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Abdessamad Haddadi, directeur adjoint chargé de la formation et la recherche à l'AAT :Pour des artisans créatifs dans leur domaine respectif et pour faire évoluer notre artisanat
«Marbre et pierre de taille, bilan et perspectives» est le thème d'une rencontre organisée le samedi 31 mai par l'Académie des Arts Traditionnels relevant de la Fondation de la Mosquée Hassan II de Casablanca. Il s'agit de la deuxième manifestation du genre après le colloque international sur «Les Tracés de l'arabesque géométrique» tenu du 22 au 24 mai 2013 dont les actes ont été publiés en avril 2014. Parmi les motivations de l'organisation d'une telle rencontre, il y a l'échange d'expertise, de même que l'idée d'impulser une dynamique pour favoriser l'utilisation des ressources locales en matériaux de construction alors que la tendance actuelle est plutôt l'inverse. L'objectif, d'après les organisateurs, est de faire que la pierre de taille retrouve toute sa place dans les bâtiments et espaces publics pour l'ornement des façades, dallage, pavage. Une exposition des travaux des étudiants de la filière Pierre de Taille a été organisée dans le hall d'entrée de l'Académie. Au programme de la journée, des interventions de professionnels des métiers de la pierre de taille et du marbre, experts, universitaires géologues ainsi que des maîtres-artisans marocains et français. On a noté aussi la présence d'experts en calligraphie arabe de la ville irakienne de Mossoul venus pour encadrer les étudiants de l'Académie. Des thèmes abordés ont concerné les atouts de la pierre comme matériau de construction, l'état des lieux de la production nationale en marbre et pierre de taille, l'expérience européenne, la part de la pierre dans le domaine de la restauration du patrimoine architectural, les problèmes de législation comme frein au développement du secteur du fait de textes juridiques caducs, en déphasage avec les réalités, les perspectives de la formation d'une relève d'artisans aux compétences pluridisciplinaires au service du rayonnement international de l'artisanat marocain, ce qui constitue le fond de la mission de l'Académie etc. Une table ronde devait faire suite aux diverses communications pour débattre des obstacles qui entravent le développement du secteur de la pierre de taille et du marbre et relever quelques recommandations. En ouverture une première séance a vu la présentation de communications notamment « Les métiers de la pierre à l'horizon 2025» par Norbert Stoffel de l'Association Européenne des Tailleurs et Sculpteurs de Pierres, «Connaissance, conservation et restauration des pierres du patrimoine bâti» par David Dessandier du Bureau de Recherches Géologiques et Minières, «Le marbre dans la médina de Fès» par Fouad Serghini de l'Agence pour le Développement et la Réhabilitation de la ville de Fès, «Loi sur l'ouverture et l'exploitation des carrières au Maroc» par Abdelhadi Taimouri du ministère de l'Equipement, du Transport et de la Logistique. D'autres communications ont suivi explorant divers aspects autour du marbre et pierre de taille portant des questionnements sur les difficultés, savoir-faire, développements technologiques et perspectives. Au cours de la séance inaugurale de la rencontre, le directeur de l'Académie, Khalil Mouallaf, rappelle que la filière de la formation pierre taillée fait partie des neuf spécialités techniques enseignées à l'Académie et prodigue une formation visant à «permettre à chaque lauréat de se positionner comme acteur de l'industrie de la pierre et comme interlocuteur et partenaire privilégié des décideurs et des architectes». Rappelant l'Histoire du Maroc et l'intervention durant des siècles des maîtres-artisans, tailleurs de pierre et marbriers, pour la construction de palais, mosquées et médersas, monuments transmis à travers les siècles jusqu'aux générations actuelles grâce justement aux matériaux résistants et pérennes, il a souligné que «les premières entreprises de marbrerie au Maroc ne datent que de 1912 avec une période d'expansion entre 1945 et 1965». Il souligne le fait qu'il «fallait attendre le grand projet de la Mosquée Hassan II à Casablanca (1986-1993) pour qu'une renaissance de la production de la roche ornementale voie le jour». En effet, l'immense chantier de la Grande mosquée a été à l'origine d'une véritable impulsion pour le secteur de la roche ornementale au Maroc depuis l'extraction dans la carrière jusqu'à la pose dans le bâtiment en construction. Comme c'est rappelé dans l'exposition organisée en parallèle avec les travaux de la rencontre, pour ce grand projet de la Grande mosquée il a été fait appel à des roches exclusivement marocaines extraites de gisements de toutes les régions du Royaume pour bâtir et orner l'immense monument. Ce qui était une manière de démontrer la richesse du sous-sol marocain. Il s'agit notamment du travertin de Taroudant, du granite rose et granite gris de Tafraout, de la serpentine bréchique à tache rouge de la région de Tiznit, du marbre vert de Benguerir et enfin de la pierre jaune beige de Boujad etc. Il a été fait appel à un seul produit d'importation amené spécialement pour orner le mihrab. Il s'agit du marbre de Carrare importé d'Italie. Au total 250.000 mètres carrés de roches ornementales ont été posés pour la construction de la Grande mosquée. Cet immense chantier a donc donné un nouveau souffle au domaine de la pierre de taille et marbre extraits des gisements marocains. Il a parallèlement revalorisé le travail des maîtres-artisans marocains qui sont les dépositaires d'une sensibilité et d'un savoir-faire esthétique séculaire enraciné dans la terre d'origine avec des influences réappropriées à travers le temps. «Actuellement, la pierre fait visiblement un retour remarqué comme élément décoratif de façade...» devait noter le directeur de l'Académie, en ajoutant avec une pointe de regret que «son utilisation en structure des bâtiments n'est plus qu'un souvenir pour l'immense majorité d'entre nous». Cela bien qu'on soit parfaitement conscient de la «qualité, de la durabilité et de l'esthétique qui s'imposent comme atouts convaincants de la pierre, cette pierre qui s'inscrit totalement dans la quête actuelle d'authenticité et dans le débat permanent sur l'environnement et le développement durable». Ce recul de l'utilisation de ce matériau emblématique suffit pour confirmer, si besoin est, la pertinence du lancement d'un débat visant à sensibiliser «opérateurs et architectes sur l'opportunité d'emploi de ce matériau naturel qui symbolise l'appartenance à un territoire, à une phase de l'Histoire». La régression dans le domaine de l'utilisation de la pierre de taille dans la construction aurait plusieurs raisons. L'une des explications, parmi d'autres, soulevée au cours des débats est celle concernant la réglementation caduque avec le Dahir qui régit le domaine des carrières et qui date du 5 mai 1914 soit il y a cent ans, comme noté par David Toledano, président de la Fédération des industries des matériaux de construction «alors que la nouvelle loi a du mal à sortir depuis une quinzaine d'années». On notera au cours des débats le fait relevé que les importations en matériaux, pierre de taille et marbre, ont connu une croissance très sensible au Maroc alors que les gisements dont dispose le pays devraient en faire un exportateur en développant un secteur pourvoyeur d'emplois. Abdelhadi Taimouri du ministère de l'Equipement devait expliquer que le nouveau projet de loi 27-13 relatif à l'exploitation des carrières est en cours de discussion pour remédier au vide juridique dû à un Dahir déphasé qui date d'un siècle et à une circulaire du Premier ministre de 2010 qui reste inefficace «n'ayant pas force de loi». Il insiste sur le fait que la nouvelle loi prévoit tout un programme de facilitation et d'encouragement avec des garde-fous pour la question de protection de l'environnement. L'absence de réglementation aurait été à l'origine du recul des investissements dans le domaine parmi d'autres causes et donc la régression de la production de pierre de taille locale. Saïd AFOULOUS Inaugurée il y a deux ans, le 31 octobre 2012, l'Académie des arts traditionnels (AAT) est située sur l'aile droite de l'entrée de l'esplanade de la Mosquée Hassan II de Casablanca. Elle fait partie avec la Médiathèque située sur l'aile opposée, des structures dépendant de la Fondation de la Mosquée Hassan II. L'AAT regroupe un ensemble de 10 filières, 9 techniques et une filière de calligraphie. Les 9 filières techniques se répartissent sur un ensemble de 5 arts : l'art du bâtiment traditionnel où l'on trouve les filières du plâtre, zellige et pierre de taille, art du bois avec filières du bois sculpté et du bois peint, art des métaux avec bijouterie et ferronnerie d'art, art du textile avec tissage traditionnel et art du cuir avec maroquinerie. Pour accéder à l'Académie il faut avoir 25 ans au plus, détenir un Bac scientifique ou technique en plus d'un diplôme de technicien spécialisé obtenu à l'issue de deux ans à la Formation Professionnelle, soit donc Bac + 2. Ensuite il faut passer un concours d'accès avec écrit et oral. Sur près de 500 candidats sont choisis 120 chaque rentrée. Pour ce qui concerne les candidats, ils doivent passer 3 ans de formation à l'Académie pour avoir un niveau de Bac + 5 équivalant au Master ou au diplôme d'ingénieur. Dans l'entretien suivant, M. Abdessamad Haddadi, directeur adjoint chargé de la formation et la recherche au sein de l'AAT, nous donne un aperçu sur cette structure première du genre au Maroc dont la première promotion verra le jour fin de l'année 2014-2015 : L'Opinion: En quoi consiste la mission de l'Académie ? Abdessamad Haddadi: Il s'agit principalement de former des ressources humaines de grandes compétences, des cadres de haut niveau qui puissent par la suite mettre sur pied des entreprises pour développer le domaine de l'artisanat sur des bases solides. Il faut savoir par exemple qu'il y a quatre à cinq ans, dans le salon de Shanghai en Chine, le pavillon marocain était le deuxième à avoir drainé le plus de visiteurs pendant la durée de cette grande manifestation internationale. Ce qui prouve que l'artisanat marocain s'exporte. Mais pour œuvrer dans le sens du développement efficace de l'exportation, il faudrait que nos futurs entrepreneurs aient des compétences en matière d'économie, de la gestion et du management, d'où le fait que l'Académie enseigne ces matières pendant les trois années que dure le cursus. Il en est de même pour l'apprentissage des langues, français et anglais, pour des questions de communication et d'ouverture. Le problème c'est que nous avons des entreprises en artisanat mais au niveau de la gestion il y a manque en ressources humaines avec des compétences appropriées. Le cursus comporte aussi des formations en sciences humaines, anthropologie, histoire de la civilisation musulmane qui est en étroite relation avec les origines de nos arts traditionnels. L'Opinion: Comment se répartit le cursus ? Abdessamad Haddadi: C'est un cursus de trois ans avec 50% de formation pour le domaine pratique touchant chaque spécialité, ce qui se fait dans les ateliers et 50% d'enseignement de théorie concernant les différents métiers d'artisans avec connaissances en sciences exactes maths, physique chimie, dessins techniques, modelage numérique, sans oublier management, gestion, langues et le volet artistique. Cette formation au final est conçue pour avoir des artisans créatifs dans leur domaine respectif, de manière à faire évoluer notre artisanat. Par exemple lorsque le touriste étranger vient au Maroc il retrouve les mêmes beaux objets d'artisanat mais qui sont tout le temps reproduits à l'identique sans aucune inventivité. Ce qui est souhaité c'est que tout en conservant l'empreinte originale de l'objet d'artisanat, d'ajouter une touche de créativité. On pense par exemple à adapter le produit d'artisanat au marché américain, européen ou français en prenant en compte le style décoratif du salon mais tout en gardant l'empreinte traditionnelle de l'artisanat marocain. L'Opinion: Quel est le nombre des étudiants de l'AAT ? Abdessamad Haddadi: Nous avons aujourd'hui 233 étudiants pour l'ensemble des deux niveaux, première année et deuxième année. L'année prochaine 120 étudiants entreront à l'Académie en première année après concours. Nous avons eu la rentrée 2013-2014 environ 500 candidats dont 112 furent admis pour accéder à l'Académie compte tenu de la capacité d'accueil qui est 120 nouveaux étudiants inscrits chaque année. Ce qu'il faut préciser c'est que dans chaque filière on ne dépasse pas 12 étudiants. Ces étudiants reçoivent de la Fondation de la Mosquée Hassan II une bourse de 3000 Dh par mois pendant la durée des trois années du cursus pour pouvoir subvenir à leurs besoins, sachant que des étudiants viennent d'autres villes et régions du Royaume et que l'assiduité aux cours est exigée. 50% des étudiants sont de Casablanca, les 50% restants proviennent des autres villes. Au niveau du sexe les étudiants représentent jusqu'à 70% par rapport aux étudiantes. Par contre dans certaines filières le nombre des étudiantes avoisine les 80% comme c'est le cas des arts des textiles. Ceci dit les filles sont présentes aussi bien dans les arts des textiles, tissage traditionnel, que dans les arts des métaux, du bâtiment (plâtre), la maroquinerie et même la filière de la calligraphie. L'Opinion: Qu'en est-il du corps enseignant ? Abdessamad Haddadi: On fait appel aux meilleurs cadres enseignants à l'Académie. D'abord les ateliers sont encadrés en majorité par les maîtres-artisans qui avaient travaillé dans la construction de la Mosquée Hassan II, j'ai nommé les maallems Moulay Hafid, Bellamine, Youssfi entre autres. D'autre part, il y a des enseignants universitaires, des architectes, des professeurs qui viennent de l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, de l'Institut national d'archéologie de Rabat, les écoles d'architecture, l'école des Mines, les Facultés de Sciences comme celles de Ben Msik, de Fès etc. Nous faisons par ailleurs appel à un ensemble d'experts qui viennent de l'étranger. Par exemple cette année nous avons fait venir de France pas moins de quatorze experts pour animer des séminaires et des formations dans les différentes filières. Ils passent une semaine pour transmettre des compétences à nos étudiants. Autre exemple : pour la filière calligraphie nous avons fait venir des experts de la ville de Mossoul en Irak, ils sont présents avec nous, parmi eux un enseignant universitaire spécialisé en style calligraphique coufique et un autre enseignant spécialisé dans la décoration en relation avec le style coufique. Il y a aussi un ensemble d'enseignants qui nous viennent des instituts relevant du ministère de l'Artisanat spécialisés dans différents arts céramiques et arts du bois, de même des formateurs de la Formation professionnelle. Les artisans formateurs représentent entre 7 et 8% de l'ensemble du corps enseignant à l'Académie. Mais leur nombre est variable. L'Opinion: Quelles débouchées pour les futurs diplômés de l'AAT ? Abdessamad Haddadi: Pour les débouchées, la formation reçue permettra aux diplômés soit de trouver un emploi dans le secteur privé ou de devenir eux-mêmes des entrepreneurs, partant du fait que le produit d'artisanat s'exporte et qu'il faut des entrepreneurs compétents dans le secteur comme dit plus haut. Ils peuvent aussi devenir des enseignants ici à l'Académie ou au sein des instituts relevant de l'Artisanat ou la Formation professionnelle où les besoins en cadres enseignants se font sentir en particulier pour des formations dans les métiers d'artisans. De plus, le ministère de l'Artisanat a besoin de ces cadres aussi pour gérer par exemple des coopératives et les entreprises spécialisées dans l'artisanat.