Les populations rurales du Maroc ont accumulé des savoirs variés (savoirs locaux ou savoirs traditionnels). A ce jour, la valorisation de ces savoirs locaux reste problématique dans les projets modernes. Cela est dû à la difficulté d'intégrer ces savoirs aux données conventionnelles, collectées en vue de l'élaboration de ces projets (Diallo, 2004). L'abolition des pratiques et savoirs locaux est à l'origine de nombreux échecs des projets de développement, initiés par les pouvoirs publics. En effet, pour répondre à l'attente des consommateurs, il a été jugé nécessaire de leur fournir une image attractive en simplifiant la relation productrice entre société locale et produit de terroir, c'est à dire effacer la complexité des pratiques et savoirs locaux ainsi que celle des écosystèmes qui leur sont associés, afin de la remettre dans le cadre des normes de la demande internationale (Simenel et al., 2009). À travers l'exemple de l'huile d'argane, c'est de cette simplification que Simenel et al. (2009), dans un excellent article paru dans la revue autrepart, nous montrent comment ce processus de filtrage et ce façonnement peut mener à une «naturalisation» des espèces, des écosystèmes et des paysages concernés. « pour mondialiser l'image de l'huile d'argan, les développeurs ont travaillé à construire une représentation «sauvage» de l'arbre et de la forêt, c'est-à-dire à passer sous silence l'aspect domestique de l'origine du produit, désappropriant ainsi les groupes sociaux d'un écosystème (l'arganeraie) qu'ils ont largement transformé et domestiqué» (Simenel et al., 2009). L'arganeraie qui fait vivre 2,5 millions de personnes est en forte régression, aussi bien en surface qu'en densité. Sa sauvegarde est une préoccupation majeure pour les organismes de développement. Dans les années 1990, les milieux du développement international soutenaient l'idée que la conservation d'un écosystème implique la valorisation économique de ses ressources. Quelques années plus tard, les développeurs étaient forcés de constater que le développement commercial de la filière «huile d'argan» n'avait aucun effet réel sur la préservation de l'arganeraie. De nombreux projets de développement initiés par les services gouvernementaux et les partenaires au développement n'ont pas permis d'atteindre, aux plans social et économique, les objectifs attribués. Comment expliquer cet échec ? Plusieurs études ont été réalisées (Warren, 1989) et ont montré que les projets en question n'ont pas suffisamment pris en compte pratiques et savoirs locaux dans leurs stratégies. Les actions des développeurs se sont concentrées sur la création de coopératives féminines de production dans l'arganeraie. «Prise en tenailles entre grandeur commerciale, humanisme et sauvegarde de la nature, l'image en construction de l'huile d'argan fait encore peu référence aux pratiques traditionnelles et savoir-faire locaux. Selon les développeurs, l'arganier est «naturel», il n'est ni approprié, ni domestiqué» (Simenel et al., 2009). En définissant l'arganier comme un arbre sauvage, les développeurs n'ont en effet pas prêté attention aux pratiques et savoir-faire locaux en matière de domestication de l'arbre. Ils n'ont gardé que le ramassage des fruits par les femmes et ceci afin de représenter le lien entre l'huile et l'arbre. Définissant ainsi ce ramassage comme une cueillette pratiquée sur des arbres sauvages. «Or, les photos montrent de beaux arganiers... isolés au milieu des champs, dont le port imposant tient plus aux pratiques d'entretien et surtout à la pratique emblématique qui est l'agdal. Cette dernière pratique qui est à la base du façonnement de ces arbres n'est jamais évoquée, faisant ainsi, abstraction du rôle du paysan dans la production de l'huile» (Simenel et al., 2009). L'agdal est une pratique de gestion originale et emblématique de la montagne berbère au Maroc, c'est une pratique instaurée par la coutume locale. C'est une mise en défens «traditionnelle» des milieux forestiers et pastoraux. Elle est saisonnière, et correspond à la période de la récolte des fruits d'argane de mai à août parfois de mai à octobre les bonnes années. Dans toute la zone de l'arganeraie «appropriée» s'applique traditionnellement cette mise en défens saisonnière pour le pâturage et la récolte. Cette partie de la forêt est déclarée officiellement en agdal vers le 15 mai, donc après la moisson pour libérer de la place aux troupeaux sur les chaumes. À partir de cette date, chacun ne peut faire pâturer son troupeau ou ramasser les noix d'argane que sur les parcelles dont le droit d'usage lui est reconnu (Bourbouze et El Aïch, 2005 ; Faouzi, 2003). L'agdal joue un rôle important dans la conservation de la forêt d'arganier. Les beaux arganiers qui figurent dans les photos utilisées dans les campagnes de marketing sont le fait de cette pratique traditionnelle, qui sans elle, la filière de l'huile d'argane n'aurait jamais existé. Il faut introduire les savoirs et pratiques locaux dans les actions engagées. Désormais, la conservation n'est plus l'apanage de la seule sphère des spécialistes et intéresse des acteurs aux statuts très différents. La patrimonialisation des ressources locales, très en vogue, souligne l'interdépendance entre préservation et valorisation des savoirs et pratiques locaux (Bérard et al, 2005). Le recours aux savoirs traditionnels peut offrir des atouts pour le développement durable, et peut améliorer les connaissances et l'optimisation de la communication entre les différents acteurs (chercheurs, développeurs et paysans). Il est temps de développer des bases de données où sont intégrés savoirs locaux et savoirs scientifiques afin d'améliorer la gestion des écosystèmes pour un développement durable. (*) Docteur en géographie, environnement, aménagement de l'espace et paysages GEOFAO, Bureau d'études et d'ingénierie, Agadir Courriel : [email protected]