Le Moussem de Moulay Abdesslam Ibn Mchich, pôle spirituel de la Tariqa Shadiliya, a été marqué récemment par un programme riche en activités culturelles et mystiques placées sous le signe « Ecole Mashishiya-Shadhiliya : valeurs et conduite », dans une humilité mystique et en présence massive de savants et disciples, ainsi que de grandes personnalités appartenant aux différentes cultures et religions pour invoquer la mémoire du saint, notamment par la prière de la Mashishiya . Cet événement interculturel s'inscrit dans une approche constructive et édifiante et pas réactionnaire basée sur les jalons de la voie la Mashishiya-Shadhiliya, en s'inspirant de la personnalité spirituelle exceptionnelle de Moulay Abdesslam Ibn Mashish et de son disciple Abou Al Hassan Ash Shadhili qui témoignent de l'apport de paix et de beauté au Maghreb et de par le monde. Entretien avec Salamato Sow, auteur nigérien et professeur chercheur à l'Ecole d'Etudes Orientales et Africaines, qui a participé à la première édition du Forum mondial de la Mashishiya Shadiliya, dont le directeur est Nabil Baraka : * Comment appréciez-vous ce forum mondial à caractère culturel et civilisationnel ? Salamato Sow : Le Maroc se veut encore une fois une terre idéale de dialogue et de partage autour de la religion. C'est un pays spirituel qui a offert au monde de nombreux saints soufis, parmi lesquels le pôle Moulay Abdesalam lbn Mashish et son disciple Sidi Abou al Hasan ash Shadhili dont l'influence spirituelle a marqué la vie politique, intellectuelle, culturelle et sociale dans une aire géographique s'étendant de l'Afrique à l'Asie et à l'occident. C'est tout un système de valeurs humaines qui a dépassé l'espace-temps et les contraintes d'ordre racial via des œuvres, des actions et des voyages accomplis pour la diffusion de la lumière et de la voie doctrinale de cette grande école au sein de laquelle des personnalités spirituelles se sont élevées. *Quelles sont vos attentes par rapport à cette rencontre interculturelle et interreligieuse? Il est temps d'exploiter le capital symbolique des grandes voies initiatiques du soufisme (tasawwu) en vue de réinstaurer les valeurs de paix, de tolérance, de dialogue et d'ouverture à l'échelle mondiale. Nous avons besoin d'un regard tolèrent et positiviste sur le destin de l'humanité via cette façon mystique de concevoir l'islam. Ainsi, nous désirons partager le même esprit d'ouverture, de disponibilité spirituelle, d'accueil de la richesse de l'autre, et de respect de son identité profonde. *Quelles sont les caractéristiques du soufisme au Niger ? A l'instar du Maroc, le Niger a toujours été imbibé de soufisme et a produit dans le passé de grandes personnalités spirituelles. C'est un pays ouvert culturellement car il a des traditions marquées par le soufisme en tant qu'une spiritualité loin de toute sorte d'idéologie ou de pensée dogmatique. Au moment où quelques esprits se laissent encore séduire par le « choc des civilisations », le soufisme dans ses états au Niger a un grand apport dans la recherche d'une paix perpétuelle. Voie d'amour et de fraternité universelle, il contribue à établir des passerelles entre les continents, les hommes et favoriser le dialogue des cultures dans le respect mutuel. Il s'agit d'un mouvement spirituel de recherche d'amour divin par la voie de la méditation. En Afrique, notamment au Niger les confréries telles que la Mouridja, la Tidjania et la Mashishiya-Shadhiliya jouent un rôle important à tous les niveaux de la vie économique et social. Le soufisme au Niger englobe donc l'ensemble du patrimoine soufi et il est considéré comme un des éléments fondateurs de la tradition religieuse de notre pays. Comment le soufisme peut-il permettre à l'homme de voler des deux ailes, la spirituelle et la matérielle ? Le soufisme est un authentique facteur de développement humain car en agissant sur la conduite et le comportement dans la société, il éduque des gens de valeur, intègres et utiles pour la société. Le soufisme prône la générosité d'âme, la sincérité dans tout ce qu'on entreprend. Toutes ces vertus sont essentielles dans les corporations de métiers et servent de fondement à l'élaboration de pactes d'honneur. Le fait que les soufis soient imbibés de spiritualité contribue à la grandeur de la civilisation musulmane. La spiritualité religieuse se rapporte à l›aspiration à se «relier» (du latin «religare»). Il s'agit alors essentiellement de se relier à Dieu, au Divin, à une réalité transcendante. Par extension, la religion est ce qui tend à relier aux hommes et à la nature mais toujours sur la base du lien à Dieu. Quelles sont les propositions que le soufisme peut faire pour rétablir l'équilibre existentiel du monde moderne ? Le soufisme développe des valeurs de paix, de tolérance, d'acceptation de la diversité et coexiste avec les autres formes de spiritualités et de croyances. La première phase est donc celle du rejet de la conscience habituelle, celle des cinq sens, par la recherche d'un état d'»ivresse» spirituelle ; les soufis eux-mêmes parlent d'« extinction » (al-fana'), c'est-à-dire l'annihilation de l'ego pour parvenir à la conscience de la présence de l'action de Dieu en soi : Le moi individuel doit être sacrifié pour laisser place à l'Esprit, étincelle divine en l'homme :Dans le soufisme, l'Être suprême est un porteur d'amour. Le Forum Mondial de la Mashishiya-Shadhiliya est donc un outil de travail du plus haut intérêt plutôt qu'une synthèse. Face à ce foisonnement de recherches, il faut se réjouir de la convergence des contributions de plusieurs disciplines pour constater combien l'étude du champ spirituel s'avère nécessaire pour comprendre les structurations de l'espace, le phénomène urbain et citoyen, la sociologie des réseaux, les rapports de force politiques et les transformations culturelles ainsi pour tenter de comprendre les relations complexes entre développement et spiritualité.