Dans son livre publié le 31 décembre, Renaud Camus développe la théorie du « Grand remplacement ». L'appropriation de ce concept idéologue par des intellectuels comme le journaliste Eric Zemmour ou le philosophe Alain Finkielkraut pouvait bien présager d'autres fins par d'autres personnes avec d'autres moyens. Tout comme Renaud Camus, l'Algérien Boualem Sansal apporte de l'épaisseur à la « fiction ». Son roman « 2084 », l'Algérien y décrit un pays, l'Abistan, soumis à la cruelle loi d'un Dieu qu'on prie neuf fois par jour et où les principales activités sont d'interminables pèlerinages et le spectacle de châtiments publics. Selon Sansal, « les trois totalitarismes imaginés par Orwell [l'Océania, l'Eurasia et l'Estasia] se confondent aujourd'hui dans un seul système totalitaire qu'on peut appeler la mondialisation ». « Nous sommes gouvernés par Wall Street », résume Boualem Sansal. C'est selon… Mais « ce système totalitaire qui a écrasé toutes les cultures sur son chemin a rencontré quelque chose de totalement inattendu : la résurrection de l'islam », analyse l'écrivain qui se dit « non croyant ». Premier cliché : « la résurrection de l'islam ». L'écrivain Michel Houellebecq a fait la même analyse dans son roman « Soumission », où il imagine la France de 2022 gouvernée par un parti musulman. Prémonition ou délire on verra... Mais aujourd'hui, il est clair que les idées développées par Renaud Camus et ses compères sont devenues des appels à la confrontation et rendent ostensible l'apparition d'un autre concept : l'Ethnonationalisme. Le journaliste Sud-africain, Arthur Kemp, ancien porte-parole du British National Party (BNP), a dans plusieurs de ses ouvrages « March of the Titans », : a history of the White Race, « Bâtir le foyer blanc », fait l'apologie de L'ethnonationalisme qui promeut l'idée que chaque identité doit être valorisée et préservée, que chaque groupe ethnique doit rester lui-même afin de « s'opposer frontalement aux projets du monde unique » voulu par les « élites internationalistes ». Rejoignant la théorie du « Grand remplacement », Le Sud-africain déclare que « le multiculturalisme et le nationalisme civique ignorent la réalité démographique du taux de natalité supérieur des immigrés du tiers monde. Ce taux conduira inéluctablement à la submersion et à la destruction des peuples autochtones européens. » Deux individus illustrent les théories de Camus et de Kemp : le premier, Brenton Tarrant, le terroriste qui a attaqué deux mosquées de Christchurch, et tué 50 personnes a produit un manifeste 73 pages dans lequel, le jeune suprémaciste australien y développe un discours raciste et haineux envers les musulmans. Le second, Anders Breivik, qui dans un attentat à Oslo en 2011 a tué des 77 jeunes socio-démocrates. Comme Bretton Terrant, l'idéologie d'Anders Breivik est décrite dans un document texte distribué électroniquement par lui-même le jour des attaques. Dans celui-ci, il développe son soutien au « conservatisme culturel », à l'ultranationalisme, au populisme de droite, à l'islamophobie, au sionisme, à l'antiféminisme et au nationalisme blanc. Il considère l'islam, le marxisme culturel et la plupart des partis politiques européens comme des ennemis des Lumières. À voir de près, on est dans l'idéologie, la théorie qui donne naissance au verbe et ce verbe qui exprime et pousse à une action. L'action donc de Bretton Terran, d'Anders Breivik et de tout autre terroriste est inscrite dans le pavlovisme. « Avant tout massacre, il y a une idée », « Et, comme dans tout projet idéologique, il faut manipuler le langage puisque les mots sont le support des gestes », disait le cinéaste cambodgien Rithy Panh, qui a travaillé sur le génocide commis par les Khmers rouges. Sans retenue après les attentats de Christchurch, Renaud Camus dans une interview au Washington Post persiste et appelle à la « révolte » contre ce qu'il qualifie de « colonisation de l'Europe » par l'immigration. Toutefois des personnes comme le journaliste Edwy Plenel ou le démographe, Hervé Le Bras qualifient ce « Grand remplacement » de « fantasme » et de « fiction ». Qu'il s'agisse des Khmers rouges, des djihadistes, ou des suprémacistes blancs, tout part en effet du verbe, répété comme un mantra, sacralisé, et qui, avec la force actuelle des réseaux sociaux, formate des esprits en quête d'un idéal irréel. La même logique contre arabes, noirs, juifs et musulmans ? Une logique d'exclusion de l'autre, oui, une logique de supériorité dite raciale ; c'est donc le même mécanisme de haine qui est à l'œuvre dans certaines formes d'arabophobie, de négrophobie, d'antisémitisme d'islamophobie, avec la même matrice idéologique. Ça peut sembler paradoxal car on oppose régulièrement ces formes de discriminations, au point parfois de nier l'usage même des termes, ou d'opposer une communauté à l'autre. Idéologie pour et contre idéologie, la décadence est là.