Refroidir à dessein la planète : rarement "remède" aura autant ressemblé au mal. La géoingénierie climatique est pourtant, plus que jamais, à l'ordre du jour. Depuis environ trois ans, les technologies présumées capables de contrecarrer les effets du changement climatique à venir suscitent une abondante littérature scientifique. En s'appuyant sur ces travaux, la Royal Society - l'académie des sciences britannique - vient de dresser un état des lieux de cette discipline ancienne, récemment remise en selle par la crainte d'un emballement du réchauffement. Son rapport, publié mardi 1er septembre, se garde bien de tout enthousiasme. Il se limite, à partir des données disponibles, à évaluer la faisabilité, les bénéfices potentiels et les coûts de ces différentes technologies. Ainsi que les risques - parfois considérables - présentés par certaines d'entre elles. "A défaut de réduire grandement nos émissions de dioxyde de carbone (CO2), nous allons vers un futur climatique très inconfortable, et la géoingénierie sera la seule option pour limiter l'augmentation des températures", a déclaré l'océanographe John Shepherd (université de Southampton, Royaume-Uni), président du comité d'experts mandatés par la Royal Society. "Nos travaux montrent que certaines techniques de géoingénierie pourraient avoir des effets imprévus et nuisibles pour certaines populations et certains écosystèmes", a-t-il ajouté. Ces effets collatéraux, "pourraient être le prix à payer" en cas d'échec des tentatives de limitation des émissions humaines de gaz à effet de serre. Le groupe d'experts de la Royal Society a audité une large gamme de techniques distinctes, classées en deux catégories. La première regroupe les dispositifs qui visent à réduire ou à limiter la concentration atmosphérique de CO2 : capture du carbone à la source et stockage géologique, enfouissement de biomasse, reboisement massif, augmentation de la production biologique (et donc de la capture de carbone par photosynthèse) du phytoplancton par "fertilisation" des mers, capture par procédé chimique du CO2 déjà présent dans l'atmosphère, etc. La seconde catégorie rassemble les méthodes qui reposent sur l'occultation d'une part du rayonnement solaire : diffusion de composés ou de particules soufrés dans la haute atmosphère, envoi d'immenses miroirs spatiaux entre la Terre et le Soleil, modification de l'albédo (indice de réflexivité) des vastes étendues désertiques ou encore des agglomérations urbaines (en adoptant des couleurs claires pour les toits et la voirie, par exemple) afin que ces zones réfléchissent davantage de rayonnement solaire... Selon l'analyse de la Royal Society, les deux méthodes techniquement réalisables comportant le plus de risques sont, dans l'état actuel des connaissances, la fertilisation des océans (par des particules de fer) et la dispersion en haute altitude de composés soufrés chargés de réfléchir une part du rayonnement solaire. Quant aux méthodes présentant le moins de risques (reboisement, augmentation de l'albédo des zones urbaines, etc.), elles sont aussi les moins efficaces. Globalement, dans le cas des techniques de capture et de séquestration de carbone, note le rapport, "il y a inévitablement un délai de plusieurs décennies avant qu'elles n'aient un effet discernable sur le climat". Les seules techniques capables de fournir un effet tangible très rapidement après leur déploiement sont celles visant à occulter une part du rayonnement solaire. Pour preuve, l'éruption du Pinatubo, en juin 1991 : l'explosion volcanique avait projeté de grandes quantités de particules aérosols dans la stratosphère. L'année suivante, la température moyenne de la basse atmosphère terrestre avait chuté d'environ 0,5 °C. Bien que risquée, cette technique présente, selon la Royal Society, le meilleur rapport entre magnitude des effets et coût de revient. "Le rapport pose surtout des faits incontestables, qui sont que les seuls moyens aujourd'hui disponibles pour lutter contre le réchauffement sont la limitation des émissions et la préparation aux changements qui sont d'ores et déjà inéluctables, estime le climatologue Hervé Le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Pour autant, le terme de géoingénierie est employé dans une acception très vaste. Il recouvre, dans ce rapport, des technologies éprouvées réunissant un assez large consensus - comme la capture et la séquestration géologique de carbone - et des procédés beaucoup plus incertains et hasardeux, comme la diffusion d'aérosols dans la stratosphère." Preuve de la vivacité des débats suscités par la géoingénierie, la chimiste de l'atmosphère Susan Solomon, ancienne coprésidente du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), signait le 6 août, dans la revue Science, un article soulignant le lien étroit entre le régime pluviométrique de nombreuses régions et l'insolation. L'éruption du Pinatubo, rappelait en substance la chercheuse, ne s'est pas seulement soldée par une chute des températures : elle a été suivie d'une baisse globale des précipitations, plus marquée dans certaines régions. D'autres effets indésirables existent. Les obstacles ne sont pas seulement de nature scientifique ou technique, ils sont aussi d'ordre diplomatique. Comment organiser des négociations multilatérales visant à déployer une géoingénierie touchant l'ensemble du système climatique et affectant chaque région de manière spécifique ? Qui aura la main sur le thermostat et décidera de ce qui doit être la "température moyenne terrestre idéale" ? Il n'est pas certain que ces questions trouvent jamais de réponse, mais la Royal Society engage, malgré tout, à se les poser sérieusement.