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38% des 2,24 millions d'élèves scolarisés entassés dans des classes archicombles
La Cour des comptes épingle le MEN sur les conditions de la rentrée scolaire
Publié dans L'opinion le 20 - 06 - 2017

L'évaluation du système scolaire marocain vient de s'enrichir des constats révélés par la toute dernière enquête de la Cour des comptes dédiée aux conditions de préparation et de gestion de la rentrée scolaire 2016/2017 et qui a fait l'objet d'un référé adressé par cette institution au ministre de l'éducation nationale, de la formation professionnelle, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Les résultats de cette enquête montrent l'existence d'un ensemble de dysfonctionnements liés à la planification scolaire et à la gestion des déterminants de la rentrée scolaire telles des classes encombrées, des classes allégées ainsi que des classes à cours multiples.
L'examen des cartes scolaires théoriques montre une coexistence des déficits et des excédents en enseignants. La carte scolaire réajustée fait ressortir un déficit global de 16 700 enseignants, tous cycles confondus, par rapport aux besoins du système éducatif.
Au titre de l'année scolaire 2016/2017, 2 239 506 élèves, tous cycles confondus, poursuivent leur scolarité dans des classes encombrées. Ce chiffre représente 38% de la population scolarisée qui s'élève à 5 945 551 élèves. Le Ministère retient comme seuil d'encombrement un effectif qui dépasse 40 élèves par classe, la Cour considère, pour sa part, que cet effectif dépasse largement la moyenne d'élèves par classe constatée dans les pays de l'OCDE. Cette moyenne s'élève à 21 élèves par classe au cycle primaire et 23 par classe au cycle secondaire.
Cet encombrement, en tenant compte du seuil retenu par le ministère, concerne, au niveau national, 49 696 classes. Le taux d'encombrement est de 49% au niveau du cycle collégial, 29% au niveau du cycle qualifiant et 16% au niveau du cycle primaire. Ces taux varient d'une AREF à l'autre.
Au cycle primaire, les taux d'encombrement les plus élevés en milieu urbain, sont enregistrés au niveau des AREFs de Rabat-Salé-Kenitra (49%), Fès-Meknès (49%), Marrakech-Safi (45%) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (44%).
Au niveau du cycle collégial, les AREFs de Fès-Meknès, Rabat-Salé-Kenitra, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Marrakech-Safi et Casablanca-Settat affichent des taux d'encombrement des classes variant entre 49% et 72%. A l'AREF de Casablanca-Settat, les directions provinciales d'Ain-Chok et de Sidi-Bernoussi enregistrent respectivement des taux élevés de l'ordre de 87% et de 96%.
Au cycle qualifiant, les classes les plus encombrées se situent au niveau des AREFs de Casablanca-Settat et de Marrakech-Safi qui affichent des taux d'encombrement respectifs de 45% et de 38%.
81 581 classes allégées dont l'effectif
est inférieur à 24 élèves par unité
Parallèlement aux classes encombrées, le système éducatif compte 81 581 classes allégées dont l'effectif est inférieur à 24 élèves par classe. La majorité de ces classes est concentrée en milieu rural, notamment au cycle primaire avec 78 916 classes. Quant au cycle qualifiant, il compte 2 363 classes allégées.
En plus des classes encombrées et des classes allégées, l'année scolaire 2016/2017 enregistre un nombre de 27 227 classes à cours multiples dont 6 381 classes avec trois à six niveaux, soit près de 24% du total des classes à cours multiples. Ce type de classes constitue une caractéristique du cycle primaire en milieu rural.
Coexistence d'un déficit et d'un excédent en enseignants
L'examen des cartes scolaires théoriques, communiquées par le ministère, a montré une coexistence des déficits et des excédents en enseignants. En outre, la carte scolaire réajustée 2016/2017, élaborée en Juillet 2016, et qui arrête la répartition des structures pédagogiques et l'affectation des enseignants, fait ressortir un déficit global de 16 700 enseignants, tous cycles confondus, par rapport aux besoins du système éducatif. En parallèle à ce déficit, la carte scolaire réajustée 2016/2017 affiche, également au niveau national, un excédent en enseignants de l'ordre de 14 055.
La coexistence des déficits et des excédents en enseignants est une caractéristique structurelle du système éducatif.
La répartition du déficit en enseignants pour l'année scolaire 2016-2017, se présente comme suit :
- le milieu urbain compte 62% du déficit (10 318 enseignants) contre 38% en milieu rural (6 382 enseignants) ;
- les AREFs de Casablanca-Settat, Fès-Meknès et Marrakech-Safi comptent plus de 46% du déficit en enseignants. L'AREFs de Casablanca-Settat vient en tête avec un déficit de 3 500 enseignants ;
- le cycle primaire affiche un déficit de 6 252 enseignants (37%), le cycle collégial 6 332 (38%) contre 4 116 (25%) pour le cycle qualifiant ;
- les matières généralisées (Français, Arabe, Mathématiques, Education islamique, Histoire, géographique, Science de la vie et de la terre, et Physique chimie) enregistrent un déficit de 83% contre 17% pour les matières non généralisées (Education familiale, Musique, Traduction et Informatique, pour le cycle qualifiant).
Le déficit en enseignants a impacté négativement le déroulement de la scolarisation et ce, comme confirmé par les visites des établissements scolaires. Il se manifeste par plusieurs insuffisances qui remettent en cause la qualité de l'enseignement, notamment :
- le taux d'encombrement des classes élevés comme détaillé ci-haut ;
- la suppression des groupes des travaux pratiques pour les matières scientifiques ;
- la réduction, parfois à moitié, du volume horaire réservé à l'enseignement de certaines matières ;
- la suspension de l'enseignement de certaines matières ;
- l'enseignement de certaines matières par des enseignants non spécialisés ;
- l'enseignement de certaines matières par des contractuels, ou des stagiaires sans être suffisamment formés au préalable.
S'agissant de l'excédent, 14 055 enseignants, il touche les trois cycles à raison de 3 370 pour le primaire (24%), de 4 130 pour le collégial (29%) et de 6 555 pour le qualifiant (47%). Cet excédent se manifeste par un volume horaire enseigné réduit.
Exploitation non optimisée des établissements scolaires
La capacité d'accueil du système éducatif, au titre de l'année scolaire 2016/2017, compte 11 123 établissements scolaires et 13 084 satellites, avec 8 005 écoles, 2 043
collèges et 1 075 lycées. En termes de nombre de salles de classes, cette capacité est de l'ordre de 168 889 salles de classes.
L'examen de la situation des établissements scolaires, extraite des données du recensement scolaire, a révélé ce qui suit :
- la fermeture de 1 092 établissements y compris les satellites, répartis en 933 établissements pour le cycle primaire, 100 établissements pour le collégial et 59 établissements pour le qualifiant ;
- 16 262 salles de classes en bon état d'usage ne sont pas exploitées pour les fins exclusives de l'enseignement. Sur ce total, 9 103 salles sont fermées et 7 159 utilisées pour d'autres besoins (bibliothèques, salles de réunion, archives, locaux pour les associations, etc.). Converti en établissements scolaires, le nombre de salles en bon état mais non utilisées représente l'équivalent de 1 360 établissements de 12 salles chacun, soit une capacité d'accueil de l'ordre de 652 800 élèves du cycle primaire à raison de 40 élèves par classe et par salle.
Absence de conditions élémentaires de scolarisation
L'exploitation des données extraites du système d'information du Ministère et les visites d'un échantillon d'établissements scolaires ont révélé que l'état physique de certains établissements ne satisfait pas les conditions élémentaires de scolarisation. Les insuffisances relevées portent, notamment, sur les aspects suivants :
- l'exploitation de 9 365 salles en situation délabrée pour les besoins de l'enseignement ;
- l'exploitation des établissements scolaires non raccordés aux réseaux d'assainissement, d'eau et d'électricité ;
- l'absence de blocs sanitaires ;
- l'infiltration d'eau et problèmes d'étanchéité ;
- l'absence des murs de clôture ;
- l'absence de terrains de sports dans les lycées et les collèges ;
- l'insuffisance des espaces dédiés à la récréation des élèves.
Programmes d'appui social à efficacité limitée
L'appui social est constitué de cinq composantes : les internats, les cantines, le programme « Tayssir », le programme « un million de cartables » et le transport
scolaire. Cet appui vise l'encouragement de l'accès à la scolarité et la lutte contre l'abandon scolaire pour les élèves issus des familles défavorisées. Dans le cadre de la rentrée scolaire 2016/2017, les constats relevés se présentent ainsi :
- 566 collèges implantés en milieu rural ne sont pas dotés d'internats, contrairement aux recommandations de la charte d'éducation et de formation qui prévoient que « Tout collège, accueillant les élèves du milieu rural, doit posséder un internat doté de toutes les conditions d'hygiène et de bien être que nécessite une scolarité studieuse » ;
- 212 internats accueillent des élèves en surcapacité, dont certains sites affichent des taux d'occupation qui dépassent les 200%. Ces internats hébergent les élèves dans des locaux parfois inappropriés. Il s'agit, notamment, des salles de lecture et des salles de réunions des enseignants ;
- 246 internats sont en situation de sous-exploitation. Ainsi, le taux d'occupation de certains internats ne dépasse pas 4% de leur capacité d'accueil ;
- 7 023 établissements ne sont pas dotés de locaux réservés aux cantines. Les repas sont servis dans des salles de cours ou en plein air pour 457 000 élèves ;
- les conditions d'hébergement, de restauration et de transport sont inappropriées dans la plupart des établissements visités ;
- les allocations prévues dans le cadre du programme Tayssir, n'ont pas été versées aux familles bénéficiaires depuis la rentrée scolaire 2015/2016 ;
- dans certains établissements scolaires, les kits prévus dans le cadre de l'initiative Royale d'un million de cartables, sont distribués avec plus de deux mois de retard après la date de la rentrée scolaire.
Par ailleurs, malgré les efforts investis en matière d'appui social, les taux de décrochage et d'abandon scolaires demeurent élevés. En effet, selon les données de MASSAR, 218 141 élèves ont quitté l'école au cours de l'année scolaire 2016/2017, soit 4% de l'effectif global des élèves.
Principales causes des dysfonctionnements
Selon les investigations de l'enquête préliminaire, ces insuffisances sont dues principalement à la non-maitrise du processus de planification et de gestion des déterminants de la rentrée scolaire à savoir les élèves, les enseignants, les infrastructures et l'appui social. Les observations relevées à cet égard sont :
Absence d'un système d'information intégré et fiable
Certes, le système d'information éducatif a connu des progrès considérables, mais il présente toujours des anomalies. Ainsi, ce système ne permet pas de générer, au moment opportun, les informations fiables et exhaustives relatives au suivi du système éducatif de manière générale et à la planification et la gestion des déterminants de la rentrée scolaire.
Il est à signaler que le Ministère exploite plusieurs progiciels et applications informatiques pour la gestion de ses différentes activités, de celles des AREFs, des directions régionales et des établissements scolaires. Il s'agit des aspects liés à la gestion des ressources humaines, la gestion des mouvements du personnel, la préparation de la carte scolaire, la gestion de la scolarité des élèves, la gestion des activités des inspecteurs, etc. Cependant, ces différentes solutions informatiques ne sont pas intégrées. Elles ne permettent pas une remontée de données actualisées, cohérentes et fiables facilitant le pilotage du système éducatif.
Défaillance de la planification scolaire
Contrairement aux dispositions du décret n°2-02-382 du 17 juillet 2002 fixant les attributions et l'organisation du Ministère, ce dernier ne dispose d'aucun document retraçant sa vision prospective quant au développement du système éducatif et son intégration dans le tissu économique et social du pays. Nonobstant les projections des besoins en termes d'enseignants et d'infrastructures, le Ministère ne veille pas à l'élaboration de la carte prospective intégrant toutes les dimensions liées à la planification pluriannuelle.
Quant à la planification annuelle, elle est matérialisée par l'élaboration de la carte scolaire, qui dépend elle aussi des données issues de l'opération du recensement annuel, relatives aux structures d'accueil, aux élèves, aux ressources humaines, aux internats et cantines, etc. Toutefois, ces données présentent quelques insuffisances en termes d'exhaustivité et de fiabilité comme déjà mentionné.
En plus, le processus de planification scolaire, mis en place par le Ministère, ne prévoit pas de dispositif d'évaluation permettant de comparer les structures pédagogiques des établissements scolaires prévues par la carte scolaire établie en Juillet de chaque année et celles mises en place à la rentrée scolaire en septembre.
Ainsi, à titre d'illustration, la comparaison des structures pédagogiques arrêtées par la carte scolaire 2016/2017 et celles issues du recensement fait apparaitre des écarts significatifs en termes d'effectif des élèves, du nombre des classes et des nouveaux inscrits. Ces écarts remettent en cause les paramètres retenus en matière de planification scolaire. Le tableau suivant présente les écarts constatés entre les données de la carte scolaire et celles puisées de l'application MASSAR.
Absence d'un statut propre du personnel des AREFs
Sur le plan organisationnel, la gestion des ressources humaines est partagée entre plusieurs directions centrales avec une coordination insuffisante, et ce malgré l'existence d'une direction des ressources humaines suffisamment dotée en effectifs, (342 fonctionnaires y sont affectés). Il s'agit en l'occurrence des directions suivantes :
- la direction de la stratégie, des statistiques et de la planification qui évalue les besoins en enseignants ;
- la direction du budget qui se charge de la gestion des postes budgétaires ;
- la direction des affaires juridiques qui élabore les projets des statuts et les textes réglementaires qui régissent la gestion des ressources humaines.
De plus, le ministère ne dispose pas de système d'information fiable à même d'assurer une gestion centralisée de ses ressources humaines. Les discordances suivantes sont citées à titre d'illustration :
- les lieux d'affectation de certains enseignants, figurant sur la base de données du ministère, diffèrent de leurs lieux d'affectation effectifs ;
- certains enseignants continuent à figurer, dans la base de données du Ministère, parmi le personnel de certains établissements alors qu'en réalité ils n'y sont plus ;
- à l'inverse, des enseignants exercent effectivement dans des établissements mais ne figurent pas dans la base de données du ministère.
Par ailleurs, l'article 11 de la loi n°07-00, promulguée par le Dahir n° 1-00-203 du 19 mai 2000, portant création des AREFs prévoit l'élaboration d'un statut propre de leur personnel par décret. Ce texte n'est pas encore élaboré. La Cour, dans ses missions de contrôle de la gestion des AREFs, avait signalé l'importance d'un tel dispositif pour l'exercice des missions confiées à ces entités.
Il est à signaler que ces dernières n'ont en charge que des tâches de gestion administrative du personnel, et qui leur sont déléguées par le ministère conformément au paragraphe 10 de l'article 2 de la loi n°07-00 sus-indiquée.
Il s'agit des allocations familiales, des absences irrégulières, des congés à l'exception des congés de maladie de longue et moyenne durée, des attestations de travail et de salaire, de l'affectation des chargés de cours et de certaines mesures disciplinaires.
Système d'évaluation des besoins en ressources humaines incomplet et non maitrisé
Le système d'évaluation des besoins en enseignants n'est pas toujours maitrisé par les services du ministère. En effet, le recoupement entre les différentes requêtes adressées au Chef du Gouvernement au sujet des besoins en ressources humaines, a révélé des écarts significatifs.
Ainsi, pour l'année scolaire 2016/2017, les besoins en enseignants du cycle collégial sont passés de 1 231 enseignants selon l'estimation de 2006 à 5 011 enseignants selon l'estimation de 2013. L'écart constaté est de l'ordre de 3 780 enseignants, soit une augmentation de 307%.
S'agissant de l'exhaustivité du système d'évaluation des besoins du système éducatif en ressources humaines, il convient de noter que ce système est insuffisant. En effet, comme mentionné au volet réservé à la planification, ce système ne tient pas compte de l'ensemble des catégories du personnel du système éducatif.
L'identification des besoins en ressources humaines se limite exclusivement au corps des enseignants des trois cycles.
Les besoins en personnels autres que les enseignants sont couverts en puisant dans les effectifs des enseignants à travers la transformation de postes budgétaires, le changement de statut et l'affectation d'enseignants aux services administratifs.
Cette situation ne fait qu'accentuer le déficit en enseignants.


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