière législative, de contrôle de l'exécutif et d'évaluation des politiques publiques. Sans précédent, la nouvelle reconfiguration institutionnelle se révèle aussi bien à travers l'élargissement des compétences de la première chambre que par le recadrage des missions de la chambre des conseillers comme émanation des groupes socioéconomiques et reflet des composantes du système de régionalisation nouvellement instauré. La loi fondamentale accorde désormais au parlement des compétences élargies, avec octroi de la prépondérance à la première chambre, à laquelle revient le dernier mot dans la procédure législative et qui est seule habilitée à mettre en jeu la responsabilité du gouvernement par le dépôt d'une motion de censure. La deuxième chambre dispose en effet d'effectifs plus réduits (90 à 120 membres) et de prérogatives recentrées en vue d'un fonctionnement efficient et plus fluide du Parlement. Elle assure la représentation des collectivités territoriales (3/5), des syndicats et des organisations des employeurs (2/5), adossée à un rôle primordial en matière de collectivités territoriales et de questions sociales. Deux assemblees : une force-motrice et un garde-fou Depuis la première Constitution de l'ère de l'indépendance adoptée en 1962, un cheminement de 50 ans aura consolidé la place de choix de la chambre basse en tant que force motrice de l'institution législative, élue au suffrage universel direct pour cinq ans, mais dont le pouvoir est modéré par la Chambre des conseillers élue au suffrage indirect. La deuxième Chambre, investie d'un mandat de 6 ans, est “conçue comme un garde-fou dans un souci d'équilibre des pouvoirs et de maturation du débat et des projets politiques”, affirme l'universitaire Taher Bahbouhi dans un entretien à la MAP. “La philosophie qui la sous-tend en fait un parlement à part entière, conçu de manière à modérer l'ardeur de la chambre des députés élue au suffrage universel direct”, relève ce professeur de sciences politiques à la faculté de droit Rabat-Agdal. Pour ce politologue, “un conseiller a plutôt vocation à gérer des dossiers spécifiques avec un recul certain, sans trop subir de pressions liées aux ambitions politiques”. L'adoption définitive d'un texte, ajoute-t-il, implique son vote dans les mêmes termes par les deux assemblées à l'issue d'un mouvement de va-et-vient, communément appelé “navette parlementaire”. Cependant, le dernier mot dans tout le processus législatif revient à la première Chambre. Au commencement fut l'expérimentation Le parlement marocain en tant qu'incarnation de la volonté de la nation a pris place dans l'armature institutionnelle à partir de 1963, avec la constitution adoptée une année plus tôt. Composé d'une chambre des représentants de 144 membres et d'une chambre des conseillers de 120 membres, avec mandat de la moitié renouvelable tous les trois ans, le premier parlement n'a eu cependant qu'une vie de courte durée en raison de la proclamation de l'état d'exception en 1965. Les contingences du moment ont dicté au départ d'”engager une sorte d'expérimentation pour consacrer le modèle marocain de représentation parlementaire”, explique M. Bahbouhi. La deuxième législature, entamée cinq ans après en 1970, marque l'instauration du monocaméralisme pour la première fois de l'histoire du Maroc, mais sa durée fut encore plus brève (moins d'un an) abrégeant ainsi la vie de la chambre unique de 240 membres, dans la foulée des évènements de Skhirat. Ce n'est qu'en 1977 que commença la troisième législature (chambre à 267 membres), la première qui ira à son terme conformément aux dispositions de la Constitution de 1972, laquelle ne sera amendée qu'en 1980. Il s'en est suivi la législature débutant en 1984 (306 députés), soit la plus longue de toutes puisqu'elle fut exceptionnellement prorogée de deux ans sur décision de feu SM Hassan II, en rapport avec les développements de la cause nationale. L'expérience du monocaméralisme a été reconduite avec la Constitution de 1992, la quatrième depuis 1962, donnant lieu aux législatives de 1993. Il en est résulté un parlement de 333 représentants mandatés pour 6 ans, dont les deux tiers élus au suffrage direct. Elle fut cependant écourtée en raison de la réforme constitutionnelle du 13 septembre 1996 qui renoue avec le bicaméralisme. La Constitution de 1996 a cette particularité d'avoir conféré à la Chambre des conseillers (270 membres) presque autant de prérogatives que celles attribuées à la chambre des représentants (325 membres). A la lumière dans cette expérience mitigée, des voix se sont élevées pour réclamer le retour au monocaméralisme ou, du moins, la reconsidération des attributions de la 2e Chambre afin qu'elle ne soit plus une image dupliquée de la première. Ce sont là en substance les impératifs auxquels est venue répondre la Constitution de juillet 2011. C'est justement dans cet esprit que doit être appréhendé le chantier de révision profonde des attributions des deux chambres et d'organisation du pouvoir législatif, dans le sens de favoriser une plus grande complémentarité et de cristalliser les attentes de la nation en termes de pluralisme, d'équilibre des pouvoirs et de bonne gouvernance institutionnelle.