Dans le quartier populaire de Takaddoum à Rabat, où ils vivent dans la promiscuité et le dénuement le plus total, les candidats à l'émigration clandestine affirment être "coincés" au Maroc car les routes menant à l'Eldorado européen semblent désormais fermées. Dans deux minuscules chambres d'une maison de ce quartier, baptisées avec dérision +l'Elysée+, ils sont dix par pièce à attendre l'occasion de gagner l'Europe. Combien sont-ils au Maroc? Difficile à dire mais les autorités estiment entre 12. Téléplanète - Téléphoner moins cher en Afrique 000 et 15.000 le nombre des clandestins subsahariens, qui se regroupent par affinité géographique: Africains de l'ouest comme les Sénégalais, Gambiens, Maliens et Bissau-Guinéens; ressortissants d'Afrique centrale comme les Congolais, les Camerounais, et enfin Africains anglophones, comme des Nigérians, des Libériens, des Sierra-Léonais. "L'étau se resserre. Ceuta et Melilla ont été transformées en forteresse, la voie maritime par El Ayoun, chef-lieu du Sahara occidental, est inaccessible. Peut-être tenterai-je Nador qui semble plus facile", confie le Sénégalais Aladji Dabo, 29 ans, qui attend son heure depuis 2003. A l'automne 2005, des émigrés subsahariens ont tenté de pénétrer à plusieurs reprises dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc. Mais depuis, des barrières de six mètres de hauteur ont été érigées, empêchant quasiment tout accès. Beaucoup se sont alors dirigés vers El Ayoun pour emprunter des embarcations de fortune en direction des Iles Canaries proches, mais la marine marocaine et les garde-côtes espagnols croisent régulièrement sur l'Atlantique. Reste donc le port de Nador, sur la Méditerranée au nord du Maroc, qu'ils considèrent comme l'ultime passage pour gagner l'Espagne. Découragé, le Gambien Modou Jaiteh, 25 ans, qui ne s'exprime qu'en mandingue, langue de l'Afrique occidentale, voudrait rentrer au pays. "J'ai été à plusieurs reprises refoulé d'El Ayoun vers Oujda (ville frontalière avec l'Algérie). Et chaque fois, j'ai marché durant des jours pour gagner Rabat". "Mes amis m'encouragent à rester au Maroc pour m'éviter le déshonneur de revenir les mains vides. Alors, j'attends et j'ai confié mon sort à la Providence", ajoute t-il résigné. Retourner chez eux les mains vides serait en effet perçu comme une honte en raison de l'investissement trop coûteux de leurs proches. "Crever ou atteindre l'Europe, voilà notre seule alternative", résume le Malien Diarra, la vingtaine. En attendant des jours meilleurs, la solidarité est de mise. "On partage tout, et les amis qui ont eu la chance de gagner l'Europe nous envoient des mandats dès qu'ils commencent à travailler", se félicite un émigré guinéen. Son ami, Ousmane Sakho, un Sénégalais d'une vingtaine d'années, fait état de la générosité de certains Marocains. "Les propriétaires de la maison nous offrent un plat de couscous chaque vendredi", dit-il. "La situation s'est beaucoup améliorée depuis peu. Il y a des amis qui sont même employés dans les boutiques où ils gagnent quelques sous", renchérit le Gambien Laye Touré. Comme pour confirmer ses propos, l'épouse du propriétaire l'a appelé "sarout" (clef, en arabe dialectal) quand elle lui a confié la surveillance de ses enfants. "Elle et son mari nous font confiance, et nous, nous leur montrons qu'ils ont raison", dit-il.