Les autorités marocaines sont parvenues à juguler le flot de clandestins qui tentaient d'atteindre le continent européen. Selon Rabat, les tentatives de traversée ont diminué cette année de 98%. SALIF, 27 ans, a rêvé d'Europe durant deux ans de galère mais ses espoirs se sont envolés. Parti de Gao, le jeune Malien a parcouru l'Algérie de Tamanrasset à Oran avant de franchir la frontière marocaine. Salif a longtemps erré dans les forêts autour de l'enclave espagnole de Ceuta et de Melilla. Jusqu'aux ultimes assauts l'automne dernier contre les grillages séparant le Maroc de l'Espagne. Installé aujourd'hui à Rabat dans le quartier populaire de Takadoum, il végète avec des revenus d'un euro par jour dans un appartement surpeuplé partagé avec des compatriotes. «Je ne peux pas rentrer les mains vides au pays. Ma famille qui s'est sacrifiée pour me payer le voyage ne comprendrait pas. En Algérie au moins je pouvais survivre avec des petits travaux, ici il n'y a rien pour nous», assure-t-il. Près de 10 000 ex-candidats à l'immigration clandestine – dont 5 000 à Rabat – seraient ainsi pris dans la nasse au milieu d'une population minée par ses propres difficultés. Parmi eux, des femmes trimballant un enfant né sur la route, souvent d'un viol. Certains Ivoiriens ou Congolais tablent sur l'infime probabilité d'obtenir un statut de réfugié politique. Sans illusions. «Ces gens n'ont pas de perspective car le Maroc n'est plus un pays de transit et n'est pas un pays d'accueil. Ils sont de plus en plus nombreux à chercher à rentrer chez eux», constate Stephane Rostiaux, le responsable local de l'Office international des migrations (OIM). Le gouvernement organise pour ces laissés-pour-compte des départs «volontaires». Depuis 2004, 6 000 Subsahariens ont été renvoyés par avion. Cerbère de l'Europe Monnaie courante voici à peine deux ans, les tentatives de traversée vers les Canaries depuis les plages du Sahara occidental ont cessé. De la Mauritanie à l'Algérie, la façade maritime marocaine est presque hermétiquement close. Assuré par 11 000 hommes et d'importants moyens maritimes, le bouclage du littoral est quasi total. Au sud, des gardes munis de jumelles à infrarouge scrutent, kilomètre après kilomètre, les mornes étendues de sable fin pour empêcher les départs vers les Canaries. Au nord, au relief accidenté, la coopération policière avec l'Espagne a permis de fermer la route du détroit de Gibraltar. Un système de surveillance électronique traque en permanence les «pateras», ces barques en voie de disparition. Seuls quelques clandestins chanceux rejoignent au compte-gouttes les côtes ibériques en passant, par exemple, par les ports cachés sous des camions. Entrepris en 2004, le verrouillage des côtes s'est achevé il y a un an avec la crise de Ceuta et Melilla. Les deux villes sous souveraineté espagnole restaient deux petites fenêtres ouvertes sur le Vieux Continent. La pose de barbelés, le creusement de fossés profonds et d'une double rangée de grillages de plus de six mètres de hauteur ont achevé de les transformer en forteresse. Patron de la lutte contre l'immigration clandestine au ministère de l'Intérieur, le gouverneur Khalid Zerouali veut voir dans ces événements tragiques le «dernier cri des mafias». «Les réseaux ont continué à travailler tant qu'il y avait des points de vulnérabilité, mais désormais le jeu n'en vaut plus la chandelle. Les groupes sont interceptés avant d'arriver aux clôtures et ceux qui parviennent malgré tout aux grillages n'ont pratiquement aucune chance de passer», affirme-t-il. Devenu le cerbère de l'Europe, le Maroc affiche des statistiques sans appel. Selon Rabat, les tentatives de traversée vers l'Europe ont chuté de 98% et les flux migratoires accusent une baisse de 48% des candidats à l'immigration clandestine. Depuis le début de l'année, les forces de sécurité ont procédé à 10 500 interceptions ; 7 000 d'entre elles concernaient des étrangers et 3 500 des Marocains. Khalid Zerouali explique ce succès par le «travail de concertation mis en place avec les partenaires européens sur la base d'un langage commun». Entre le Maroc et l'Europe, l'écart de niveau de vie reste plusieurs fois supérieur à celui séparant le Mexique des États-Unis. Pour le royaume, les frustrations engendrées par l'enfermement de ses citoyens peuvent se révéler une bombe à retardement.