La décision du gouvernement de fusionner la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale avec la Caisse nationale de sécurité sociale a déclenché une vive opposition de la part des syndicats, notamment l'Association des barreaux du Maroc. Cette fusion, qui s'inscrit dans le cadre d'un projet de loi numéroté 54-23, suscite une grande inquiétude. Le conflit qui oppose l'Association des barreaux du Maroc (ABAM) à la CNSS concernant l'adhésion des avocats à l'AMO prend de l'ampleur. En milieu de semaine dernière, des milliers d'avocats ont reçu une notification leur indiquant qu'ils étaient intégrés au régime d'assurance maladie, conformément aux exigences légales. Cette situation a incité le bureau de l'ABAM à mettre en œuvre un plan d'urgence. Il a immédiatement demandé une réunion avec la CNSS, à l'issue de laquelle il a informé ses membres que la situation restait inchangée. D'après son message, il suffirait d'adresser une protestation à la CNSS pour être retiré de la liste des assurés à l'AMO. Cependant, cette démarche n'est pas si simple, car la CNSS, en tant que gestionnaire de l'assurance maladie, se limite à appliquer la loi relative à la couverture sociale des indépendants. La résistance des avocats à intégrer le régime d'assurance maladie commun suscite des interrogations au sein de la profession, bien qu'il existe aussi de nombreux partisans du maintien du régime historique d'assurance maladie dédié aux avocats. Les raisons qui motivent ce soutien varient toutefois. Les dirigeants de l'ABAM ont toujours manifesté leur refus d'adhérer au régime AMO des indépendants, affirmant qu'il ne répond pas aux modalités, contraintes et spécificités de leur profession. Pour préserver à tout prix leur « mutuelle interne » et éviter de rejoindre l'AMO, les barreaux du Royaume ont rapidement modifié leurs statuts en 2022 pour rendre obligatoire l'adhésion au régime d'assurance maladie propre à leur profession. Enjeux de la cotisation des avocats à la mutuelle À cette époque, la Mutuelle générale des barreaux du Maroc avait fixé une cotisation annuelle obligatoire de 4.800 dirhams par avocat, couvrant également les ayants droit. L'objectif était d'établir une assurance sociale obligatoire, permettant ainsi d'échapper au champ d'application de la loi 15.98, dont l'article 3 exclut les professionnels assujettis à un régime d'assurance maladie obligatoire de base. Cette option avait été rejetée par le gouvernement à l'époque. Lire aussi : Fusion CNOPS-CNSS : L'UMT réclame le retrait du projet À l'heure actuelle, l'ensemble des barreaux est affilié à la Mutuelle générale des barreaux du Maroc, créée par la loi du 12 novembre 1963 relative au statut de mutualité. Le financement de cette mutuelle repose sur les cotisations de ses membres. Conformément à ses statuts, elle « met en place des actions de prévoyance, de solidarité et d'entraide pour couvrir les risques rencontrés par tous les avocats affiliés aux barreaux du Maroc ». Toutefois, selon une avocate du barreau de Casablanca, aucune disposition concernant le régime de retraite n'est prévue. Les cotisations à la mutuelle sont assurées par un système de vignette géré par les Ordres régionaux, un mécanisme de plus en plus contesté. En plus de la cotisation annuelle, la vignette dont le montant varie entre 50 et 250 dirhams est fixée de manière arbitraire par les instances ordinales. Elle est applicable à toute demande ou requête judiciaire soumise au tribunal. Les sommes collectées au titre des vignettes sont en grande partie destinées à couvrir les primes d'assurance maladie, gérées depuis 2014 par la Mutuelle générale des barreaux du Maroc. Grâce à ce système, il est logique que les grandes structures, qui traitent un volume important de dossiers devant les tribunaux, supportent la majeure partie du financement du régime actuel d'assurance maladie des avocats. Ce principe de solidarité est commun à tous les régimes de prévoyance sociale. Au sein de la profession, beaucoup de membres, notamment les plus jeunes, estiment que le montant de la cotisation annuelle est « très élevé », surtout que personne ne sait sur quelle base il a été établi. Une partie des Ordres régionaux est favorable à maintenir la situation actuelle, non pas à cause de l'efficacité de la mutuelle, mais pour garder le contrôle sur les flux financiers qu'ils gèrent, notamment les primes d'assurance maladie et les montants prélevés via les fameuses vignettes. Or, le modèle du régime AMO prévoit que l'immatriculation et le paiement de la prime soient réalisés directement par l'affilié (l'avocat) auprès de la CNSS, sans passer par les Ordres. Cela exclurait donc ces instances de la gestion de la couverture médicale. « Par conséquent, il convient de s'interroger sur la légitimité des ordres à continuer à percevoir des montants auprès des avocats pour la vignette », fait remarquer une avocate de Casablanca Il est impossible de savoir comment se déroulera le conflit initié par l'Association des barreaux du Maroc, qui cherche à faire valoir ce qu'elle considère comme « la spécificité de leur profession ». Derrière des arguments visant à justifier leur refus d'adhérer au régime de l'AMO, se cache en réalité le désir de maintenir un « système interne » dont la transparence est douteuse et dont l'efficacité est contestée par une partie de la profession, en particulier les jeunes avocats. Pour mémoire, cette réforme s'inscrit dans une initiative plus large, visant à restructurer l'ensemble des systèmes de protection sociale au Maroc. L'objectif déclaré est de créer un système unifié de gestion de l'AMO, afin de garantir une couverture sociale plus complète et intégrée à tous les affiliés. Une fois adoptée par le Conseil de gouvernement et les deux Chambres du Parlement, la CNSS sera la seule entité chargée de la gestion des remboursements des frais médicaux, qu'il s'agisse des employés du secteur privé ou des fonctionnaires du secteur public. De plus, des syndicats, notamment l'UMT, accuse le gouvernement de ne pas avoir respecté les mécanismes du dialogue social, une plateforme essentielle pour la concertation sur les grandes réformes touchant aux droits des travailleurs et à la protection sociale. Dans une déclaration officielle, l'UMT souligne également que ce texte a été conçu sans consulter les partenaires sociaux, ce qui représente, selon eux, une atteinte aux principes fondamentaux de la gouvernance participative.