Les dénonciations des ONG internationales contestant la détention politique au Maroc fusent de partout. Mais la question lancinante qui se pose : y a-t-il encore des détenus politiques au Maroc ? AYANT présenté ses conclusions il y a deux années, l'Instance Equité et Réconciliation (IER) avait été, pour une bonne partie de l'opinion publique, un signal fort dans le processus de rupture avec les années de plomb. D'aucuns annonçaient alors la fin de la détention politique. On disait le processus enclenché irréversible. Or, le sujet revient en force au devant de l'actualité nationale par le biais de communiqués et de lettres adressées par des ONG, internationales et nationales, aux décideurs marocains, demandant de mettre un terme à la détention politique. Il faut signaler que dans son rapport final, l'IER avait évoqué dans ses recommandations « la prohibition de la détention arbitraire ». Ces termes englobent aussi, selon les défenseurs des droits de l'Homme, la détention pour des raisons politiques. Mais, le processus de l'IER ne semble donc pas avoir permis de clore le dossier des atteintes aux libertés politiques, avancent des membres d'organisations de droit de l'Homme. Plus que cela, ils estiment que « les violations graves se poursuivent, non seulement dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais également à l'encontre des défenseurs des droits humains ». Ils citent à ce titre une dizaine de militants de l'Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), encore poursuivis, des syndicalistes, des membres d'Attac-Maroc, des islamistes, des amazighes... Etayant leurs propos par des exemples concrets, les défenseurs des droits de l'Homme rappellent les arrestations du 1er mai dernier suite auxquelles, selon la même source, les détentions à caractère politique se sont amplifiées. Près d'une dizaine de militants syndicalistes et des membres d'associations ont été arrêtés, pour être ensuite rapidement et lourdement condamnés. Il leur est à chaque fois reproché de porter « atteinte aux valeurs sacrées du royaume », rapportent des défenseurs des droits de l'Homme. C'est ce qui avait conduit à la création d'une « Instance nationale pour la solidarité avec les détenus du 1er mai 2007 » (INSAD-1er mai). Créée à l'initiative de plusieurs associations, de syndicats et d'organisations politiques, cette nouvelle instance revendique « la libération de tous les prisonniers politiques, l'annulation des poursuites judiciaires en cours et le respect des droits fondamentaux que sont le droit de grève, de manifestation et de liberté d'expression ». Le CCDH (conseil consultatif des droits de l'Homme), l'instance la mieux placée -depuis que le ministère des droits de l'Homme est supprimé- pour s'exprimer sur le sujet, n'a pas réagi. Le Reporter a essayé de recueillir l'avis, autorisé, du président du CCDH sur le sujet, mais ce responsable s'est excusé arguant qu'il avait un déplacement en Mauritanie. Ainsi donc le Maroc subit, en silence, la pression internationale exercée par des ONG et qui monte crescendo. Le 1er mai provoque une vague d'arrestations Des manifestations ayant eu lieu lors de la célébration du 1er mai de l'année dernière ont été dispersées par les forces de l'ordre. Des arrestations de plusieurs manifestants ont été opérées dans certaines villes : à Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir, Oujda, Bouarfa, Khénifra, Béni Mellal, Ouarzazate et Ksar El Kébir. Sept militants de l'Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) ont été arrêtés après avoir participé aux défilés du 1er mai dans différentes villes. Cinq d'entre eux ont été arrêtés à Ksar El Kebir. Il s'agit de Thami Khyati (36 ans), président de l'association nationale des diplômés chômeurs, Youssef Reggab (23 ans), Oussama Ben Messaoud (26 ans), Ahmed Al Kaateb (25 ans), membres des associations locales des diplômés chômeurs, et Mohamed Rabii Raïssouni (26 ans), employé, syndicaliste à l'UMT et secrétaire local de la jeunesse de Annahj Addimocrati. Tous ont été condamnés le 22 mai 2007, en première instance, à trois ans de prison ferme et à 10.000 dirhams d'amende chacun. Cette peine a été augmentée en appel, le 24 juillet dernier, à quatre années de prison pour « atteinte aux valeurs sacrées du royaume ». Lorsqu'ils étaient convoqués par la police judiciaire, entre les 2 et 5 mai, ils avaient été interrogés sur les slogans qu'eux-mêmes ou d'autres personnes avaient scandés. Les militants ont affirmé n'avoir scandé que les slogans revendicatifs de leur organisation et n'avoir entendu aucun slogan illégal. Le procureur les a incarcérés selon la procédure de flagrant délit. Deux autres militants, El Mehdi El Berbouchi (AMDH, étudiant, dix-neuf ans), et Abderrahim Karrad (ouvrier membre du bureau du syndicat agricole affilié à l'UMT, 25 ans) ont été arrêtés, le 1er mai, après la fin de la manifestation au siège de l'UMT d'Agadir avec trois autres militants. Ils ont été inculpés aussi pour « atteinte aux valeurs sacrées » en vertu des articles 179 du code pénal et 38 et 41 du code de la presse. Le procureur du Roi les a accusés d'avoir scandé des slogans qui s'en prennent à la monarchie. Ils ont été condamnés à deux ans de prison ferme le 10 mai et à dix mille dirhams d'amende chacun par un tribunal d'Agadir. Leur condamnation a été confirmée en appel, le 26 juin. Parallèlement à ces événements, l'INSAD a appelé à des sit-in de solidarité avec les détenus politiques dans plusieurs villes du Maroc. Les 5 et 6 juin, 10 militants de l'AMDH, de la CDT et d'Attac Maroc ont été arrêtés à Beni Mellal après avoir participé au sit-in de solidarité avec les sept militants de Ksar el Kébir. Le 26 juin, 4 parmi eux ont été condamnés eux aussi, pour « atteinte aux valeurs sacrées » à un an de prison et 1000 dirhams d'amende. Mohamed Bougrine, (72 ans), qui a déjà passé 18 ans comme détenu politique, a écopé pour le même motif de deux mois de prison avec sursis et d'une amende de 500 dirhams aux côtés d'Abdelkbir Rabaaoui (membre de l'association des diplômés chômeurs et de l'AMDH), Brahim Ahansal et Mohamed Yousfi (Attac Maroc). Mohamed Boughrine a refusé de faire appel de sa condamnation, déclarant qu'il avait le droit d'exprimer ses opinions. En réaction à ces condamnations, des lettres et communiqués d'Amnesty International, de la FDIH, d'Attac-Europe, d'Attac-France, du Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme, de Reporters Sans Frontières, de l'Organisation mondiale contre la torture ne cessent de pleuvoir sur le Maroc. Les détenus d'Al Adl Wal Ihssan Al Adl Wal Ihssan se dit aussi ciblé par les détentions politiques. Ses derniers détenus ont été cités par Amnesty International dans ses communiquée. AI relève que plus de 3000 membres d'Al Adl Wal Ihsan auraient été interrogés par la police après le lancement, en avril, d'une campagne de communication au cours de laquelle des membres de la « jamaà » ont ouvert leur maison au public afin de présenter les documents publiés par leur mouvement. Al Adl à chaque occasion parle aussi de ses 12 détenus condamnés à vingt ans de prison au début des années 90. Le dernier cas évoqué dans ce registre est celui de Omar Mohib arrêté le 15 octobre 2006, suite à un avis de recherche lancé à son encontre depuis 1993, en relation avec des évènements universitaires. Condamné à 10 ans de prison en première instance, la chambre criminelle de la cour d'appel de Fès a commué cette peine en 2 ans de prison ferme. La chabiba islamiya d'Al Adl et son comité des droits de l'Homme viennent de contester le transfert de Omar Mohib de la prison civile de Fès vers celle de Sefrou. Les détenus amazighs Les mouvements amazighs dénoncent les dernières arrestations effectuées dans la région de Ourzazate (Boumaln N'Dades, Khemis N'Dades, Msemrir, Tilmi...) Dix militants amazighs sont poursuivis en justice pour « trouble à l'ordre public ». Il s'agit de Noureddine Adjik, Moulay Brahim Ait Said, Mustapha Atil, Mimoun Chaouki, Abdennacer Charif, Mustapha Elouardi, Mohamed Hssein, Brahim Orouzane, El-Houssein Oubali Et Younes Oudali. Les appels à la solidarité avec ces derniers ne cessent d'être diffusés sur internet...