(SYFIA Maroc) Pendant des années, à l'abri de leurs serres et du marché, les bananeros marocains ont bien vécu. Ils font à présent la rude expérience de la concurrence. Importateurs et producteurs s'opposent. Le consommateur a, quant à lui, déjà tranché pour la qualité... des bananes importées. Pays des oranges et de la tomate, le Maroc, curieusement, produit aussi des bananes. Bien que tropical, ce fruit, largement présent sur les marchés internationaux puisqu'il est l'un des trois plus vendus dans le monde, fait l'objet d'une production significative dans le pays : pas moins de 100 000 t par an ! Cette surprenante acclimatation commence à la fin des années soixante-dix. Rabat, décide alors de suspendre l'importation de nombreux produits, dont la banane. Son objectif : économiser les devises pour financer l'effort de guerre dans les provinces sahariennes. A cette même époque, le Maroc, sur financement de la Banque mondiale, cherche à développer les cultures sous abri froid et produire des tomates d'hiver. Quelques audacieux réussissent à faire pousser des bananes sous des serres de 4 à 5 m, comme cela se fait en Grèce et aux Canaries. A l'abri de toute concurrence, ces pionniers bénéficient sur les marchés de prix extrêmement rémunérateurs. Avec un coût de revient de 4,5 à 5 dirhams (1 dirham = 0,62 FF) et un prix de vente en gros dépassant à l'époque les 12 dh, la marge atteint 7 dh au kilo. Un bon maraîcher, qui produit 70 t à l'hectare, pouvait ainsi compter sur un chiffre d'affaires de 840 000 dh et un bénéfice de 490 000 dh à l'hectare (environ 300 000 FF à l'hectare). De quoi amortir ses installations dès la première récolte. Un fruit en or Cette arithmétique alléchante, doublée d'une exonération totale des revenus agricoles, s'est vite ébruitée. Tous les investisseurs en quête d'opportunités se sont rués sur ce secteur. D'autant que la banane présentait d'autres avantages décisifs pour ces apprentis agriculteurs. Facile à cultiver, rustique, elle ne nécessite pas de connaissances agronomiques particulières. Elle demande peu de main-d'oeuvre : juste un ouvrier permanent qui loge sur place, surveille l'irrigation automatisée au goutte à goutte et fait office de gardien. De plus, la récolte se faisant en une ou deux fois, elle peut être vendue à la ferme, "au cul du camion". Le propriétaire encaisse donc directement le produit de sa récolte. Un avantage capital dans un pays où toutes les transactions agricoles se font en espèces ce qui oblige les exploitants soit à faire totalement confiance à leurs ouvriers, soit à se rendre au marché eux-mêmes. Pour toutes ces raisons, la banane est devenue la culture de prédilection des agriculteurs du dimanche, ces citadins, fonctionnaires ou chefs d'entreprises, qui, le week-end, viennent faire un tour rapide sur leur ferme. La moitié des exploitations de bananes sont d'ailleurs situées près de Rabat et Casablanca. Pour trouver une terre où s'installer, ces fermiers occasionnels ont fait flamber le prix du foncier. A la fin des années quatre-vingt, l'argent était abondant ; beaucoup d'hommes d'affaires ont investi ce créneau, louant ou achetant à prix d'or des terres à proximité des centres urbains où ils habitaient. Autour de Rabat, le prix de location à l'hectare est passé de 1 500 dh à 15 000 dh. Le prix des terres à l'achat a parfois été multiplié par cent ! La banane était alors si rentable que ces sommes paraissaient supportables. Ce n'était pas le cas pour les autres producteurs, les céréaliculteurs par exemple, à qui on demandait des loyers souvent supérieurs au produit de la récolte. Mais ces nouveaux agriculteurs, surnommés un temps bananeros par la presse, n'en avaient cure. Jouissant de relations, habiles à la négociation, c'est sans difficulté qu'ils obtenaient des prêts de la Caisse Nationale du Crédit Agricole. Celle-ci leur avait ouvert grand le robinet du crédit, prenant presqu'un milliard de francs d'engagements dans une spéculation qu'elle jugeait rentable et sans risque. Ce qui n'empêchera pas des années plus tard ces mêmes investisseurs de monter au créneau pour protéger leur paradis artificiel menacé par l'ouverture des frontières, au nom de la défense de l'agriculture nationale, des petits agriculteurs et de l'emploi. L'acte fondateur de la nouvelle Organisation Mondiale du Commerce, signé en 1994 à Marrakech, jette un froid dans ces serres douillettes. Des licences d'importation de bananes ayant été à nouveau accordées, on vit faire escale à Casablanca un bateau en provenance du Costa Rica. Les 570 t de bananes achetées à Del Monte reçurent un accueil enthousiaste sur les marchés marocains. Habitués à des fruits de petite taille, mal mûris et de qualité jugée médiocre, les consommateurs trouvèrent à leur goût ces longues bananes claires, étiquetées et mûries à point. Cette première importation fut un électrochoc pour tout un secteur qui, ce mois-là, ne trouva plus d'acheteurs pour ses bananes, pourtant proposées aux grossistes moitié moins cher que celles importées. Jadis dispersés, les bananeros se sont vite regroupés en une Association des producteurs de bananes (Aproba). Ils ont fait le siège du ministère de l'Agriculture pour finalement obtenir à nouveau l'interdiction des importations. S'en est suivi tout un feuilleton émaillé de nouvelles autorisations et de nouvelles interdictions. Bref, une alternance de chaud et froid qui sent la fin d'une époque. Une question de goût Aujourd'hui, les prix de gros ont baissé de moitié, suite à l'engorgement du secteur. Les serriculteurs n'arrivent pas à faire progresser leurs rendements qui stagnent autour des 40 t/ha alors que leurs collègues des Canaries atteignent souvent 100 t. Ils n'arrivent pas non plus à offrir aux consommateurs marocains un produit de qualité. Ces derniers, ayant goûté de meilleurs fruits, délaissent la banane nationale s'ils ont le choix, malgré son prix inférieur de 20 %. En outre, les agriculteurs ne peuvent plus compter sur la mansuétude d'un Crédit agricole moribond, devenu strict sur le remboursement des crédits depuis qu'il lutte pour sa survie. Importateurs et producteurs tentent depuis de s'entendre et de réguler le marché. Ils se sont à cet effet constitués en Association des importateurs de bananes (APIBA) et essayent de définir des quotas que certains importateurs s'empressent de contourner. En 1995, les producteurs avaient demandé et obtenu un délai de dix ans pour amortir leurs installations, rembourser les 700 millions de dirhams qu'ils doivent encore au Crédit Agricole, et se mettre à niveau. En 2005, risque de s'écrire le dernier épisode de l'aventure des bananeros marocains...