Le 1er Salon national du tapis marocain a fermé, dimanche en fin d'après-midi, ses portes dans une ambiance festive marquée par une affluence record des visiteurs aux différents stands de cette exposition inaugurée le 15 octobre. Par Mohammed Badaoui A en croire les organisateurs, l'événement est de taille et a été à la hauteur des espérances des artisans et des attentes des promoteurs opérant dans ce secteur confronté à une rude concurrence à l'échelle internationale. Pendant dix jours, les visiteurs nationaux et étrangers ont eu l'occasion d'admirer la beauté d'une multitude de tapis de différentes régions du Royaume (une soixantaine d'exposants), témoignant du génie et du savoir-faire de l'artisan marocain. En effet, la blancheur des tentes dressées pour accueillir cette manifestation, à l'espace Souissi, à Rabat, n'a d'égale que l'explosion des couleurs et la gaieté de l'atmosphère qui y règnent à l'intérieur. Une lumière soft exalte la beauté des tapis accrochés un peu partout dans cet espace de quelque 4500 m2. Le visiteur était charmé et conquis. "Magnifique! " s'exclamait une touriste française. "Un véritable trésor, et de vrais joyaux de l'artisanat", enchaînait son compagnon à l'adresse d'un exposant. Au-delà des aspects commercial et économique de la manifestation, c'est la "sociologie du tapis qui me fascine le plus", a confié un touriste italien, invitant à lire une note juxtaposant un tapis: " Tapis du Haut-Atlas des tribus (à). Le décor est composé de deux registres. Le premier sur lequel le tissage était entamé est probablement tissé par une femme d'un certain âge, plutôt conservatrice. Le deuxième peut-être l'Âœuvre d'une tisseuse, plus jeune, sans doute influencée par la logique et l'ordre...". Les organisateurs sont conscients de l'intérêt que pourrait susciter un débat autour des différentes étapes de la confection d'un tapis. Ainsi, le visiteur a pu suivre sur place des démonstrations d'ourdissage et de teinture végétale et assister à des séminaires et à une-table ronde animés par des spécialistes, sans, bien entendu, oublier cette séance de d'Dlala au cours de laquelle plusieurs tapis ont été vendus aux enchères. Ce qui frappait l'imagination, lors de ce Salon, c'était sans doute ces femmes et ces quelques hommes (le tissage est une spécialité féminine par excellence) à l'oeuvre, munis, pour la circonstance, de peignes, cardes, quenouilles et différents types de laine utilisée dans le tissage. Selon M. Mohamed Messaoudi, ingénieur en textile, la laine reste la matière première préférée des tisserandes, notamment celle ayant des fibres longues. Ces fibres peuvent atteindre des fois jusqu'à 25 cm de long comme c'est le cas de la laine de Ait Barka (Haut Atlas) et celle de Timahdit (Moyen Atlas), d'où l'excellente qualité, la beauté et la réputation des tapis provenant de ces régions. Outre la qualité de la laine, la valeur et la beauté du tapis marocain sont déterminées par un mélange savant des couleurs. En dépit d'une large diffusion des colorants chimiques, les femmes utilisent encore, dans différentes régions du Royaume, des méthodes traditionnelles. M. Massaoudi a expliqué, à cet égard, que la laine peut être travaillée au naturel (marron, noir, écru) ou bien teintée dans des bains de couleurs devant être exposées parfois à la belle étoile. Toute une gamme de teintes est obtenue ainsi à partir de plantes et de pigments naturels. LE TAPIS "TEMOIN DU GOUT RAFFINE DES MAROCAINS" "Il n'est pas de foyer marocain, qu'il se situe aux monts des Haut et Moyen Atlas où dans les villes, qui ne s'enorgueillit de posséder un tapis qui témoigne du goût raffiné des Marocains et révèle d'incontestables qualités artistiques", souligna feu SM Hassan II dans un message adressé à la 1ère Conférence internationale sur les tapis marocains, tenue à Marrakech en 1995. Pour M. Massaoudi, le tapis, qu'il soit sous-forme de tissage ras ou à points noués, citadin ou bédouin, "a toujours été un objet utilitaire, mais l'ingéniosité de l'artisan marocain pour joindre l'utile à l'agréable, fait du tapis un support par lequel se transmet et se perpétue l'art marocain". La réputation du tapis marocain va au-delà des frontières nationales. En témoigne l'intérêt que lui porte nombre de spécialistes étrangers. Ainsi l'un des experts en la matière, en l'occurrence l'Italien, Claudio Perini, avait indiqué que "dans les balles de tapis qui affluent à Marrakech, provenant des villages qui se trouvent sur les pentes du Mont Siroua, ou dans la plaine du Haouz, ou dans le Moyen Atlas, il y a des chefs-d'Âœuvre qui font l'objet d'intérêt et qui sont la passion des collectionneurs, des antiquaires et des marchands". Pour sa part, la sociologue française Yvonne Samama estime que le tapis marocain ne représente pas un simple objet de décoration, mais un microcosme plein de symboles et un miroir de l'âme de celles qui l'ont conçu. "La ligne, en forme de zigzag ininterrompue, qui cerne souvent le tapis, représente pour certaines tisserandes le ruisseau. D'autres figures composées de losanges incarnent aussi bien des scarabées que des scorpions. Représenté seul, le losange est parfois considéré comme l'Âœil protégeant des mauvais sorts. Les papillons sous la forme de deux triangles qui se touchent par une de leurs pointes sont également des fleurs ou des étoiles, symboles de la beauté féminine", a-t-elle écrit dans un ouvrage intitulé "Le tissage dans l'Atlas marocain: miroir de la terre et de la vie". La sociologue française évoque, surtout, les rites entourant le tapis dans ses différentes phases de fabrication. "On ne peut gêner le montage du métier (M'Rma NDLR) à tisser sans offenser les génies qui le protègent. L'espace de l'ourdissage est sacré, le traverser serait le bafouer. Celui qui l'interrompt par sa présence doit conjurer le sort en disant +Que ton tissage soit léger+, ou bien il s'acquitte d'une somme d'argent", a-t-elle souligné. Parmi les rites préparatoires figurent en premier lieu ceux qui concernent les garçons et filles des villageois. Ainsi, selon la sociologue, une fois le métier dressé, la fillette est invitée à se faufiler, en présence de sa mère, dans le passage laissé par les fils de chaîne et les montants. De cette façon "la villageoise s'approprie la virginité de l'enfant qui, pour rompre le charme, devra faire le chemin inverse la veille de ses noces. C'est à ce moment que la mère cédera à l'épouse ce qui lui revient". Miroir d'une culture ancestrale et reflet de traditions locales, le tapis marocain s'est imposé sur la scène internationale comme le produit artisanal le plus commercialisé. Toutefois, la rude concurrence dans un monde marqué par la globalisation et la prolifération du tapis synthétique incitent à une réflexion plus approfondie sur l'avenir du tapis marocain tant du côté des pouvoirs publics que des autres parties et acteurs concernées par son avenir. Ce premier salon national sera-t-il le déclic d'une action salvatrice et salutaire à long-terme?