Avant la démocratisation des réfrigérateurs, congélateurs et autres surgélateurs, nos ancêtres rivalisaient d'ingéniosité pour conserver les aliments contre les aléas du temps. Retour sur une époque où, paradoxalement, le gaspillage alimentaire n'était pas aussi fulgurant qu'aujourd'hui. Dans les montagnes enneigées du Maroc, loin des côtes méditerranéennes et atlantiques, les habitants ont longtemps dû faire preuve d'ingéniosité pour préserver leurs aliments à une époque où la réfrigération moderne était un mirage. Les prouesses réalisées en matière de conservation alimentaire dans les villes marocaines d'altitude ont toujours été un témoignage de l'adaptation humaine aux conditions climatiques particulières.
Ainsi, l'on peut lire dans l'historiographie qu'au cœur du Moyen Atlas et du Haut Atlas, des villes comme Ifrane, Azrou et Midelt, ainsi que certains quartiers de Fès et Meknès, ont connu des hivers rigoureux, avec des chutes de neige régulières. Ces conditions, a priori hostiles, ont en réalité offert des opportunités uniques pour la conservation des aliments.
Les glacières de Mère nature
« Dès les premiers flocons, les habitants de ces régions montagneuses se mobilisaient pour récolter la neige. Celle-ci était soigneusement stockée dans des puits profonds ou des caves spécialement aménagées et isolées. Cette pratique ancestrale permettait de disposer d'une source de froid naturel bien après la fonte des neiges, offrant ainsi un moyen efficace de ralentir la prolifération microbienne dans les aliments pendant les mois plus chauds », nous apprend Abdelfettah Lazrak, historien.
Parallèlement à cette utilisation ingénieuse de la neige, d'autres méthodes traditionnelles de conservation étaient largement répandues. Le séchage, favorisé par l'air froid et sec des montagnes, était couramment employé pour les viandes, les fruits et les légumes. Cette technique, en réduisant considérablement la teneur en eau des aliments, créait un environnement hostile au développement des microorganismes.
Le séchage pour résister à la sécheresse
De tout ce legs millénaire, aux quatre coins du Royaume enchanté, une tradition ancestrale perdure: l'allusion est ici faite au séchage de la viande de la fête du Sacrifice. Annuellement, depuis plusieurs siècles, des femmes au foyer découpaient la viande du mouton sacrifié, la salaient, l'épiçaient, puis la suspendaient sur des cordes pour la faire sécher. Le soleil et l'air sec de la montagne transformaient lentement cette viande en gueddid, une préparation qui rappelle, à quelques détails près, le Jerky américain.
Cette préparation a toujours été un moyen de conserver la viande d'agneau, de veau ou de mouton le plus longtemps possible. Pour faire perdurer sa douce saveur, il suffit d'utiliser des graines de coriandre, le cumin et l'ail pour leurs propriétés vitaminiques antioxydantes.
La salaison, méthode millénaire, jouait également un rôle crucial. Le sel, précieuse denrée acheminée depuis les plaines, était utilisé abondamment pour préserver viandes et poissons. Son action déshydratante et antiseptique garantissait une conservation prolongée des aliments.
La fermentation, quant à elle, était au cœur de la préservation des produits laitiers. Le lben (lait fermenté) et le smen (beurre clarifié fermenté) étaient non seulement des aliments de base mais aussi des moyens efficaces de conserver le lait, denrée hautement périssable.
L'utilisation judicieuse des épices et de l'huile d'olive, aux propriétés antimicrobiennes naturelles, complétait cet arsenal de techniques de conservation. Ces ingrédients, au-delà de leur rôle gustatif, jouaient un rôle crucial dans la lutte contre la détérioration des aliments.
Enfin, l'architecture même des habitations témoignait de cette préoccupation constante pour la conservation alimentaire. Les maisons traditionnelles étaient souvent dotées de caves fraîches, tirant parti de la température naturellement plus basse du sous-sol pour stocker les provisions.
Cette diversité de méthodes, fruit d'une sagesse accumulée au fil des générations, a permis aux populations des montagnes marocaines de surmonter les défis posés par leur environnement. Elle illustre la remarquable capacité d'adaptation de ces communautés, qui ont su transformer les contraintes climatiques en atouts pour leur subsistance.
Aujourd'hui, bien que les technologies modernes de réfrigération aient largement pénétré ces régions, certaines de ces pratiques ancestrales perdurent, témoins d'un patrimoine culinaire et culturel riche et diversifié. Zoom-arrière : La réfrigération naturelle ou l'exception scandinave Dans les contrées glacées du Nord, bien avant l'avènement de la réfrigération moderne, les peuples scandinaves déployaient une ingéniosité remarquable pour préserver leurs aliments des rigueurs du temps.
Lorsque l'hiver étendait sa nappe blanche sur les fjords et les forêts, les hommes du Nord s'activaient. Armés de scies et de pioches, ils se rendaient de première heure sur les lacs et rivières gelés. Là, ils découpaient d'imposants blocs de glace, qu'ils transportaient ensuite vers les villages. Ces précieux cristaux étaient soigneusement stockés dans des glacières, des caves profondes ou des maisons de glace conçues ad hoc. Isolés thermiquement par des couches de sciure ou de paille, ces trésors gelés survivaient à l'été, offrant une fraîcheur bienveillante aux aliments périssables.
Dans les profondeurs de la terre, les Scandinaves avaient appris à tirer parti de la fraîcheur naturelle du sol. Ils creusaient des puits profonds et des celliers partiellement enterrés, où la température restait constamment basse. Les ménagères y descendaient leurs provisions dans des paniers, les préservant ainsi de la chaleur estivale.
Les ruisseaux glacés et les sources fraîches jouaient également leur rôle dans cette quête du froid. On y plongeait des conteneurs étanches remplis de lait, de viande ou de poisson, laissant l'eau vive rafraîchir leur contenu.
Dans les régions les plus septentrionales, où le sol ne dégelait jamais, les habitants creusaient directement dans le permafrost, créant ainsi des garde-manger naturels d'une efficacité redoutable.
L'hiver lui-même devenait un allié. La neige abondante servait de réfrigérateur naturel, dans laquelle on enterrait les provisions. Cette méthode, combinée aux techniques traditionnelles de salaison, de fumage et de séchage, permettait de constituer des réserves substantielles pour les longs mois de disette.
Ainsi, au gré du temps, les peuples du Nord affinèrent ces techniques, transmettant ce savoir précieux qui leur permettait de survivre dans un environnement aussi hostile que le leur. Rétrospective : L'Histoire glaçante de la réfrigération Il fut un certain temps où les scientifiques n'avaient besoin que de leur imagination pour protéger les aliments des aléas des microbes. Dès l'Antiquité, les civilisations anciennes découvrirent les vertus du froid pour conserver les aliments. En Chine, l'on récoltait la glace naturelle des lacs et rivières pour la stocker dans des puits. En Perse, l'on utilisait des structures souterraines appelées yakhchals pour conserver la glace et les aliments.
Au Moyen Âge, le commerce de la glace se développa en Europe. Les nobles firent construire des glacières pour stocker la glace récoltée en hiver. À Venise, on importait de la neige des Alpes pour refroidir les boissons.
Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, les grands progrès scientifiques en la matière ont commencé à faire leur chemin. Les travaux de Robert Boyle et Antoine Lavoisier sur la thermodynamique posèrent les bases théoriques de la réfrigération. En 1756, William Cullen réalisa la première machine à produire de la glace artificielle.
En 1834, l'Américain Jacob Perkins breveta la première machine à compression de vapeur, ancêtre des réfrigérateurs modernes. En 1861, l'Ecossais James Harrison développa le premier système de réfrigération mécanique pour la production de glace à grande échelle. Entre 1870 et 1890, le commerce international de la glace naturelle atteignit son apogée, avant d'être supplanté par la production industrielle.
En 1913, l'Américain Fred W. Wolf inventa le réfrigérateur domestique. Dans les années 1920-1930, les réfrigérateurs se répandirent dans les foyers américains, puis européens.
En 1929, l'Américain Clarence Birdseye mit au point la surgélation rapide des aliments. Dans les années 1940-1950, on assista au développement des chaînes du froid et des aliments surgelés.
Dans les années 1970-1980, une prise de conscience des effets néfastes des CFC (chlorofluorocarbures) sur la couche d'ozone émergea. En 1987, le Protocole de Montréal visa à éliminer les substances appauvrissant la couche d'ozone. Dans les années 1990-2000, on développa des technologies de réfrigération plus écologiques.
Au début du XXIe siècle, les recherches se concentrèrent sur des systèmes de réfrigération à faible impact environnemental. On chercha également à optimiser les processus de congélation pour préserver au mieux les qualités nutritionnelles des aliments.
Cette histoire de la congélation illustre comment une technique ancestrale s'est transformée progressivement en une technologie essentielle à notre mode de vie moderne, tout en soulevant de nouveaux défis environnementaux. Culture générale : Comment faisait-on avant la réfrigération ? Les anciens égyptiens utilisaient diverses techniques ingénieuses pour conserver leurs aliments sans réfrigération. Parmi elles, il y a lieu de nommer, en premier lieu, le séchage. L'on peut lire dans l'historiographie que les Pharaons profitaient du climat chaud et sec pour déshydrater naturellement les aliments. Ils exposaient la viande, le poisson et les fruits au soleil, réduisant ainsi leur teneur en eau et empêchant le développement des microbes. Cette ancienne civilisation avait aussi recours à la salaison, le sel étant largement utilisé pour préserver la viande et le poisson. De plus, il créait un environnement hostile aux bactéries en absorbant l'humidité des aliments. Ces anciens peuples faisaient aussi usage de la fermentation car cette technique était employée pour conserver le lait sous forme de fromage et yaourt, ainsi que pour produire du vin et de la bière. Le processus de fermentation empêchait la prolifération de bactéries nocives. Le miel, pour sa part, était stocké grâce à ses propriétés antiseptiques naturelles et servait à conserver certains aliments, notamment les fruits. Les aliments étaient parfois conservés dans de l'huile ou de la graisse animale, créant une barrière contre l'air et les microbes. Pour ce qui est relatif à la fraîcheur, les Egyptiens creusaient des puits et des chambres souterraines pour stocker les grains et autres aliments. La température plus fraîche de ces espaces ralentissait la détérioration des aliments. Ces méthodes, bien que moins efficaces que la réfrigération moderne, permettaient aux anciens égyptiens de conserver leurs aliments pendant des périodes prolongées, contribuant ainsi à la stabilité de leur approvisionnement alimentaire tout au long de l'année. Fait marquant : L'avènement au Maroc de la boîte à merveilles Au début des années 1950, alors que le Maroc était encore sous protectorat français, le soleil brûlant de Casablanca tapait sur les terrasses et les toits des maisons. Peu de ces dernières étaient équipées de cette armoire blanche qui allait révolutionner l'histoire de la réfrigération à l'échelle nationale.
Les boutiques des avenues des quartiers cossus sont bordées d'imposantes boîtes blanches : les premiers réfrigérateurs électriques que l'on voit au Maroc. Importé de France, cet appareil représente une véritable innovation dans un pays où la conservation des aliments reste un défi quotidien.
Cependant, pour la plupart des Marocains, le réfrigérateur reste une curiosité peu accessible. Son prix exorbitant le réservait à une élite nantie. Dans les quartiers populaires, les méthodes traditionnelles de conservation des aliments sont encore utilisées: séchage au soleil, salage ou stockage dans des caves froides.
Peu à peu, le réfrigérateur s'impose dans l'imaginaire collectif. Il devient un symbole de réussite sociale, un objet de convoitise incarnant la promesse d'une vie plus facile. L'introduction du réfrigérateur au Maroc marque le début d'une profonde transformation des habitudes alimentaires et de la vie domestique. Bien que son adoption ait été lente et inégale, elle annonce l'avènement d'une nouvelle ère où les technologies modernes s'intègrent progressivement dans le tissu traditionnel de la société marocaine.
Ainsi, ce premier réfrigérateur, arrivé presque discrètement dans une vitrine de Casablanca, fut le précurseur silencieux d'une révolution domestique qui allait, au fil des décennies, transformer en profondeur le quotidien des foyers marocains.