Chaque année, près de 800 pèlerins juifs viennent prier sur la tombe de Haïm Pinto à Essaouira. Son arrière-arrière-petit-fils, David Pinto a adossé au pèlerinage une énorme organisation religieuse, financière voire politique. Le site rabbidavidpinto.com se compose d'une seule page avec en haut une pastille vidéo transmettant en direct les images de la hiloula de Haïm Pinto à Essaouira et, plus bas, de deux boutons : «dons» et «bénédiction». Il résume assez bien les enjeux de l'affaire. Le pèlerinage juif qui a lieu chaque année à Essaouira, sur la tombe de Haïm Pinto le grand, n'est pas seulement un moment de recueillement et de retrouvaille pour toute une communauté, mais également l'évènement phare de l'énorme organisation fondée par David Pinto, l'un de ses arrière-arrière-petits-fils, sur la mémoire de son illutre aïeul. Haïm Pinto était lui-même descendant d'une longue lignée de rabbins marocains. Venu s'installer à Essaouira après le tremblement de terre qui détruisit Agadir en 1761, il devient rabbin et dayan (juge) avant d'être considéré comme un saint pour les nombreux miracles opérés de son vivant. Après la mort, comme pour les marabouts musulmans, les juifs continueront à se recueillir sur sa tombe pour recueillir sa bakhakha (baraka) et adresser des prières à Dieu par son intercession. Par filiation son arrière-arrière-petit fils, David Pinto, est lui-même considéré comme un saint par une partie de la communauté juive, souvent d'origine sépharade (originaire d'Afrique du Nord, issus des exilés d'Andalousie), sensible à sa magie. Fort de cet héritage sacré, devenu leader religieux à son tour, David Pinto a construit un petit empire fondé sur l'enseignement de la Torah, le rayonnement de la mémoire de ses aïeux et les miracles des saints. Il réunit ainsi des centaines de fidèles. A Essaouira, plus de 800 d'entre eux l'accompagne chaque année sur la tombe de Haïm Pinto. Au-delà des frontières du Maroc Depuis les années 90, David Pinto a fondé sur la réputation de son illustre ancêtre plusieurs centres d'études religieuses à New York, à Paris et Villeurbanne en France, à Ashdod, Raanana et Jérusalem, en Israël, mais aussi à Mexico et à Buenos Aires en Argentine. Rue du Plateau, à Paris, le rabbin répond à pas moins de 3 numéros qui rassemblent une synagogue, un mikvé (bain rituel), une yeshiva (école) et un collel (centre d'étude avancé de la Torah). Les gens se pressent pour rencontrer le «tsaddik». «Ils viennent pour une bra'ha, une bénédiction. C'est du nonstop. Dix téléphones fonctionnent en permanence. J'en profite pour faire du 'marketing' pour Hakadoch Barou'h Hou (Dieu). Je leur demande de mettre les téfilin [boitier noir contenant quatre messages de la Bible attaché au bras et au front pendant la prière, ndlr], d'aller au mikvé… Si une femme vient me voir pour son fils qui est malade et que je lui dis qu'il serait bien qu'elle commence à respecter les lois de la pureté familiale, c'est son cœur qui sera touché. On leur tend un piège : ils viennent pour quelque chose, et on les embarque dans quelque chose d'autre ! C'est donner pour donner ! Tu demandes à Dieu une faveur, alors fais, toi aussi, quelque chose pour Lui…», expliquait le David Pinto en 2010, dans une interview au quotidien hébreu Hamodia. A Ashdod, en Israël, David Pinto a d'abord investi un terrain proche de la tombe de son père le Rabbin Mosché Pinto, elle-même objet de pèlerinage, pour construire un monument «Orot Haim ouMoché», en sa mémoire et celle de son aïeul Haïm Pinto. Il a ensuite installé autour un vaste complexe qui réunit, entre autres, une synagogue, une Kehila (congrégation), la Yeschiva Guedola Torat David où 150 jeunes étudient la Torah, un Collel de 170 Avrékhims (étudiants mariés), un pensionnat qui bénéficient d'une bourse d'étude. Ces «institutions» sans but lucratif ont fait l'objet en Israël d'une enquête car elles brassent des millions de dollars de dons à travers le monde, selon le journaliste Chaim Levinson, qui publie un article en juin 2012 dans le journal israélien Haaretz. Une confusion entre activités commerciales et non-lucratives est alors soupçonnée mais l'enquête est restée sans suite, même si en 2015 les Swissleaks ont révélé que David Pinto possédait un compte HSBC contenant 2,3 millions de dollars en 2007. La bonne fortune des rabbins Le petit empire religieux et financier de David Pinto n'est pas une exception. En Israël, nombreux sont les rabbins charismatiques qui, se réclamant, d'une longue ascendance de saints juifs, font fortune grâce à leurs miracles. Si d'ordinaire, les gens viennent les consulter pour se marier, guérir ou avoir des enfants, de riches entrepreneurs viennent aussi chercher des conseils pour leurs affaires. «Des rabbins kabbalistes comptent parmi leurs partisans de hauts responsables financiers, des politiciens, des célébrités, des avocats et même des officiers supérieurs de la police, de l'armée et du service de sécurité Shin Bet. D'énormes fêtes somptueuses, des célébrations religieuses, des rabbins profitant de chaque opportunité pour démontrer leur pouvoir et leur argent. […] Les adeptes de ces rabbins sont devenus un club exclusif, avec une entrée réservée aux personnes ayant du pouvoir ou de l'argent», décrit un article de Haaretz. En 2012, le phénomène est à son apogée et Forbes publie même un top ten des rabbins les plus riches d'Israël. En tête, Pinchas Abuhatzeira de Beersheva, 36 ans seulement, petit-fils de Baba Sale, rabbin né à Rissani, au Maroc avec une richesse estimée à 335 millions de dollars. Son oncle figure également dans la liste, ainsi que l'un de ses cousins Yoshihatu Pinto, également neveu - par l'alliance des deux grandes lignées de rabbins - de David Pinto. Yoshihatu Pinto vient du purger une année de prison en Israël pour avoir corrompu un fonctionnaire de police afin d'obtenir des informations sur une enquête qui le concernait. Influence aux Etats-Unis Si l'influence de ces leaders religieux charismatiques kabbalistes tendraient à se réduire aujourd'hui en Israël, selon l'hypothèse récente d'un journaliste de Haaretz, aux Etats Unis, David Pinto continue de faire des adeptes. A New York, il a installé son centre d'étude «Chevrat Pinto» dans les beaux quartiers de Browntone. Là, le rabbin parvient à toucher un large public au-delà de limites de la communauté juive d'origine marocaine installée aux Etats Unis et au Canada après la création de l'Etat d'Israel. «Le rabbin Chahina David Pinto est peu connu aux Etats Unis mais il a une coterie de riches soutiens », explique le journaliste Josh Nathan-Kazis, dans son article «Jared Kushner ant the with haired mystic whose dad got a ride from a dead sage» publié en janvier 2017 par le journal juif américain Forward. Selon les déclarations d'impôts auxquels le journaliste a pu avoir accès, les deux fondations de la famille Kushner - où siège Jared Kushner lui-même, gendre et conseiller de Donald Trump - la Charles and Sheryl Kushner Family Foundation et la C. Kushner Companies Foundation ont donné entre 10 000 et 50 000 dollars par an à Chevrat Pinto entre 2004 et 2013, pour un total de 217 000 dollars. Dans son sillage, la Fondation de Maria et Richard Stadtmauer, du nom de l'oncle et de la tante de Jared Kushner, a apporté 592 000 dollars depuis 2009 supplémentaire à Chevrat Pinto. Les banquiers Israël Englander - 6 milliards de dollars de fortune personnelle selon Forbes - et Nathan Law s'ajoutent au nombre des généreux donateurs. Tous ont été intéressés par les miracles du saint. La proximité de Jared Kushner avec son beau-père, Donald Trump produit un mélange des genres improbable. Dans un essai intitule «A Moroccan Kabbalist in the White House: Understanding the Relationship between Jared Kushner and Moroccan Jewish Mysticism », le socio-anthropologue américain au département d'anthropologie de l'Université de Californie à Los Angeles, Aomar Boum, spécialiste du judaïsme marocain, raconte sa surprise durant la dernière campagne électorale américaine. Ses informateurs juifs orthodoxes étaient en effet convaincus que Donald Trump, que toute la presse annonçait perdant, gagnerait l'élection. «Un de mes informateurs juifs marocains, un membre de Shuva Israël a remarqué qu'à Ashdod et dans d'autres communautés ultra-orthodoxes marocaines à Jérusalem, l'idée circulait qu'un rabbin très respecté avait prédit la défaite d'Hillary Clinton. Finalement, le miracle du président Trump s'est produit et des rabbins-faiseurs de miracles associés à Jared Kushner, le gendre juif de Trump, ne perdirent pas de temps à prétendre qu'ils avaient quelque chose à y voir. On pense que le rabbin David Pinto et le rabbin Yoshiyahu Pinto, descendants d'une longue lignée de rabbins nord-africains, faisaient partie de ces ouvriers du miracle.»