C'est en voulant joindre l'utile à l'agréable que cet agréable s'est révélé un mielleux piège qui a vite fait de l'engloutir, au point d'en ébranler son Moi initial et en devenir un véritable ballon d'oxygène, aussi utile que... vital. Deux responsabilités qui n'ont à aucun moment constitué un quelconque découragement ou handicap pour notre artiste-peintre. D'abord, au vu du lien qui existe entre la nature de son travail et le genre de ses toiles. Ensuite, au vu des relations profondes qui ont toujours existé, jusqu'à une certaine mesure, entre la dichotomie vie / œuvre de l'artiste. Vue sous cette optique, cette complémentarité susmentionnée est ce qui permet à notre peintre de retrouver toute la marge de liberté dont elle a besoin pour s'exprimer et extérioriser un Moi profond, voilé, gardé volontairement ou involontairement secret, et qu'elle éprouve du mal parfois à partager avec autrui, autrement, qu'à travers l'art... Avocate au du barreau de Safi, Bouchra Satfane a depuis son plus jeune âge passé ses loisirs à peindre d'intuition : paysages, portraits... jusqu'au jour où, à force de combiner des ronds, elle fut surprise de découvrir qu'elle avait reconstitué l'image d'un œil. C'est le coup de foudre. Depuis, cet organe constitue le concept de pratiquement toutes ses toiles. Cette parfaite synecdoque de l'être humain, cette miroir des âmes, parle, communique, avoue, nie, se trahie, se repente...il met à nu, pour qui sait regarder. Cependant, entre ce qui n'était qu'un hobby hier et cette subtilité fascinante qui émane aujourd'hui de ses toiles, aux couleurs roses, vertes, violettes...ou grise selon l'humeur du moment et cette précision doublée d'une force du geste, constituent quelques caractéristiques de ses toiles, qui témoignent, si besoin est, du long et périlleux chemin que Bouchra Satfane a du parcourir : « La quête de la perfection me stimule et me donne le punch nécessaire pour continuer. Ceci est nécessaire pour maitriser une lumière, une forme, un fond, une couleur, et faire en sorte qu'elles paraissent en grande harmonie entre elles. Le progrès de tout artiste, dépend de sa grande capacité de travailler et de sa patience et de sa passion, qui sont les seuls atouts capables de lui donner cette envie de reprendre une même chose, plusieurs fois de suite, sans jamais se lasser ni se décourager, jusqu'à ce qu'il aboutisse aux résultats escomptés. Chaque détail compte sur une toile, chaque maillon revêt toute son importance. » Et c'est là qu'on comprend pourquoi Bouchra Satfane dépose toute sa sensibilité et son égard naturel sur une toile, effectuant par là un véritable et consciencieux travail de fourmi. «Dans mes œuvres, je cherche dans l'acte de peindre ce geste « spontané » qui serait un prolongement de ma pensée, comme si l'expression de mon questionnement devait passer par le corps, mon corps. Il y a une certaine osmose, une certaine symbiose entre ma toile et moi. C'est une agréable symphonie interactive et dont je reste consciente tout au long de sa composition. Spontanéité qui ne signifie nullement improvisation, mais superposition logique de couches, de touches et de couleurs chargées de sincères émotions. C'est un ensemble de couches et de touches que j'étudie avant de commencer ma toile. Chacune doit respecter les priorités qui sont les siennes et chacune doit trouver la place et la couleur qui lui conviennent ». L'exposition de Bouchra Saftane a lieu du 19 avril au 15 mai à la galerie Châibia Tallal, en plein milieu de la mythique cité portugaise à El Jadida. Loin de déplaire en tous cas, à cette âbdia de souche et doukkalia de cœur.