A l'ère de la révolution médicale et scientifique, mais aussi des grands combats contre des maladies qui résistent au temps et aux panacées les plus coriaces, une bestiole connue de tous continue de faire des ravages parmi ses victimes et de causer 40 000 décès par an dans le monde. Il s'agit du scorpion qui fait, au Maroc seulement, quelques 30 000 cas de victimes par an, dont 100 décès survenant de manière brutale chez les enfants de moins de 15 ans, selon les données du Centre Antipoison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM). Une situation qui représente un vrai problème de Santé publique et qui appelle à une mobilisation multisectorielle et durable. Une réalité effrayante Plusieurs espèces de scorpion existent au Maroc, les plus dangereuses sont l'Androctonus mauritanicus et le Butus occitanus. Leur activité est essentiellement nocturne et crépusculaire. La chaleur parait aiguillonner l'humeur de l'insecte qui se manifeste plus fréquemment quand il fait chaud, et s'attaque plus souvent aux mains et aux pieds. Pour fuir le soleil qu'il n'affectionne pas particulièrement, le scorpion se terre dans les endroits humides et obscurs tels sous les cailloux, dans les vieux chiffons et tous les débarras encombrés. Il se cache aussi dans les endroits arides, dans les vieux murs, mais certains préfèrent les habitations: sous les lits, les draps ou dans les couvertures où ils se retrouvent à l'abri de la chaleur et des regards indiscrets. Particulièrement dangereuse pour l'enfant, la piqûre de scorpion reste la première cause d'intoxication au Maroc, avec une incidence de 30 à 50% de l'ensemble des intoxications déclarées au Centre Antipoison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM). Après la piqûre, le venin de scorpion va se diffuser rapidement dans le corps humain. La fixation du venin au niveau des tissus sera à l'origine de manifestations cliniques pouvant mettre en jeu la vie de la personne atteinte. Les régions les plus touchées par ce fléau sont les provinces du centre et du sud du Maroc : El Jadida, Agadir, Safi, Beni Mellal, Essaouira, Kalaa Sreghna, Khouribga, Marrakech, Tiznit, entre autres. Le CAPM, conscient de l'ampleur de ce problème, a réalisé des études qui ont montré la nature et la chronologie des événements cliniques dans l'envenimation scorpionique, ainsi que les facteurs de gravité épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques. Il a élaboré une conduite à tenir nationale pour la prise en charge des malades piqués dans le but d'uniformiser la prise en charge dans tout le pays, de diminuer le taux de létalité par envenimation et de rationaliser les dépenses économiques inhérentes à l'usage inutile de médicaments, au transfert et à l'hospitalisation des malades. Une démarche qui fait partie de la stratégie nationale de lutte contre les piqûres et les envenimations scorpioniques. Le centre a procédé également à la formation, la sensibilisation et l'instauration d'un système d'information pour suivre les indicateurs de morbidité et de létalité. Le dernier évènement sensibilisateur en date est une journée nationale de lutte contre les piqûres et les envenimations scorpioniques. Une lutte multisectorielle L'envenimation par la piqûre de scorpion et la prise en charge des victimes étaient au centre de la journée de lutte contre les piqûres et les envenimations scorpioniques, organisée il y a une semaine par le Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM) en association avec le ministère de la Santé sous le thème «Lutte multisectorielle contre les PES ». Mme Rachida Bencheikh Soulaymani, présidente du CAPM, a signalé dans son discours d'ouverture de la journée, que la lutte menée pour irradiquer ce phénomène depuis une vingtaine d'années a donné ses fruits puisqu'il y a une nette diminution de létalité due à la piqûre de scorpions. De 1% de décès on est passé à 0,22%, situation, ajoute-elle, qu'on doit à la stratégie nationale de lutte et surtout aux autorités qui s'intéressent à la question, collectivités locales et services médicaux, entre autres. Elle a par ailleurs expliqué la raison du traitement de cette problématique essentielle de la santé dans certaines régions, qui passe avant même l'accouchement, première cause d'empoisonnement au Maroc. Depuis des années, on n'arrive pas à surmonter ce danger durable et mortel, ceci permet d'avancer, toujours selon Professeur Bencheikh, que le problème est ailleurs. C'est un problème de santé qui doit être réglé à l'échelle de l'Etat et que d'autres secteurs doivent prendre conscience de leur responsabilité vis-à-vis de la sécurité du citoyen. Les piqûres de scorpion existent car les scorpions existent toujours près des habitations, là où il y a des ordures, dans les endroits qui manquent d'éclairage, dans les crevasses des murs, les constructions rugueuses, ce qui constitue une problématique qui concerne les élus locaux. Par ailleurs, les scorpions piquent pour des raisons multiples: l'habitat en fait partie. Conséquences socioéconomiques importantes car ils pénètrent les maisons, qui sont un terrain propice étant parfois non construites dans les normes et manquent d'hygiène, ce qui permet aux bestioles de trouver un refuge confortable et peu dérangé par la ménagère. A cela s'ajoute la pauvreté du ménage et le manque de vigilance des occupants. Au niveau d'éducation et de sensibilisation de la population s'ajoute le niveau socio économique, l'accès aux structures de soins, le transport des patients et le fait que plusieurs régions soient infestées de scorpions. D'où l'importance de l'éducation de la famille, de lui apprendre les gestes d'urgence à faire en cas de piqûre. Le but de cette journée, renchérit la présidente, n'est pas de parler en général des piqûres de scorpions mais de l'implication multisectorielle des ONG, des collectivités locales, des délégués du ministère de la Santé, enfin de l'implication de plusieurs secteurs dans la lutte contre les piqûres scorpioniques. Dans sa présentation illustrée, Dr Ilham Semlali a avancé des statistiques hallucinantes : 30 000 cas par an (30 à 50%). Les décès concernent les enfants en priorité (90%) en milieu rural (70%), à l'intérieur des maisons surtout (70%). Situation due à des lacunes et des mauvaises pratiques dans la lutte contre les piqûres de scorpions. Les causes du danger, d'après les données présentées par l'intervenante sont d'abord la couleur de la bestiole. Le scorpion noir affecte 2,9 fois plus les fonctions vitales et entraîne même la mort en cas de prise en charge tardive de la victime. En second lieu, l'âge constitue 5,5 fois de risque de dysfonction vitale et de mort chez l'enfant. Le temps est un autre facteur déterminant du succès de la prise en charge. Le temps qui s'écoule de la piqûre à l'arrivée à un centre médical représente 3 fois plus de danger pour la vie de la victime après une heure seulement de la piqûre. Dans le but de réduire la maladie et les décès, une première Stratégie nationale a été élaborée le 17 mars 1999. Cette stratégie consiste en l'information, l'éducation et la communication avec les citoyens pour la prévention, la formation du corps médical et sa sensibilisation aux dangers émanant des mauvaises pratiques médicales. La stratégie visait également l'amélioration de la prise en charge des victimes en milieu hospitalier afin éviter le décès en mettant à contribution les médias afin d'informer l'opinion publique des résultats de la stratégie et impliquer d'autres secteurs dans le processus de lutte. Le Centre continue d'organiser des campagnes annuelles de sensibilisation à travers un dépliant de bonne conduite, des émissions audio-visuelles, des cours pilotes, des autocollants pédagogiques sensibilisateurs et des enregistrements audio, en plus des guides de prise en charge et de conseils pratiques de soins. En 2003, une démarche a été adoptée afin de limiter les lacunes dans les soins dans neuf hôpitaux provinciaux alors qu'en 2006, des campagnes de sensibilisation en milieu scolaire ont été organisées en collaboration avec l'académie de l'éducation et de l'enseignement puis généralisées au niveau national. La lutte contre les piqûres d'insectes continue en 2007, et ce par l'approvisionnement des centres de réanimation en kits de soins d'urgences et en 2008 par la signature d'une convention pour la promotion du secteur de la santé dans la région de Rhamna, entre autres. Ces démarches ont réduit considérablement le nombre de victimes, surtout la sensibilisation en milieu scolaire (de 1,25% à 1,06%) et ont permis de réduire de 1% le pourcentage d'empoisonnement, et l'approvisionnement des centres de santé en kits médicaux ainsi que l'amélioration de la méthode de soins ont fait passer l'indice de décès de 1,5% à 0,2%. Même les frais de soins ont diminué, faisant chuter le nombre de victimes n'ayant pas eu besoin de soins de 0% à 47,8%, et le pourcentage d'empoisonnés qui nécessitaient des soins est passé de 7% à 5,5%. Ces acquis et de nombreux autres dont la réalisation de la différence entre une piqûre sans danger et une piqûre venimeuse, l'utilisation rationnelle des soins et médicaments, la médiatisation large et efficace, l'intégration de la lutte en tant que programme au sein d'un plan de travail du ministère de la Santé entre 2008 et 2012. Et l'Assistance financière de la part d'organismes tels l'UNICEF et l'OMS. En guise de conclusion Les cas de décès par piqûre scorpionique ont augmenté en 2010. Ils sont passés de 55% en 2009 à 68% en 2010. On est donc loin de l'objectif zéro décès établi par les autorités compétentes, comme l'affirme le CAPM dans ses recommandations en fin de la journée nationale. Les PES représentent de ce fait un vrai problème de santé au Maroc. Malgré les progrès réalisés dans la lutte, les actions du secteur santé seul ne peuvent venir à bout de cette problématique et appellent l'implication des différents secteurs, tels les collectivités locales, les ministères de la Santé, de l'Education, de la Jeunesse, de l'Agriculture et de l'Habitat, des médias et des organismes non gouvernementaux. Le budget et la volonté politique existent, comme le stipulent les recommandations, mais la programmation et la coordination (partenariat opérationnel) font défaut. La population à sensibiliser est importante et les interlocuteurs sont multiples tels les clubs socio sportifs de proximité intégrés, les unités mobiles, les foyers féminins, les maisons de jeunes (6 Millions de jeunes) et les centres de jeunes (200 000 enfants par an) par une approche intégrée de la vie scolaire, des projets d'établissement, des outils d'éducation destinés aux enseignants, des clubs pédagogiques, d'une réglementation appropriée, par la responsabilisation et l'éduquer pour la prévention. En ce qui concerne la contribution des ONG nationales, rappelons le lien étroit qui existe entre la population qui vit en forêt et cette dernière. La plus grande concentration d'arganiers se trouve dans la région du Souss où elle couvre près de 800 000 hectares et une zone de 830 000 hectares entre Agadir et Essaouira. 3 millions et demi de Marocains vivent donc directement ou indirectement de l'arganier. Ce sont les femmes qui procèdent à la récolte des noix d'argan à la main, sans aucune protection aucune à cause du fait que le fruit est produit en même temps que la fleur de l'année suivante, ce qui oblige les femmes à cueillir à même la main afin de ne pas abîmer les fleurs, comme l'a déclaré le professeur K. Alaoui dans son exposé concernant la « contribution des ONG dans la lutte contre les PES : exemple de la fondation Mohammed VI pour la sauvegarde et la recherche de l'arganier ». Ce sont les femmes qui sont le plus piquées, ce qui a amené la Fondation à l'approvisionnement des nombreuses écoles de cuiseurs solaires afin d'éviter aux femmes et aux filles d'aller chercher du bois en forêt qui pullule de scorpions et de protéger la santé et la sécurité au travail des femmes productrices qui restent un « Trésor vivant de l'humanité ». Recommandations des régions Parmi les recommandations retenues lors de la journée nationale figurent la décentralisation de la stratégie, l'établissement d'un système d'information au niveau hospitalier, d'un audit de tous les décès, Déléguer la PEC de l'envenimé vers les hôpitaux régionaux et les ESSB, renforcer l'IEC, Impliquer différents secteurs : collectivités, BMH, ministère de l'agriculture, MEN, MJS, Médias, ONG, société civile, ministère des Habous, ONE, secteur privé et rechercher un traitement efficace à la piqûre du scorpion.