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À travers le prisme de la jalousie
Publié dans Albayane le 11 - 06 - 2010


Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
V. Hugo, La conscience Un après-midi, dans la salle de séjour, ma femme donne le biberon à notre petite fille Racha. Tout près de moi, à ma droite, Rim (cinq ans et quelques) suit ce spectacle madone avec le plus grand intérêt. Ma femme s'écrie, furieuse : «Mais regarde Rim ! Elle me dévore de ses yeux ! » Je tourne la tête : Rim observe sa mère et sa sœur d'une manière si étrange. Je me lève, je prends le biberon des mains de ma femme et l'offre à Rim. Celle-ci saisit le biberon avec une impatience fébrile, mordille la tétine et boit goulûment tout le contenu. Pour ne pas attiser davantage la colère de ma femme, j'essaie de lui expliquer la jalousie ressentie par notre aînée. Et ma femme de crier : «Je ne veux plus entendre ce mot dans ma maison. Me suffit ce que j'ai enduré avec ta folle mère jalouse.»
Sans mot dire, je m'éclipse dans ma chambre afin d'éviter une querelle de ménage. Quelques minutes après, j'entends frapper à la porte. J'ouvre. Rim (qui préfère m'appeler «petit fils», et moi je lui dis «petite mère») me demande : «Qu'est-ce que tu as, mon petit fils ?» «Rien, je suis un peu fatigué», lui dis-je. Elle me dit: «Pose ta tête sur moi, et la fatigue s'en ira toute seule. » Je pose la tête sur les petits genoux frêles de ma «petite mère»; s'ensuit une envie irrésistible de dormir. Ma fille, de son visage ensoleillé, se penche vers moi et me dit : «Hier tu m'as promis une histoire… je suis venue pour ça.» Je lui réponds : «Que puis-je dire ? Chose promise, chose due.» Et je commence ainsi mon histoire :
«Depuis des années, un homme vivait tranquille avec sa femme et ses enfants. Un jour il se réveilla, se prépara pour aller à son travail, se mit devant la glace pour se raser. Il s'y regarda. Pas de visage. Il s'y regarda de nouveau. Rien. Il prit peur. Il n'arrivait pas à en croire ses yeux : son visage s'était évanoui, évaporé… Il appela sa femme. Celle-ci se présenta devant lui. L'homme examina sa femme et lui demanda, angoissé: «Qu'est-ce que j'ai fait dans cette vie pour avoir perdu mon visage ? » La femme scruta son homme, le serra contre elle et lui murmura : «C'est toujours comme ça au début…».
Je regarde ma fille, elle somnole. Je la prends dans mes bras et la mets à côté de moi sur le divan. Je m'assieds ensuite tout près de ma bibliothèque. J'ouvre la fenêtre ; une orgie de lumière submerge la chambre, et je me souviens de ma défunte mère qui m'a dit un jour en me trouvant l'air terriblement triste : «Pour oublier tes problèmes, il faut regarder le ciel.» Chère mère, j'ai beau regarder le ciel, je ne vois que ton visage fleuri de tatouages à motifs berbères, dont deux fossettes piquent amoureusement tes joues couleur pêche; je vois encore ton menton embelli d'un duvet luisant qui étincelle à chaque sourire comme une invite à un printemps éternel, et je te dis un jour, te rappelles-tu ? quand tu es revenue du bain public, toute chaude et regénérée : «Ma mère, tu es si belle que…» Sur-le-champ, tu as mis tes blanches mains serties de bagues rutilantes sur ta bouche vermeille, et tu es devenue plus brillante que la lumière. Ensuite tu t'es enfermée dans ta chambre - à double tour.
Le lendemain, tu es venue m'annoncer, joyeuse : «Ça y est ! Je l'ai trouvée, ta future épouse, plus jolie que moi, bien éduquée et descendante de notre Prophète. Son père est un serviteur de Moulay Driss. Oui, une vraie chérifa. Autre chose: j'ai réglé tout avec sa mère et son père. Si tu aimes ta mère dis oui. Et j'ai dit oui pour te faire plaisir.
Je rentrais souvent chez moi, heureux de revoir les deux femmes papoter et rire pour des futilités, je me joignais à elles dans le but de pérenniser ce climat affectueux. Un soir, je regagnais la maison ; dès l'entrée, où se trouvait la chambre de ma mère, un silence effroyable m'accueillit à bras ouverts. Je frappai à la porte de ma mère, elle me pressa de m'asseoir au bord de son lit et me glissa au creux de l'oreille : «Mon petit foie, mon enfant chéri, écoute bien ta maman qui t'aime. Ta femme est un oiseau porte-malheur… pour toi… et pour moi. Je ne vais pas te parler de ses chevilles saillantes ni de ses sourcils coudés à la racine de son bec de corbeau. Que Dieu nous protège contre son mauvais œil ! Une fois ce hibou entré par la porte, ma santé s'est envolée par la fenêtre». Je jetai un coup d'œil sur ma mère, ou plutôt sur sa tête : une tête serrée dans un foulard sous lequel s'échappaient par bribes des rondelles de citron. «Ma mère, lui dis-je, ma femme est enceinte. » Et ma mère se mit sur son séant, explosa : «Ça y est ! Elle est pleine, ta lapine ? Déjà grosse ? Malheur à moi ! Malheur à nous !»
Je me dirigeai ensuite vers ma chambre. Ma femme était allongée devant la télévision. À croire qu'elle était une statue de sel tant la texture de son visage était fermée, mais les ailes de son nez frémissaient : signe d'un trouble qui la rongeait en secret. Je ne dis rien. Elle non plus.
Une semaine après, ma mère se mit dans la tête qu'elle était elle aussi enceinte : elle avait ses nausées, ses envies, ses vertiges… Juste après l'accouchement de ma femme, ma mère «accoucha» elle aussi. Durant toute une nuit pluvieuse, elle cria à tue-tête et ne se délivra qu'à la pointe du jour. Le matin, je poussai doucement la porte de sa chambre. Elle était à moitié habillée, j'esquissai un geste de retrait, mais elle m'invita à entrer. Elle leva des yeux languides et me raconta par le menu, d'une voix à peine audible, tout ce qu'elle avait enduré. Je m'enquis de sa santé et de celle de son bébé. La parturiente exulta, tout près d'elle un petit oreiller soigneusement emmailloté en guise de bébé fraîchement né ; elle lui donnait le sein en cherchant à lui faire téter un mamelon aride dont le tétin, à force de frottement contre une mordante fermeture éclair, était devenu sanguinolent.
Après, ma mère avait offert tous ses beaux vêtements aux mendiantes, elle n'avait gardé qu'une méchante robe, un pantalon bouffant sans couleur et un foulard usé à la corde. Sa chambre n'était garnie que d'objets nécessaires : une couche d'alfa, une natte d'osier et une petite table basse. Hormis une photo de moi sans cadre accrochée à un clou rouillé, les murs étaient nus. Jour et nuit, ma mère priait et dévidait son chapelet d'ébène en implorant Dieu et son Prophète. Pour se dégourdir les jambes, elle allait parfois de sa chambre dans la cour, sur son dos son faux bébé. Elle essayait de l'endormir en lui fredonnant une berceuse triste : l'histoire d'une mère qui avait perdu son unique enfant noyé dans une rivière.
Un événement inoubliable! Je dormais lorsque je fus réveillé par des hululements éplorés ; je m'approchai de ma mère : elle hurlait ; elle se dévêtit ; toute nue, elle se frappa le visage et les cuisses, s'arracha les cheveux, me poussa et me cria: «Laisse-moi, mari trompeur, je suis assez forte pour subvenir aux besoins de mon fils… Coureur de jupons…» Je lui répliquai : «Mère chérie, c'est moi, ton fils qui t'aime… Je ne suis par ton mari… ton mari… mon père est mort depuis… » J'essayai de la couvrir, elle me repoussa ; je faillis tomber à la renverse, elle me saisit fermement, me regarda. Un regard désert. Pouffa de rires. Pleura à chaudes larmes. Sanglota. Retint son souffle. Puis, agenouillée, me supplia de l'aider à dormir. Je m'assis en tailleur à même le sol ; elle posa sa tête ébouriffée sur mes genoux tremblotant de froid. Je caressai son front perlé de sueur froide, fourrageai dans ses cheveux gris métalliques, lui chantonnant l'air de sa berceuse préférée :
Ô mon petit fils chéri !
Ton beau soleil s'éteint.
Et je demeure à attendre,
Dans les ombres à attendre,
Un éclat de ton regard adoré.
Rassérénée, ma mère s'endormit sans se départir d'un soupçon de sourire enfoui sous les lignes de sa figure crispée. Sans le vouloir vraiment, je m'endormis à mon tour contre le corps de ma mère jusqu'à l'aube, quand je me fus réveillé par la voix aiguë de ma femme qui d'un ton ricaneur nous adressa ce sarcasme : «Mais regarde-moi les deux tourtourelles ! Une vraie carte postale ! » Les yeux encore ensommeillés, ma mère en aveugle s'élança sur ma femme et du coup elles arrivèrent aux crêpages de chignons, s'arrachèrent des touffes de cheveux, s'entre-dévorèrent comme deux bêtes affamées, se séparèrent, se collèrent de plus belle. Epuisées, elles s'isolèrent, chacune dans sa chambre.
Depuis lors, un lourd silence régnait sur la maison. Un silence sépulcral. Comme d'habitude, j'allai voir ma mère. Je frappai à la porte, elle céda. J'entrai. Inerte, la face contre le sol, ma mère était dans une position de prière. A peine l'eus-je touchée, elle tomba en boule. Cependant quelque chose resta collé sur son front. Un papier ? Non... Une photo.
Je regarde la photo… ma photo. Un visage défait, ratatiné, abîmé de pleurs. J'essaie de reconstituer ses éléments épars. Vainement. Une géographie hostile qui se défend contre l'ordre et l'harmonie : un petit bout de nez réduit à un simple pic cornu ; une bouche ou si vous voulez un cul de poule purulent ; un front craquelé au milieu et mamelonné aux abords ; dernière touche, enfin, au plan médian, demeure, intact et vif, un œil, un vrai œil de verre, sans paupières ni cils, qui m'intimide par sa résistance optique, qui me tétanise par la force de son éclat étrange.
Par peur de me découvrir davantage, je prends la photo et la comprime dans ma poche. L'œil me brûle.


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