Le dimanche 31 mars, à 23 h 20 pile, Abdelilah Benkirane, le précédent chef de gouvernement du Maroc et figure de proue du Parti de la Justice et du Développement (PJD), a publié une vidéo sur sa page Facebook dans laquelle il a appelé les députés du groupe parlementaire de son parti à voter contre la loi-cadre n° 51-17 relative à la réforme du système éducatif national. Dans la foulée, M. Benkirane a également demandé à l'actuel chef du gouvernement et Secrétaire Général du PJD, Saâd-Eddine El Otmani, de démissionner de son poste pour s'épargner «l'opprobre populaire et le discrédit politique» que lui vaudrait l'adoption de cette loi sous son mandat. Même si depuis un certain temps, Benkirane nous a habitués à ses sorties qui se suivent et se ressemblent dans leur ton et leur virulence, sa dernière prise de parole du dimanche revêt, de par son timing et l'ampleur de la charge qu'elle comporte, un caractère aussi inédit que dangereux. En ce qui concerne le timing, nul doute que le choix de l'heure tardive de 23h20 à la veille de la session extraordinaire du Parlement lors de laquelle devait être adoptée la loi 51-17 dénote d'une volonté patente de la part de Benkirane de saborder l'adoption de cette loi. Il est clair en effet que celui-ci a sciemment attendu les dernières heures du dimanche pour distiller son message, sans laisser beaucoup de temps à El Otmani pour réagir. Cependant, et selon nos informations, le lundi matin, ce dernier trouvera le temps nécessaire pour convoquer une réunion d'urgence avec les membres de son groupe parlementaire au sein même du Parlement, en présence de son allié et néanmoins ministre des Droits de l'Homme, El Mostafa Ramid. A l'heure où nous mettions sous presse, cette réunion était toujours en cours, ne nous permettant pas de savoir quelle était sa teneur et surtout de quelles décisions a-t-elle accouché. Mais on présume aisément que cette rencontre improvisée à la hâte avait pour unique objectif de tâter le pouls des députés du parti de la lampe et de tenter tant bien que mal de sauver les meubles. Toujours en vue de gagner du temps pour rattraper ce qui peut l'être et selon les informations recueillies au sein du Parlement, le PJD a obtenu à ce que le vote de la loi 51-17 soit reporté. Venons-en maintenant au fond et au contenu de la dernière sortie de Benkirane. En s'adressant aux députés de son parti et en leur demandant d'aller à contrario de la volonté de l'actuel chef du gouvernement et Secrétaire Général du PJD, celle-ci s'apparente ni plus ni moins à un véritable putsch politique contre ce dernier. En effet, et lorsqu'on connaît l'aura populaire et le poids symbolique dont jouit Benkirane, notamment au sein des bases du PJD et parmi ses députés, son appel dont on ne connaît pas à l'écriture de ces lignes l'impact réel, constitue une demande franche et sans détour de retrait de confiance à l'actuel chef du gouvernement. Au-delà des spéculations sur les conséquences qu'aura cet appel sur l'adoption ou non de la loi n°51-17, force est de parier qu'il y aura un avant et un après la sortie de Benkirane au sein même du PJD d'une part, et ensuite et surtout au sein de la majorité gouvernementale que Benkirane n'a eu de cesse de torpiller. En raison de tout cela, les jours qui viennent seront porteurs de grandes incertitudes quant à la continuité de ce gouvernement, déjà traversé par de fortes dissensions internes. Immanquablement dommageables au rendement d'une majorité considérablement fragilisée, ces incertitudes ne feront malheureusement qu'accentuer l'attentisme ambiant. Majd EL ATOUABI