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En quoi consiste le métier d'ingénieur topographe et quels sont son rôle et son champ d'action Entretien avec M. Aziz Hilali, président de l'Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes : L'ingénieur topographe, un levier de développement
M. Aziz Hilali, président de l'Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes (ONIGT) et vice-président de la Fédération des Géomètres Francophones (FGF), est un homme comblé. Du 18 au 22 mai, il a dirigé à Marrakech la semaine de travail et le congrès de la Fédération des Géomètres Topographes, le FIG 2011, qui s'est déroulé parallèlement au 6ème congrès de l'ONIGT, ainsi que les assemblées générales et les réunions des bureaux exécutifs de la Fédération des Géomètres Francophones (FGF), de l'Union Arabe des Géomètres (UAG) et de l'Union Méditerranéenne des Géomètres (UMG), et ce quelques temps après l'horrible attentat d'Argana, ce qui est d'une grande importance symbolique en soi. Ainsi, plus de 2.000 ingénieurs venant de plus de 100 pays ont pris part à cette grande messe des géomètres topographes, débattant de leur profession aux multiples aspects dans pas moins de 90 ateliers thématiques. Et tous conviennent que la profession de géomètre topographe n'est pas valorisée comme il se doit. Pour expliquer à nos lecteurs les différentes facettes de la profession d'ingénieur topographe au Maroc et l'importance du congrès internationale qui s'est déroulé à Marrakech, M. Hilali a bien voulu nous accorder cet entretien. L'Opinion: M. Hilali, vous êtes le président de l'Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes (ONIGT) et vous venez d'achever avec succès le congrès de la Fédération des Géomètres Topographes (FIG) que vous avez dirigé et qui s'est déroulé cette année à Marrakech, au Maroc, parallèlement à la tenue du 6ème congrès de l'ONIGT. Mais avant de vous questionner sur ce sujet en particulier, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste le rôle d'un ingénieur topographe ? M. Aziz Hilali: Un ingénieur topographe est d'abord un ingénieur. Sa formation, à l'institut agronomique et vétérinaire Hassan II, ou dans une école équivalente en France, aux Etats-Unis ou au Canada, est une formation de base complète. Il y a non seulement le côté technique, mais l'intérêt est également accordé aux aspects économique, social et à la communication. L'ingénieur topographe, comme tout ingénieur, travaille au bureau pour effectuer les études techniques, mais aussi sur le terrain, c'est-à-dire au contact du citoyen. Ce qui veut dire que l'ingénieur topographe doit avoir des notions générales sur les comportements à adopter en chaque situation, sur la manière de discuter avec chacun selon son niveau d'instruction, et aussi comment convaincre les habitants d'une région de l'importance d'un projet qui peut léser en quelque sorte leurs intérêts directs et personnels. Les gens doivent savoir que l'ingénieur topographe, on le trouve dans tous les projets d'infrastructures en particulier. C'est le premier qui arrive sur le chantier, ce qui veut dire que c'est aussi le premier qui entre en contact avec les habitants de la région concernée par le projet. Parfois, il s'agit d'une route, une infrastructure d'intérêt général, mais qui passe sur les terrains de fellahs. De ce fait, quand les dits fellahs vont lui demander de quel projet s'agit-il et où la future infrastructure va-t-elle être érigée, l'ingénieur topographe doit faire preuve de tacte et présenter les choses dans leurs réelles dimensions. Il doit ainsi expliquer à ces gens que les études en cours de réalisation portent sur un projet d'infrastructure, route ou autre, qui va apporter beaucoup de bienfaits à la région et à ses habitants, que ses bienfaits vont rejaillir sur tous. C'est vous dire à quel point l'approche sociale et la communication sont importants pour un ingénieur topographe. Du temps ou j'étais étudiant, c'est le Pr Paul Pascon qui s'occupait de notre initiation à la sociologie et il accordait une grande importance à cet aspect de notre formation, à tel point que l'on se demandait ce qu'il voulait faire de nous exactement. Nous étions des étudiants en ingénierie topographique, normalement, nos matières principales sont les mathématiques, la physique, etc, pas la sociologie. Mais petit à petit, nous avons fini par reconnaître l'importance de cette discipline dans notre profession. Quand je parle de projets infrastructurels, j'entends aussi bien les barrages, que les ports, les routes, autoroutes, etc. Tous ces projets sont en général réalisés sur des terrains privés. Quelques fois les terrains appartiennent aux domaines de l'Etat, mais le plus souvent, ils appartiennent à des particuliers. Et le premier qui délimite la zone et mène les études préliminaires, le premier qui reporte tout ce qui se trouve sur le terrain sur les plans, c'est l'ingénieur topographe. Les études se faisant sur des logiciels au bureau, il faut donc collecter toutes les informations nécessaires pour ce faire et compléter celles recueillies grâce aux photos aériennes ou prises par satellite. L'ingénieur topographe est donc obligatoirement en contact direct, sur le terrain, avec les citoyens. Le deuxième niveau d'intervention de l'ingénieur topographe, ce sont les études à mener pour la réalisation des projets. L'ingénierie topographique est l'un des domaines d'ingénierie sollicités pour ce faire, mais également les économistes. Troisième étape, une fois que les études ont été validées et acceptées, on passe à l'exécution des dits projets. Là encore, c'est l'ingénieur topographe qui met en place les axes et l'implantation des projets. S'il s'agit d'un projet d'autoroutes, par exemple, après avoir fait les relevés sur le terrain, que les études ont été élaborées avec les autres disciplines d'ingénierie, il faut déterminer où passera cette autoroute avec exactitude, implanter les axes des routes, à partir desquels le projet est réalisé symétriquement à droite et à gauche. L'ingénieur topographe est alors toujours présent sur le terrain, avec pour mission d'accompagner la réalisation des projets, calculant le volume des remblais et déblais. La construction d'infrastructures étant accordée à des entreprises privées, il faut alors vérifier les chiffres présentés par celles-ci concernant le volume de mètres cube de remblais et de déblais effectués par l'entreprise réalisatrice du projet. Comme il s'agit de millions de dirhams qui sont en jeu, l'ingénieur topographe est chargé de faire les calculs nécessaires et de vérifier les chiffres fournis par les entreprises. L'ingénieur topographe entre donc en action dès le lancement du projet, de la phase des études à l'accompagnement de la réalisation de celui-ci, le contrôle des entreprises qui réalisent le projet et, une fois le projet achevé, le topographe n'est malheureusement jamais aux premières loges lors de l'inauguration des projets, alors qu'il intervient d'amont en aval dans la réalisation de tout projet. Il est vrai que le rôle de l'ingénieur topographe commence à être mieux apprécié, mais il n'en demeure pas moins que c'est encore très timide. Il intervient encore une fois alors que l'ouvrage en question est déjà entré en exploitation pour suivre l'évolution du projet. C'est particulièrement vrai pour des projets de construction de ports ou de barrages. L'ingénieur topographe suit ainsi la «vie quotidienne» du barrage. Comme rien n'est tout à fait stable, pas même les terrains, sujets à des affaissements, glissements et autres, il faut vérifier que l'ouvrage ne s'est pas mis, par exemple, à s'enfoncer dans le sol, etc. L'ingénieur topographe est donc présent en permanence pour suivre la «vie» du barrage. L'Opinion : Les gens connaissent mal les multiples fonctions de l'ingénieur topographe et l'importance de sa mission... M. Aziz Hilali : Effectivement et je profite de l'occasion pour remercier le journal L'Opinion pour cet entretien, surtout que votre journal a toujours fait la promotion de l'image de marque de l'ingénieur topographe et ce bien avant la tenue de ce congrès international. Je précise encore une fois que l'ingénieur topographe commence enfin à occuper la place qu'il mérite, mais il essaye aussi pour sa part de cesser d'être l'ingénieur à la disposition des autres ingénieurs. Parce que, si nous avons encore de la peine à occuper pleinement la place que nous méritons, c'est bien parce que les gens n'ont pas vraiment idée de l'ampleur de notre tâche. Nous essayons, donc, de mieux faire connaître notre champ d'action dans toutes ses variétés, afin de sensibiliser les citoyens en général, les élus et les décideurs politiques en particulier, sur l'étendue de nos domaines d'intervention. Pour nombre de décideurs, nous sommes des spécialistes de la topographie, c'est-à-dire des gens qui ne peuvent répondre qu'à un genre particulier de questions, ciblées et restreintes à notre spécialité. Alors que ce n'est pas vrai du tout. La spécialisation entre surtout dans le cadre de la télédétection, la prise de vue aérienne, la restitution, la cartographie, etc. Mais l'ingénieur topographe est plutôt un «généraliste», si je puis me permettre l'expression. C'est un initiateur de projet. Il y a également des domaines où seul le topographe est habilité à intervenir, domaines spécifiés dans notre loi, dont le foncier, par exemple. Le foncier est un créneau exclusif du topographe, personne d'autre ne peut travailler dans ce domaine. L'expertise en matière de foncier est un domaine exclusif du topographe, même si on a un petit problème avec le département de la Justice à ce sujet. Le ministère de la Justice a des experts, qui ne sont pas topographes, mais du fait que la loi est venue après l'établissement d'une liste de plus de mille experts accrédités près des tribunaux, il n'est pas possible de les révoquer tout simplement. Certains ayant même fait preuve de grande compétence à ce sujet. Pourtant, la loi spécifie clairement que seul le topographe est habilité à réaliser des expertises dans le domaine foncier. La cartographie est aussi un domaine spécifique au topographe. C'est un domaine très sensible, d'une grande importance stratégique, mais c'est également un document essentiel pour le développement économique. Certaines personnes se demandent encore quel lien entre cartographie et économie, pourtant la carte est un outil primordial pour toute étude économique, sociale. Une carte, c'est la réalité du terrain reporté sur un plan. Actuellement, l'Ordre national des ingénieurs topographe pousse dans le sens d'une spécialisation des cabinets de topographes. Il y a plusieurs spécialités qui exigent actuellement des investissements spécifiques. De ce fait, aucun cabinet ne peut investir dans tous ces domaines. On pousse donc les cabinets privés de topographes à se spécialiser et nous avons maintenant des cabinets spécialisés dans les prises de vue aérienne, qui ont leurs propres avions, un, deux ou même trois appareils. D'autres sont spécialisées dans ce que l'on appelle la «restitution», numérique et analogique, étudiant les photos aériennes pour élaborer des cartes ou d'autres photos. D'autres, enfin, sont spécialisés dans la cartographie. Mais la plupart sont spécialisés dans le foncier. Car aujourd'hui, et c'est avec fierté que je le dis, l'Agence nationale de la conservation foncière et de la cartographie fait un travail énorme en matière de cartographie et d'immatriculation foncière. Comme vous le savez, la loi sur l'immatriculation foncière n'impose pas à un propriétaire d'immatriculer son terrain. L'immatriculation n'est obligatoire que dans les villes. L'Etat a donc pris les choses en main, pour rattraper l'énorme retard cumulé à ce sujet, et elle est entrain de procéder à une immatriculation d'ensemble. Et l'unité de calcul, c'est la commune. C'est donc par communes entières que l'Etat immatricule. C'est énorme. Cela demande énormément d'argent, mais ça prouve que le Maroc est en marche, qu'il bouge. Plus on va immatriculer de terrains, plus leurs propriétaires seront sécurisés, plus il y aura d'investissements, mieux les choses vont aller pour tous et plus le pays va se développer. Dans le cadre de la procédure d'immatriculation disons «normale», c'est-à-dire faîte par les particuliers, contrairement à l'immatriculation d'ensemble, réalisée par l'Etat, le propriétaire a le choix entre faire appel à un cabinet privé de topographie, pour effectuer les relevés topographiques après bornage et constituer le dossier qu'il aura à déposer pour la demande d'immatriculation auprès de l'Agence de la conservation foncière, afin d'activer le processus, soit il attends que l'Etat le fasse et il paye les frais afférents. L'immatriculation est alors livrée «clé en main». L'Opinion : Cette initiative de l'Etat procure énormément de travail aux ingénieurs topographes... M. Aziz Hilali : Enormément, bien sûr. C'est la raison, d'ailleurs, pour laquelle de plus en plus de topographes ouvrent des cabinets et s'installent à leur propre compte. Nous assistons même à un processus que nous souhaitions depuis longtemps, un regroupement de cabinets de topographes, afin de pouvoir répondre aux grosses commandes de l'Etat. Pour certains projets de très grande taille, un cabinet de topographie ou même deux ne peuvent répondre à l'appel d'offres. Dans le cahier des charges, l'Etat stipule qu'il faudrait que le cabinet dispose de tant d'ingénieurs, de techniciens, de matériels, de voitures, etc. Je vois actuellement notre profession sous son meilleur jour, il y a beaucoup de travail, grâce aux grands chantiers lancés par le gouvernement, qui a la volonté de réaliser les projets tracés dans son programme d'action, mais aussi la crédibilité qui est placée en l'Ordre national des ingénieurs topographes, l'Etat faisant confiance aux cabinets privés de topographie, auxquels sont confiés des chantiers de grande ampleur. Nous sommes donc, ingénieurs topographes, au service de notre nation à plusieurs niveaux. Nous sommes au service des administrations qui font appel à nos services, mais également et directement au service du citoyen, à qui nous immatriculons des terrains. Le secteur bouge effectivement en bonne partie grâce aux commandes publiques, mais il bouge aussi grâce à la demande privée, celle des promoteurs immobiliers pour leurs projets et celle des particuliers résidant en immeubles, pour la copropriété. L'Opinion : La dimension éthique de votre profession a été souvent invoquée par les intervenants au cours de ce congrès. Qu'en est-il concrètement ? M. Aziz Hilali : Nous avons élaboré la charte de l'IGT, l'ingénieur géomètre topographe, en attendant que l'Etat édicte le «règlement des devoirs professionnels», que nous souhaitons depuis 16 ans. Dans le cadre de la «Journée du topographe» que nous organisons annuellement, nous avons tenu une journée d'étude sur le thème de l'éthique. Nous avons alors créé une commission, qui a travaillé pendant quelques dix mois à l'élaboration de cette charte, qui comprend les conditions dans lesquelles on peut gérer notre profession et nos relations avec nos clients et même entre nous. Nous avons même élaboré un contrat type des travaux topographiques et nous avons imposé aux cabinets privés, même si la loi ne l'exige pas, de signer ce genre de contrats avec leurs clients, qui fixe les droits et devoirs de chacun, les honoraires, les délais de livraison, etc, en toute transparence. Une copie dudit contrat devant être déposée au Conseil régional de l'ordre. Nous avons été si soucieux de préserver les droits des clients que certains d'entre eux ont cru qu'il s'agissait de contrats rédigés par des clients. La deuxième chose qu'a faite notre Ordre, et là ça va peut être étonner vos lecteurs, porte sur les honoraires du topographe concernant ses différentes prestations de services. Normalement, l'ingénierie topographique est une profession libérale, c'est-à-dire que les prix sont négociés en toute liberté entre le topographe et son client. Nous, nous avons cherché à cadrer cette question, en éditant un guide des honoraires de l'ingénieur topographe, pour éviter les abus. D'ailleurs, le législateur a clairement indiqué dans la loi qui a institué notre Ordre que celui-ci a le devoir de veiller à ce que les prix soient «justes et mesurés». C'est-à-dire que même s'il s'agit d'une profession libérale, l'Ordre doit veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus et nous avons donc mis en place des mécanismes pour ce faire. Comme ce guide des honoraires a été élaboré il y a quelques cinq années, nous avons mis en place une commission pour l'actualiser tout en le simplifiant. L'Opinion : La tenue du congrès et de la semaine de travail de la FIG au Maroc, à Marrakech, est un grand succès pour l'ONIGT. Mis à part les domaines techniques propres à votre profession, l'autre thème de votre congrès a porté sur la régionalisation et la gouvernance. Pourquoi ce choix pour des ingénieurs ? M. Aziz Hilai : Le Maroc est un pays évolué dans le domaine de la topographie et la profession est très organisée, contrairement à pas mal d'autres pays, qui n'ont ni ordre des topographes, ni même d'écoles de formation d'ingénieurs. C'est la première fois, depuis les 134 ans d'existence de la Fédération Internationale des Géomètres topographes, qu'elle organise son congrès international parallèlement à la tenue d'un congrès national. C'est déjà une reconnaissance du poids et de l'importance de l'Ordre National marocain des Ingénieurs Géomètres Topographes sur la scène internationale. Quand à la thématique de notre sixième congrès, elle a porté sur la régionalisation et la gouvernance, des sujets d'actualité au Maroc, surtout après le discours de SM le Roi du 9 mars, qui a donné beaucoup d'importance à la régionalisation, dont il est question de constitutionnaliser les pouvoirs. Or, la régionalisation est l'un des grands chantiers pour lesquels les compétences du topographe sont requises, puisque c'est à lui que revient, par exemple, la charge du découpage de ces régions, non pas en y procédant lui-même, mais en collectant toutes les informations nécessaires pour ce faire, en veillant à assurer un équilibre entre les ressources naturelles, la superficie et la topographie du terrain et la pression de la population. Nous avons d'ailleurs eu de très intéressantes interventions à ce sujet, dont celle d'un expert allemand et tout le monde connait le degré d'évolution de ce pays en matière de régionalisation, et celle de M. Abdellatif Abdouh, parlementaire, membre du Conseil régional de Tensift Al Haouz. Nous considérons, par ailleurs, que seule la bonne gouvernance permet d'atteindre les objectifs tracés. C'est bien d'avoir une visibilité, des idées, mais sans transparence, sans concertation, les objectifs fixés ne peuvent être entièrement atteints. L'Opinion : Il est question d'une Union Arabe des Géomètres, d'une Fédération des Géomètres Francophones et même d'une Union Méditerranéenne des Géomètres. Q'en est-il du Maghreb ? M. Aziz Hilai : Pour la création de l'Union des géomètres topographes arabes, nous avons travaillé aux côtés de nos confrères algériens et tunisiens, puis il en fut de même pour la structure francophone et méditerranéenne. Comme un congrès de géomètres topographes est prévu pour le mois d'octobre en Algérie, je crois bien que ce sera le début de la préparation d'un projet pour la création d'une structure maghrébine. Malheureusement, nous n'avons toujours pas d'interlocuteurs en Mauritanie et en Libye.