Depuis sa révélation par le média américain Politico, il y a plus d'une semaine, le projet de décision de la Cour suprême des Etats-Unis sur une possible annulation du droit à l'avortement au niveau fédéral, continue à faire polémique. Rédigé par le juge conservateur de la plus haute juridiction du pays, Samuel Alito, ce document reproche à l'arrêt historique « Roe vs Wade« , promulgué en 1973, d'avoir déclenché « une controverse nationale qui a polarisé notre culture politique pendant un demi-siècle« . Pour les défenseurs du droit à l'avortement, la décision 7-2, telle qu'elle a été rendue par la Cour suprême il y a environ 50 ans, était loin d'être aussi politiquement polarisante qu'elle ne l'est aujourd'hui. De nombreux évangéliques conservateurs ont soutenu l'arrêt Roe v Wade à l'époque. La Convention baptiste du Sud avait adopté une résolution demandant l'avortement légal dans certaines circonstances en 1971, puis l'a réaffirmée en 1974. C'est pourquoi, beaucoup de démocrates s'accordent à dire aujourd'hui que même si cet arrêt avait engendré une certaine division dans le pays, sa suppression n'apporterait aucune détente. De leur côté, les républicains continuent de qualifier cette fuite du document de la Cour suprême sur l'avortement comme une nouvelle bouée de sauvetage politique pour les démocrates à l'approche les élections de mi-mandat. Selon eux, leurs adversaires politiques chercheraient à transformer l'indignation causée par le risque de suppression du droit à l'avortement en succès électoral. C'est aussi une opportunité, avancent-ils, pour les démocrates de détourner le débat des sujets dominants qui fâchent, notamment l'inflation, la baisse des salaires, les prix de l'essence et la criminalité. Loin de la politique, les experts pensent que une éventuelle annulation de cet arrêt en vigueur depuis 50 ans, risque d'exacerber les divisions au sein de la société américaine, en creusant le fossé juridique entre Etats. Si la Cour suprême décide de mettre fin à Roe v Wade, le pays se retrouvera vraisemblablement avec deux régimes d'avortement très différents. Près de la moitié des Etats interdiraient la plupart des avortements. Selon l'Institut Guttmacher, dans 11 Etats, il n'y aura même pas d'exemptions pour le viol et l'inceste. Un projet de loi en cours d'examen à l'Assemblée législative de Louisiane permettrait même aux procureurs d'inculper d'homicide les personnes ayant subi un avortement. → Lire aussi : Droit à l'avortement aux Etats-Unis: un projet de décision de la Cour suprême fait polémique Les Etats démocrates, quant à eux, se transformeraient en sanctuaires de l'avortement. Les élus de l'Oregon ont récemment adopté un projet de loi visant à créer un fonds de 15 millions de dollars pour aider à couvrir les frais de l'Interruption volontaire de grossesse (IVG), y compris pour celles qui se rendraient dans l'Etat rien que pour la procédure. Un projet similaire est en cours en Californie, tandis que les cliniques d'avortement de l'Illinois, bordées par plusieurs Etats où l'avortement sera probablement rendu illégal, se préparent à un afflux massif de patientes. Un élu du Missouri a déjà introduit une mesure qui permettrait de poursuivre toute personne qui aide un résident à obtenir un avortement hors de l'Etat. En outre, en vertu d'une loi texane adoptée l'année dernière, les résidents d'autres Etats qui envoient par la poste des pilules abortives à des résidents du Texas, grand Etat conservateur, pourraient être extradés pour faire face à des accusations criminelles, bien qu'il soit peu probable que les autorités des Etats libéraux acceptent de coopérer. Pour sa part, le Connecticut, plus progressiste, vient d'adopter une loi destinée à protéger les médecins et les patients. Elle garantit notamment que personne ne peut être extradé vers un autre Etat pour avoir pratiqué ou obtenu un avortement légal dans le Connecticut, et que les personnes poursuivies en vertu d'une loi comme celle proposée dans le Missouri peuvent engager, à leur tour, des poursuites pour récupérer leurs frais. La suppression du droit à l'IVG conduirait, selon les experts judiciaires, à une profonde confusion, car les partisans des deux côtés de la controverse ne s'arrêteront pas aux frontières des Etats dans leurs efforts pour appliquer leurs politiques. Et en l'absence de beaucoup de précédents, ils avouent ignorer comment ce genre de conflits juridiques inter-étatiques allaient se dérouler. Dans cette polémique, l'image de la Cour suprême a pris un coup. Une majorité d'Américains désapprouve aujourd'hui la performance globale de la haute Cour du pays, selon un nouveau sondage de l'université Monmouth, suite de la récente fuite de l'avis sur la décision Roe v. Wade. Le sondage révèle que 52 % des personnes interrogées désapprouvent actuellement le travail de la Cour, tandis que 38 % l'approuvent. Il y a deux mois seulement, les avis étaient plus partagés sur la même question avec 42 % pour chaque camp.