Leicester, sacré roi d'Angleterre sans jouer après le nul de Tottenham à Chelsea (2-2) lundi, s'invite par la grande porte dans l'histoire de la Premier League, avec un exploit inédit réalisé face aux plus gros clubs du royaume. Grands animateurs et révélations de la saison, les Foxes ont été les plus réguliers et ils décrochent leur premier titre en 132 ans d'existence. Un jour après un nul valeureux chez Manchester United (1-1), un an après un maintien arraché in extremis, et à deux matches du terme. A 64 ans, leur entraîneur italien Claudio Ranieri, qui a préféré déjeuner avec sa mère plutôt que regarder lundi Tottenham, se débarrasse enfin, lui, d'une encombrante étiquette de «loser». «Je ne m'attendais pas à cela quand je suis arrivé», a-t-il déclaré sur le site du club. «Je suis un homme pragmatique, je voulais juste gagner match après match et aider mes joueurs à progresser semaine après semaine. Je n'ai jamais trop pensé jusqu'où cela nous emmènerait». «C'est une sensation tellement incroyable, et je suis content pour tout le monde. On mérite d'être champions», a-t-il ajouté. Réunis chez l'attaquant Jamie Vardy pour assister à la rencontre de leur grand rival, ses joueurs ont exulté au coup de sifflet final avant de s'enlacer en se congratulant chaleureusement, le latéral Christian Fuchs embrassant même la caméra de Sky. Immédiatement, le reste de la ville a été parcourue par des supporteurs euphoriques, dansant drapés de bleu, la couleur de l'équipe affichée ces derniers jours jusque sur des saucisses, et chantant à la gloire des héros. «Il n'y a qu'un Ranieri», hurlaient les uns aux alentours de la Cathédrale dans la vieille ville. «Je vais aller faire la fête», a crié de plaisir Caroline Wilkins, obligée à 60 ans de sortir pour voir le match, car son mari déteste le football. «Je supporte Leicester depuis que j'ai 14 ans, vous imaginez ce que cela représente pour moi? Je suis au paradis, sur le toit du monde». A l'échelle du championnat d'Angleterre, ce moment d'histoire rappelle le sacre de Blackburn en 1995, trois ans après la création de la richissime Premier League, ou plus encore celui du promu Nottingham Forest en 1978. C'est surtout un dénouement que personne n'imaginait en début de saison, lorsque le club était coté à 5.000 contre un par les bookmakers. D'abord parce que les plus grosses écuries anglaises n'ont pas l'habitude de laisser la moindre chance à une concurrence plus modeste, et ensuite parce que le «petit» club des Midlands, promu en 2014, avait eu le plus grand mal à se maintenir l'an passé. Du coup, les Chelsea, Arsenal, Liverpool et les deux Manchester, United et City, focalisés sur la Ligue des champions et s'épiant du coin de l'oeil, n'ont rien vu venir. Un trio en or, Vardy-Mahrez-Kanté Contre toute attente et malgré le remplacement de Nigel Pearson par l'ancien «Tinkerman» de Chelsea, cuvée 2000-2004, la recette a en effet pris d'entrée et Leicester, battu seulement trois fois en 36 matches cette saison n'est jamais descendu au-delà de la 6e place. Depuis qu'elle a repris les commandes le 23 janvier après son unique coup de moins bien post-Boxing Day, l'équipe trône même seule en tête du championnat. Après une fin de saison en boulet de canon ce n'est que justice si, comme le souhaitait Ranieri, l'histoire se finit aussi bien qu'un film américain malgré une pression grandissante dans une ville qui attendait impatiemment son heure depuis plusieurs semaines. Leicester, assemblage en août de bric et de broc acheté en 2010 par le groupe King Power de l'homme d'affaires thaïlandais Khun Vichai Srivaddhanaprabha, ne compte pourtant aucune star majeure. Mais son trio d'inconnus Jamie Vardy-Riyad Mahrez-N'Golo Kante s'est révélé à point nommé au sein d'un groupe restreint de revanchards pour rappeler que, miraculeusement, l'argent est parfois éclipsé par d'autres valeurs. Le caractériel buteur anglais, suspendu à Old Trafford et célébré par la presse, a ainsi inscrit 22 buts. L'ailier algérien, désigné meilleur joueur du championnat par ses pairs, a lui compilé 17 buts et 11 passes décisives. Enfin, la classe du milieu français a éclaboussé malgré son poste ingrat de récupérateur. Chelsea passe le bâton de maréchal Avec ces trois-là, désormais internationaux, le tranquille Ranieri, viré par la Grèce en novembre 2014, a su progressivement métamorphoser son équipe. Son groupe, ravi de troquer un tyran italien intraitable sur la tactique pour un doux mentor qui offre les pizzas après le premier match sans but encaissé, a immédiatement adhéré. D'abord portée par le souffle de son maintien et jouant de façon spectaculaire, l'équipe, devenue l'une des meilleures machines de contre-attaque du continent, s'est peu à peu transformée à mesure que le titre se précisait et s'en est remis à une défense intraitable. C'est pourtant son prédécesseur Chelsea, tout acquis à sa cause, qui a parachevé l'ouvrage du champion en torpillant Tottenham.