Les forces armées américaines et la CIA pourraient avoir commis des crimes de guerre en Afghanistan en torturant des détenus, particulièrement en 2003 et 2004, estime la procureure de la CPI, qui doit décider "de façon imminente" si elle demande l'ouverture d'une enquête. Dévoilant lundi soir les résultats d'un long examen préliminaire sur les atrocités commises dans le pays depuis mai 2003, la procureure Fatou Bensouda affirme "avoir une base raisonnable permettant de croire" que les forces armées américaines, l'agence de renseignement CIA, les talibans et leurs alliés ainsi que les forces gouvernementales afghanes auraient commis des crimes de guerre. Pour la première fois, elle a détaillé les accusations de "tortures et mauvais traitements apparentés commis par les forces armées américaines déployées en Afghanistan et dans des centres de détention secrets de la CIA, principalement en 2003-2004". Dans son rapport annuel sur ses examens préliminaires, l'étape préalable à l'ouverture d'une enquête, la procureure affirme que des membres des forces armées américaines auraient infligé "à au moins 61 détenus des actes de torture, traitements cruels, des atteintes à la dignité de la personne sur le territoire afghan". "Au moins 27 détenus" auraient subi les mêmes traitements, infligés par des membres de la CIA en Afghanistan mais aussi dans d'autres pays parties au Statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale (CPI), comme la Pologne, la Roumanie et la Lituanie. Ces allégations, assure encore la procureure, "ne concernent pas seulement quelques cas isolés". Elle estime qu'il existe des motifs raisonnables pour croire que ces crimes "ont été commis en application d'une ou plusieurs politiques visant à obtenir des renseignements au travers de techniques d'interrogatoire s'appuyant sur des méthodes cruelles ou violentes destinées à servir les objectifs américains dans le conflit en Afghanistan". Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, la CIA avait reçu l'autorisation de l'administration du président George W. Bush d'utiliser les méthodes d'interrogations dites "améliorées", dont la technique du "waterboarding", qui consiste à simuler une noyade. La CIA n'a pas utilisé ces méthodes depuis décembre 2007 et le président Barack Obama les a interdites en janvier 2009. Le président élu Donald Trump a néanmoins affirmé avant sa victoire électorale être favorable au recours à de telles techniques. Les talibans, eux, seraient responsables de la mort de plus de 17.000 civils et auraient commis des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. "Depuis mai 2003, des groupes insurgés auraient lancé de nombreuses attaques contre des endroits protégés, notamment des écoles, des bureaux des autorités civiles, des hôpitaux, des lieux saints et des mosquées", ajoute le rapport. Des actes de torture auraient également été commis dans les lieux de détention du gouvernement afghan, une pratique criminelle qui remonterait à la fin des années 70 et concernerait à l'heure actuelle entre 35% et 50% des détenus. La procureure affirme qu'elle va décider "de façon imminente" si elle demandera ou non aux juges l'autorisation d'ouvrir une enquête sur ces crimes présumés commis par les forces armées et la CIA mais aussi par les talibans et les forces gouvernementales afghanes. Si elle est autorisée à le faire, il s'agira de l'une des enquêtes les plus complexes et plus controversées de l'histoire de la Cour, fondée en 2002 pour juger les pires crimes de l'humanité. Une telle enquête pourrait exposer pour la première fois des forces armées américaines à des poursuites de la CPI. Mais Washington n'ayant pas ratifié le Statut de Rome, traité fondateur de la Cour, il est très peu probable que des soldats américains se trouvent un jour sur le banc des accusés. Kaboul n'a pas ratifié le Statut de Rome mais a reconnu la compétence de la Cour en février 2003, l'autorisant à enquêter sur des crimes commis à partir de mai de la même année. Des poursuites contre les forces gouvernementales afghanes pourraient également être compliquées par une loi générale d'amnistie adoptée par le parlement et en application depuis 2009. Le rapport intervient alors que doit s'ouvrir à La Haye la réunion annuelle des Etats membres de la Cour, la première depuis les retraits de plusieurs pays africains, qui accuse l'institution de ne s'attaquer qu'à l'Afrique.