Alors qu'une trentaine de pays à travers le monde dépénalisent et financent l'usage thérapeutique du cannabis, le producteur numéro un mondial nage toujours à contresens. Au Maroc, la production, la possession et la consommation de cannabis et de produits qui en dérivent sont interdites. Un cadre légal ayant causé une succession d'échecs selon Reda Mhasni, psychologue clinicien et psychothérapeute. INTERVIEW. Tout d'abord que signifie l'usage thérapeutique du cannabis ? Nombre de mes patients utilisent, en cachette, de l'huile de cannabis. Atteints de rhumatisme, de tumeur ou de cancer, ils constatent un effet analgésique extrêmement important de cette huile, apaisant les douleurs musculaires, articulaires et autres. Les expériences thérapeutiques basées sur l'usage du cannabis dans les soins palliatifs, pour les traitements des infections oncologiques, pour la sclérose en plaque, ont prouvé leur efficacité. On peut y ajouter les expériences menées aux Etats-Unis et dans les pays d'Amérique du Sud sur l'autisme et sur un certain nombre de pathologies, qui sont sans effets secondaires, à partir du moment où il est régulé médicalement et adapté à la personne. Le Maroc est-il en retard dans un secteur où il aurait pu être pionnier ? Nous devons tous tirer profit de cette substance qui reste naturelle, avec un faible niveau psychoactif. Aujourd'hui si l'on prête attention aux recherches en biologie, en médecine ou en neuroscience, ce n'est pas un sujet d'actualité pour l'ensemble de nos centres de recherches, alors que nous pouvions très bien le faire. Nous disposons au Maroc de biologistes et de chercheurs compétents. Nous avons des instituts de recherche qui peuvent mener des travaux dans ce sens. Malheureusement, la censure pénale, sociale et culturelle font leur labeur pour bloquer quelque part ce cheminement d'investigation et de recherche. La question thérapeutique évoque beaucoup d'autres registres que ce soit au niveau social, religieux, déontologique et éthique. Mais suite aux politiques publiques vis-à-vis de cette substance et ce, depuis plus d'un siècle, le résultat de la prohibition et de la pénalisation de l'usage de cannbis, qu'il soit récréatif ou thérapeutique, est un échec total. Cette politique d'interdiction nous a mené vers l'échec, alors que d'autres pays présentent des expériences réussies dans ce sens. Mais quelles sont réellement les éléments qui empêchent un usage thérapeutique du cannabis de nos jours ? La question du cannabis pour la culture marocaine n'est pas quelque chose qui vient d'un autre monde. Elle est millénaire et intégrée culturellement dans la région où cette plante pousse de manière naturelle. Le problème n'est pas que religieux. Il a une dimension historique. Par exemple, Les Haddawas a été une fraction de soufis qui consommaient notamment du cannabis. Seulement, à aucun moment le soufisme n'a imposé la prohibition ou n'a prôné une opposition par rapport à l'usage de plantes ou d'autres. Maroc : Sidi Haddi ou le «Saint Patron des fumeurs de Kif» Il est important aussi d'évoquer un évènement historique. Durant le protectorat, les Marocains avaient décidé de boycotter des produits français, notamment le tabac. En substitution à cette denrée, ils ont laissé de côté les gitanes pour consommer du kif. Ce sont les autorités françaises qui vont, par la suite, répondre à ce boycott par une interdiction de la culture et de la consommation du cannabis. Puis sur décision royale, Mohammed V a autorisé la région du Rif à cultiver et commercialiser cette plante. Le cannabis a donc été aussi une question politique. Pourtant, depuis plusieurs années, un assouplissement des politiques se fait sentir dans plusieurs pays... Pourquoi pas au Maroc ? L'Etat a abandonné ce secteur aux malfrats. Le laisser aux mains des trafiquants, c'est se priver de moyens d'abord financiers et fiscaux et de rentabilité pour un secteur clairement en croissance. Il est important aujourd'hui de se demander quelle politique nous voulons mener pour notre pays. Voulons-nous continuer dans le cadre d'une politique ayant prouvé son échec aussi bien chez nous qu'ailleurs ? Nous devons au moins entamer la réflexion dans ce sens. Reda Mhasni, psychologue clinicien et psychothérapeute. Voyez-vous un possible changement à l'avenir ? Si on revient sur la scène politique, il y a des initiatives émanant de différents partis, notamment le Parti de l'authenticité et de la modernité (PAM) ainsi que le parti de l'Istiqlal. Des sujets souvent abordés à l'approche des élections. Mais les projets sont ensuite enterrés et on n'en reparle plus après. Il n'y a absolument aucun élément dans le terrain objectif ou institutionnel qui me permet de penser à un avenir meilleur pour cette question. Ce n'est qu'une carte électorale jouée par plusieurs partis politiques, sachant que beaucoup de riverains et d'agriculteurs au Rif ne disposent même pas d'une carte d'identité nationale. Ils ne peuvent même pas se présenter aux différents commissariats pour la demander car recherchés par les autorités. Cela complique d'avantage la tâche alors que la question devient criminelle au lieu d'être sociale.