Avons-nous un gouvernement à la hauteur de la nouvelle constitution ? Pendant longtemps, la question était plutôt de savoir si l'équipe gouvernementale disposait de suffisamment de marge de manœuvre constitutionnelle ou pas pour mener à bien son programme. Avec le gouvernement actuel, le premier depuis l'adoption de la constitution rénovée, les Marocains en sont encore à escompter les interventions royales dans la gestion des affaires publiques. La dernière en date a, d'ailleurs, consisté à mettre hors-jeu le ministre qui a malmené, à la «raclette», la réputation du Maroc, sous le regard de téléspectateurs du monde entier. Pourquoi a-t-il fallu que se soit SM le Roi qui doive, en personne, donner consigne pour qu'un membre de l'actuel gouvernement, à l'incompétence démontrée, fasse autant l'objet d'enquête à propos de ce scandale que les autres responsables concernés ? La réponse en est que le Chef du gouvernement a des soucis de maintien à flot du navire de son équipe gouvernementale composite qui semblent primer sur toute autre considération. Les moqueries de commentateurs de chaînes de télévision étrangères au spectacle de la pelouse inondée du stade de football ? La honte et la rage qu'en ont ressenties les Marocains ? Les millions de Dirhams, l'argent des contribuables, dépensés pour un résultat désastreux ? Il faut croire qu'aux yeux de Benkirane, l'éclatement de sa coalition gouvernementale serait autrement plus grave. Qu'un parti politique composant la coalition gouvernementale ait décidé de saborder sa crédibilité auprès de l'opinion publique nationale, en soutenant l'un de ses ministres ayant faillit à ses responsabilités, ne concerne que ce parti. De toute manière, quand une formation politique en vient à prier Sainte Ruby de Khouribga pour que Berlusconi envoie beaucoup de chocolat, il n'y a plus grand-chose à en espérer... Il ne faut pas, non plus, s'étonner qu'un ministre qui fait passer sur son C.V des stages à l'étranger pour des formations académiques, n'ait pas le courage et la dignité de démissionner, après avoir présenté ses excuses à ses concitoyens pour les avoir ridiculisés devant le monde entier. Face au titre, au salaire et aux prérogatives d'un ministre, morale et amour propre pèsent bien peu dans les mœurs pervertis de quelques opportunistes, qui souillent par leur présence la scène politique nationale. Mais qu'un parti politique, qui affiche ostensiblement une religiosité soi-disant gage de bonne gouvernance, cède sur ce qu'il prétend être ses principes pour faire perdurer, le plus longtemps possible, un navire gouvernemental qui prend, depuis belle lurette, l'eau de toute part, voilà qui est des plus écœurants. Non seulement Benkirane n'a pas «démissionné» le ministre de la jeunesse et des Sports, pourtant politiquement responsable du scandale, mais il a même eu l'outrecuidance de tenter de minimiser la portée du désastre communicationnel. «Votez pour vos "frères" qui vous écoutent et vous comprennent... quoique, une fois installés au pouvoir, contentez-vous de les écouter, même s'il n'y a rien à comprendre, et, surtout, comme vous n'y comprenez rien, taisez-vous !». Quand, à travers l'adoption de la nouvelle constitution, les Marocains ont accordé le pouvoir exécutif au parti politique, ou à la coalition, majoritaire à la Chambre des Représentants, c'est bien pour voir ce parti, ou cette coalition, assumer entièrement ses responsabilités. Entre autres lorsque l'un des membres de l'équipe gouvernementale fait preuve d'une incompétence flagrante et que sa responsabilité politique est distinctement établie dans une affaire qui a fait scandale. Les Marocains ne se sont pas trompés en maintenant la monarchie comme principal pilier de leur système politique, réformé au mieux de leurs attentes, intérêts et réalités sociopolitiques. Ils ne se sont pas trompés, non plus, en démocratisant l'accès au pouvoir exécutif, ainsi élargi à la participation citoyenne, meilleure garante de la stabilité du pays. Une fois l'ivresse de l'enchantement, dû au changement, évaporée, en même temps que les charmes d'un discours politico-religieux, qui promettait monts et merveilles aux électeurs assoiffés de vie meilleure, vient le moment du constat du bilan et de la révision des choix politiques sur des bases plus pragmatiques. Benkirane et son parti gouvernent, en coalition, depuis trois ans. Ils ont lamentablement échoué à répondre aux attentes de l'électorat. Tellement pris au jeu politique, qu'ils prétendaient pourtant vouloir moraliser, ils ont même fini par oublier pourquoi ils ont été portés au pouvoir. Ils se contentent donc, depuis trois ans, de s'y agripper, après y avoir pris goût, engloutis dans l'abîme des petits calculs politiciens, au détriment des intérêts des citoyens.