Oui, pour ceux qui ne le savent pas et qui ont tendance à se fier aux apparences, la mythique Place Jemaa El Fna ne se porte pas bien. Elle est gravement malade et le tout récent diagnostic dont elle a été l'objet a laissé apparaître des résultats inquiétants quant à son devenir. Conscients de la dégradation de son état physique, le Centre de Développement Régional du Tensift (CDRT) et le Forum de Marrakech ont organisé une rencontre qui entre dans le cadre du projet Mountada (Union Européenne) en partenariat avec la Faculté des Lettres et des Sciences (UCAM), aux fins de se fixer sur les mesures idoines à même de la sauvegarder et lui restituer son éclat et son identité. Pas moins de 14 intervenants aguerris, représentant différentes sensibilités culturelles, économiques et sociales ainsi que des acteurs de la Place ont pris part à son examen. Ils étaient unanimes à confirmer son dérapage du vecteur qu'elle véhiculait et dans lequel elle s'identifiait à savoir celui de la culture orale, de lieu de rencontres et de loisirs, de facteurs de cohésion et générateur de revenus. Au lieu de cela, la Place Jemaa El Fna s'est transformée en un immense lieu de restauration à ciel ouvert. Ils se sont donc aperçus que l'alimentaire a pris le dessus sur l'animation et le culturel qui lui ont valu le prestigieux titre de Patrimoine Oral de l'Humanité, distinction décernée par l'UNESCO au prix d'un travail de longue haleine entrepris « entre autres » par l'écrivain espagnol Juan Goytisolo. « Aussi, ont-ils remarqué, tout au long des débats, que les rencontres sur l'avenir de Jamaâ El Fna se multiplient, mais très peu d'actions voient le jour. Cette place mythique attire toujours les touristes, mais reste un parent pauvre des stratégies de développement de la ville. Elle est aussi peu considérée dans les plannings de développement touristique de Marrakech. Jamaâ El Fna, classée par l'UNESCO comme patrimoine oral universel, risque pourtant de perdre son charme. Et pour cause: «l'alimentaire a pris le dessus sur l'animation et le culturel». Le constat est celui des artistes, des universitaires et des amoureux de la place. Ils ont pris part à la journée d'étude organisée par le CDRT dans le cadre du projet Mountada. La place de Jamaâ El Fna en tant qu'espace public a toujours été un lieu de rencontre, d'échanges pluriels et de convergence aussi bien des habitants que des visiteurs. Dans le passé, la place a été le lieu d'arrivée de tous les voyageurs. Aujourd'hui, c'est un lieu de divertissement pour les visiteurs et les habitants de la ville. Demain, elle deviendra un espace de restauration sans plus. Ce qui détruira son image. Pourtant, si la Place Jamaâ El Fna a été proclamée Chef-d'oeuvre du Patrimoine oral et immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2001 grâce à l'engagement de l'écrivain Juan Goytisolo et de quelques acteurs publics et associatifs, c'est aussi pour les valeurs portées par ses halqas et ses conteurs. Ces derniers se sentent de plus en plus dénigrés et exclus. Leurs espaces sont envahis par les restaurateurs. Dégoûtées, les troupes artistiques qui s'y produisaient ont quitté la place. Il n'y a pas eu de relève, dénonce cet acteur de Jamaâ El Fna. Faut-il continuer à encourager l'installation des stands de restauration sur la place et laisser pour compte les conteurs qui ont fait la réputation de Jamaâ El Fna? Le CDRT souhaite dépasser ces débats avec la concrétisation sur le terrain de ses recommandations. Celles-ci se veulent le prolongement naturel de toutes les actions menées pour faire reconnaître la place comme Patrimoine oral de l'humanité. La principale recommandation concerne la création d'une fondation Jamaâ El Fna pour la promotion du Patrimoine immatériel et matériel. Cette fondation devra veiller à l'amélioration des conditions de travail des gens de la halqa et la restructuration de la place. Une commission restreinte composée d'universitaires, de responsables de communication et de membres d'ONG devra veiller à la mise sur les rails de cette fondation. Autre recommandation, la création de l'Eco- Musée de la place en lui attribuant un espace dédié qui pourrait abriter l'Ecole des Conteurs et Hlaïqia. Enfin, du côté universitaire, une proposition de création d'une filière universitaire de Recherche & Développement pour la Promotion du Patrimoine Culturel à Marrakech a été émise. Reste à savoir si les autorités locales et les élus se mobiliseront pour cette cause. Ainsi donc, les recommandations de cette rencontre se veulent le prolongement naturel de toutes les actions menées pour faire reconnaître la place comme Patrimoine Oral de l'Humanité. Le travail et la générosité de M. Juan Goytisolo, écrivain espagnol et homme de dialogue entre les Cultures, ont été unanimement salués : 1/ Proposition de créer la Fondation Jamaa el Fna pour la promotion du Patrimoine Immatériel et Matériel, l'amélioration des conditions de travail des gens de la Halqa et la restructuration de la Place; 2/ Proposition de création du Musée Virtuel de la Place; 3/ Proposition de création de l'Eco-Musée de la place en lui attribuant un espace dédié qui pourrait abriter l'Ecole des Conteurs et Hlaïqia; 4/ Proposition de créer une filière universitaire de Recherche & Développement pour la Promotion du Patrimoine Culturel à Marrakech; 5/ Création de la Commission ad hoc de suivi et d'évaluation. Elle se compose de Mme Bahija Gouimi, MM. Patrick Marac'h, Bensassi My Mhamed, Jalal Moutassadik, Abdellatif Tahine, Mohamed Tata, Abbas Fouraq; Abdelmajid Madini, Abdelhalim Ould Sidi Kanoun, Mohamed Fakhradine, Habib Abouricha, Abdelkader Mokhlisse, Mostafa Fnitir et Jamal Dine El Ahmadi. Cette commission est chargée de mettre en forme et d'éditer ».