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Les années 2000 sont synonymes d'avenir incertain
Publié dans L'opinion le 29 - 12 - 2009

Les décennies nous font rarement le privilège de commencer et de s'achever la bonne année. Les révolutions sociales et culturelles auxquelles pensent les pays occidentaux quand ils parlent des «années soixante» se sont en réalité mises en marche entre 1962 et 1963 et n'ont pas pris fin avant la guerre au Moyen-Orient et l'embargo pétrolier de 1973-74. Pourtant cette dernière décennie est assez «propre»: les années 2000, ou les «Noughties» comme on dit en anglais, ont commencé avec les attentats islamistes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis et se sont terminées par la crise financière mondiale de 2009.
Les «Noughties» n'est qu'une invention des journalistes anglophones destinée à faciliter la rédaction d'articles de fin de décennie, comme celui-ci. Le terme a été introduit plusieurs fois au cours des dix dernières années, mais il n'a jamais pris. C'est sans doute parce qu'il ne fait pas très sérieux, alors que durant cette décennie, les plaques tectoniques ont opéré un nouveau mouvement.
Le terrorisme est-il une composante majeure des années 2000? Ces dix dernières années, environ un demi-milliard de personnes ont été tuées. Moins de cinquante mille sont des victimes du terrorisme (ce qui représente à peu près une victime sur dix mille). Au moins quarante mille de ces cinquante mille victimes vivaient en Inde, au Pakistan ou en Irak. Moins de quatre mille vivaient en Occident. Par conséquent, le terrorisme n'est pas vraiment un critère permettant de définir cette décennie.
La menace terroriste pour l'Occident était mineure. En fait, c'est la réponse complètement disproportionnée et inadaptée de l'Ouest qui a induit, dans une large mesure, l'immense changement qui caractérise cette décennie. La «guerre à la terreur», l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak et tout le reste n'ont pas dissuadé un étudiant nigérian de religion musulmane de tenter, samedi dernier, de faire exploser un avion de ligne au-dessus de Detroit. Au contraire, cela l'a motivé à le faire. Par ailleurs, ce contexte a également accéléré l'essor de l'Asie et le déclin relatif de l'Occident.
Ce changement était de toute façon en train de se produire. Quand on voit que la Chine et l'Inde, qui totalisent 40% de la population mondiale, ont une croissance économique trois à quatre fois supérieure à celle des grands pays occidentaux, ce n'est qu'une affaire de temps avant qu'elles ne rattrapent les vieilles puissances économiques industrielles.
En 2003, cependant, des chercheurs de Goldman Sachs avaient prévu que l'économie chinoise dépasserait celle des États-Unis au milieu des années 2040. Cet été, ils ont affirmé que ce phénomène aurait lieu au milieu des années 2020. Et cette année, pour la première fois, la Chine a produit plus de voitures que les États-Unis. Cette accélération est dans une large mesure due à l'énorme détournement de l'attention et des ressources des pays occidentaux, mobilisées pour la «guerre à la terreur».
Le prestige est une qualité qu'on ne peut pas vraiment mesurer ni quantifier. Mais, en matière de relations internationales, être réputé pour sa compétence d'utilisation du pouvoir est un atout fondamental. Après que les empires européens vieux de plusieurs siècles eurent dilapidé leurs richesses et sacrifié la vie de dizaines de millions de leurs citoyens dans deux «guerres mondiales» en seulement trente ans, leur empire s'est simplement désagrégé. Personne n'était plus impressionné par eux et ils manquaient des ressources nécessaires pour s'accrocher de force à leurs possessions à l'étranger.
Un phénomène similaire s'est produit aux États-Unis cette dernière décennie. Des guerres ingagnables livrées pour des mauvaises raisons portent toujours préjudice à la réputation d'une grande puissance. En outre, mener des guerres en effectuant des réductions fiscales inutiles, en augmentant les déficits -ce qui a provoqué une anarchie financière- est encore plus dommageable quand le pouvoir d'un pays repose largement sur un empire financier mondial.
Les États-Unis ont passé les dix dernières années à se saborder financièrement, jusqu'à connaître l'expérience de mort imminente de la crise financière de 2008-2009. Les Européens ont fait exactement les mêmes erreurs, avec simplement un peu plus de frilosité. Quant aux Japonais, ils ont passé cette décennie sur la touche, embourbés dans une récession apparemment sans fin. L'ancien ordre est en passe de disparaître, le dollar américain est en train de cesser d'être la seule monnaie de référence internationale. Et le véritable pouvoir est en train de se déplacer vers le continent asiatique.
En fait, deux phénomènes pourraient ralentir voire arrêter ce changement. Ils semblaient plutôt lointains en début de décennie, mais, ces derniers temps, ils deviennent de plus en plus proches -et terrifiants. L'un est le pic pétrolier, l'autre le réchauffement planétaire.
En Europe, en Amérique du Nord et au Japon, la consommation d'énergie croît lentement (parfois, elle n'augmente pas du tout). Là bas, il est donc relativement peu coûteux et facile de réduire la dépendance aux exportations pétrolières. Rien que les standards d'efficacité énergétiques déjà mis en place par l'administration Obama pourraient permettre de réduire de moitié les importations de pétrole des États-Unis d'ici à 2020. En revanche, la dépendance de la Chine et de l'Inde au pétrole venu de pays étrangers se fait de plus en plus grande. Idem pour leur utilisation du charbon.
C'est malheureux: pour des raisons purement géographiques, ces pays sont bien plus vulnérables à des températures élevées que les vieux pays industriels. Même avec une augmentation de la température moyenne mondiale de 2 °C, ils seront frappés par des inondations, des sécheresses et des tempêtes à très grande échelle. Ces catastrophes climatiques s'accompagneront vraisemblablement d'une forte chute de la production agricole. Une telle situation mettra en péril y compris les miracles chinois et indien.
Nous vivons donc, comme avant, dans un monde où l'avenir est incertain. C'est clair. Qu'attendiez-vous d'autre? Nous ne pouvons qu'observer les tendances et tenter de nous rappeler qu'elles sont toujours contingentes. Mais pour l'heure, il semblerait que cette décennie soit celle où l'Occident a finalement perdu sa suprématie sur l'économie mondiale.
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(*) Journaliste indépendant vivant à Londres
Le dernier livre de Gwynne Dyer, Alerte changement climatique: la menace de guerre (Climate Wars), est récemment paru en France aux Éditions Robert Laffont.


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