Quelle est le lien entre l'acteur marocain Mohamed Habachi, décédé le 21 novembre 2013 et la star britannique Peter O'Toole qui s'est éteint le 14 décembre courant? C'est le film "Lawrence d'Arabie", érigé depuis plus de 50 ans en tant que chef-d'oeuvre parmi les grands classiques du cinéma. Tous les deux ont joué dans le film à différents degrés d'importance mais tous les deux encore débutants en tant qu'acteurs de cinéma après avoir côtoyé le théâtre. "Lawrence d'Arabie" est le deuxième grand film de David Lean après la superproduction du "Pont de la rivière Kwai" réalisé cinq ans plutôt. Fort du succès de ce dernier, le producteur américain Sam Spiegel récidive en mettant des moyens encore plus colossaux à la disposition du réalisateur britannique qui n'avait réalisé jusqu'au "Pont" que des films de modestes budgets. Vingt mois de tournage dans le désert à travers plusieurs territoires dont l'Espagne (Studios Texas Hollywood, Place d'Espagne), à Séville et Almeira, au Maroc (Agadir et Ouarzazate), en Jordanie, en Syrie et au Royaume Uni (Studio Shepperton). Pendant des mois interminables, les acteurs à la peau blanche ont bronzé sous des soleils brûlants et des chaleurs insupportables. Il a fallu à Pater O'Toole alias Thomas Edward Lawrence une année entière pour perdre son teint basané. O'Toole était entouré par des stars d'Hollywood dont Anthony Quinn dans le rôle de Aouda avec un nez crochu qui frise le ridicule, Arthur Kennedy abandonnant pour quelques temps ses westerns pour endosser le rôle de Jackson, Jack Hawkins dans le rôle du général Allenby, également José Ferrer en Bey turc et Claude Rains dans la peau de Monsieur Dreyden. Mais Peter O'Toole était surtout entouré de compatriotes tels qu' Alec Guinness métamorphosé en Roi Faiçal Ibn Housein et Anthony Quayl sous l'uniforme du colonel Brighton. Le rôle de Shérif Ali était endossé par le jeune acteur égyptien Omar Sharif dont c'est la deuxième production étrangère après celle de "Goha" de Jacques Baratier en 1957. Lean voulait pour ce rôle le comédien Rochdi Abada qui avait décliné l'offre prétextant qu'il est une star dans le cinéma de son pays et qu'il ne peut accepter un second rôle au sommet de sa carrière. Avait-il tort? Peut-etre compte tenu de la suite que va connaitre la carrière d'Omar Sharif en tant que star d'envergure internationale grâce à "Lawrence d'Arabie" qui lui a ouvert les portes d'Hollywood jusqu'aux nominations aux Oscars au lieu de moisir dans un cinéma potentiellement médiocre. Sharif doit sa célébrité à la chance qu'il a saisie en acceptant l'offre de Lean. Ses rôles dans "Docteur Jivago", "La nuit des généraux", "L'or de Mac Kenna", "Fanny Girl", "La chute de l'empire romain", "Et vint le jour de la vengeance", "Che", dirigé par Fred Zinnemann, Anatole Litvak, Richard Fleicher, Anthony Mann, William Wyler, ne sont que la conséquence de cette terrible occasion. Participait également aux cotés de Sharif un autre acteur égyptien notamment Jamil Ratib dans le rôle de Majid, un pur produit de la Comédie Française devenu une célébrité dans son pays. Coté marocain, toute une pléiade d'acteurs apportait son concours à cette superproduction historique, à laquelle le Roi Hassan II avait donné une impulsion en recevant le producteur Sam Spiegel en présence du ministre de l'information Ahmed Alaoui. Tayeb Saddiki, Hassan Skalli, Abdelkader Badaoui, Mohamed Ziani, Bachir Skirej, Mohamed Alaoui et Mohamed Habachi occupaient honorablement les rôles secondaires lors du tournage au sud marocain et dont Lean garde un bon souvenir. Récompensé par 7 Oscars, le film est devenu une légende que les générations successives apprécient à sa juste valeur. Le film, aussi bien que le réalisateur, le chef opérateur, l'ingénieur du son, le compositeur de musique (Maurice Jarre) vont être oscarisés. Au fil des années, le film va récolter pas moins d'une cinquantaine de prix mais rarement on va reconnaître les mérites de celui qui va supporter pendant 20 mois ce personnage hors du commun: Thomas Lawrence, alias Peter O'Toole. Gardant une éternelle amertume, cause de ses multiples dépressions, O'Toole ne s'est jamais relevé de cette injustice à l'instar des Grands du cinéma. Ce n'est qu'à l'age de 71 ans qu'il reçoit un Oscar pour l'ensemble de sa carrière. Le cas O'Toole rappelle celui de Charles Chaplin, Barbara Stanwick, Sidney Lumet, Alfred Hitchcock qui ont été admis par "rachetage", juste pour soulager les consciences. Nous gardons quand meme entre les mains cette superbe copie de "Lawrence d'Arabie" dans sa version intégrale, vue, corrigée, restaurée et augmentée de 21 minutes telle que l'aurait souhaité son auteur David Lean. Résumé du film En 1916, le jeune officier britannique T. E. Lawrence est chargé d'enquêter sur les révoltes arabes contre l'occupant turc. Celui qu'on appellera plus tard «Lawrence d'Arabie» se range alors du côté des insurgés et, dans les dunes éternelles du désert, organise une guérilla. Personnage brillant mais controversé, il va mener des batailles aux côtés de ses alliés et changer la face d'un empire.