L'industrie nationale du bois a pu réaliser des avancées importantes durant ces deux dernières décennies. Sa montée en gamme reste cependant tributaire d'un appui en matière de formation et de fiscalité. C'est un matériau naturel qui accompagne l'humanité depuis la nuit des temps. Le bois est quotidiennement employé pour la construction, pour le chauffage, pour consolider les habitations, pour fabriquer des structures, des meubles divers et variés, ou encore d'objets d'art. Au Maroc, la filière du bois se positionne de ce fait comme une industrie stratégique, d'autant plus que le développement de sa chaîne de valeur a connu une remarquable montée en gamme durant les deux dernières décennies. « Généralement, les industries qui s'activent dans la première transformation du bois ont tendance à s'installer à proximité des lieux de production, c'est-à-dire des forêts. Au Maroc, le bois provient essentiellement de l'importation bien qu'il existe des forêts d'eucalyptus dans le Gharb qui continuent à produire de la matière première pour la fabrication de bois de trituration », explique Chakib Oudghiri, directeur général de la société Solution Bois et président du Centre technique des industries du bois et de l'ameublement (CTIBA).
Transformation du bois À l'image d'autres industries qui utilisent des ressources naturelles, la filière nationale du bois se structure autour de plusieurs segments spécialisés. « Notre pays compte plusieurs entreprises qui s'activent principalement dans le segment de la deuxième transformation. C'est-à-dire la fabrication de panneaux en bois : contreplaque, panneaux de particules, MDF, stratidecor, etc. Bien qu'elle soit établie depuis un certain temps déjà, cette industrie a beaucoup évolué et certains de ses acteurs sont même arrivés à positionner leurs produits dans le marché international », décrit notre interlocuteur. À partir de cette maille importante de la chaîne de valeur du bois, découle une autre industrie spécialisée dans la mise en œuvre, à travers des entreprises qui fabriquent des produits destinés aux secteurs du bâtiment, de l'équipement et de l'ameublement. « Suite au boom du bâtiment durant les années 2000, cette industrie a beaucoup évolué avec une véritable industrialisation du secteur », précise Chakib Oudghiri.
Fluctuation du marché mondial Au vu de sa dépendance à la matière première en majeure partie importée de l'étranger, la filière nationale du bois demeure toutefois exposée aux fluctuations du marché mondial. « Durant la crise sanitaire, nous avions un problème de disponibilité de la matière première parce que plusieurs producteurs et usines internationaux étaient à l'arrêt. Conjugué à la hausse du coût de transport, cela avait engendré une augmentation des prix du bois qui a dépassé les 30% », raconte le président du CTIBA. Un contexte extraordinaire qui a peu de chance de se reproduire même si d'autres facteurs exogènes liés au contexte géopolitique des pays producteurs peuvent encore déstabiliser le marché local du bois. « Si on prend l'exemple de la guerre en Ukraine, la filière marocaine du bois n'a pas eu à souffrir d'impacts négatifs significatifs parce que les importateurs locaux disposent d'un large éventail de pays fournisseurs. À cela, s'ajoute le fait que l'Ukraine et la Russie ne sont traditionnellement pas des exportateurs majeurs de bois pour le Maroc. En revanche, la fluctuation des prix des hydrocarbures impacte les coûts du transport du bois qui est acheminé par bateau », poursuit la même source.
Formation et R&D Au regard de l'importance stratégique de l'industrie nationale du bois, les acteurs de la filière estiment que la montée en gamme du secteur doit passer par la formation, la R&D et l'innovation. À cette fin, le ministère de l'Industrie et du Commerce a consacré un budget de 250 millions de dirhams pour développer le Centre technique des industries du bois et de l'ameublement (CTIBA) qui joue actuellement un rôle de locomotive normative pour le secteur. « Au Centre, nous travaillons essentiellement à mettre en œuvre des normes pour évaluer les produits faits localement, mais également ceux qui proviennent de l'étranger. Cela se fait notamment pour certifier les portes coupe-feu, pour les aspects sanitaires ou encore sur les caractéristiques acoustiques », décrit Chakib Oudghiri. Pour réaliser son potentiel et valoriser le travail de ses chevilles ouvrières, la filière nationale du bois reste toutefois tributaire de l'amélioration de la formation et de l'encouragement étatique à travers la mise en œuvre d'une fiscalité plus incitative (voir interview). Omar ASSIF 3 questions à Chakib Oudghiri « Le plus urgent serait de capitaliser sur les efforts entrepris afin d'améliorer encore plus le niveau de formation dans notre secteur » - Quels sont les leviers qui permettraient de renforcer le potentiel productif de la filière du bois au Maroc ? - Je pense que le plus urgent serait de capitaliser sur les efforts entrepris, en partenariat avec l'OFPPT notamment, afin d'améliorer encore plus le niveau de formation dans notre secteur. L'industrie du bois se modernise et le besoin se fait ressentir dans plusieurs domaines techniques et technologiques. L'idéal serait donc de pouvoir former les compétences et profils capables d'apporter une valeur ajoutée dans ces domaines. D'un autre côté, et face à la concurrence d'autres pays qui commercialisent des produits finis au Maroc, il serait intéressant d'étudier les moyens d'appuyer la fabrication locale. Cela pourrait se faire à travers une réduction de la taxe forestière (qui est de 12%) que les importateurs marocains payent systématiquement pour le bois importé, et qui s'ajoute aux autres taxes et aux droits de douane. Si on conditionne une réduction de ce genre aux sociétés formelles, cela peut accélérer la transformation du secteur informel, mais également rendre nos produits encore plus compétitifs. - Il existe à travers le monde plusieurs certifications qui assurent l'aspect durable du bois importé. Les importateurs de bois au Maroc privilégient-ils des produits dont la production est conforme à ce genre de standards ? - Les entreprises marocaines qui importent le bois depuis l'étranger traitent le plus souvent avec des pays exportateurs qui se conforment aux normes et aux certifications de production durable. C'est le cas pour plusieurs pays européens et scandinaves. Cela dit, mise à part l'obligation logique de passer par des circuits formels, la réglementation marocaine n'oblige pas les importateurs marocains à privilégier des produits labellisés. De ce fait, et bien que le cas soit assez rare, on constate parfois que certains produits qui arrivent sur notre marché depuis l'étranger montrent des signes qui confirment qu'ils ont été prélevés clandestinement. - Pensez-vous qu'il faille rendre obligatoire pour les importateurs marocains de s'assurer que le bois qu'ils achètent a été produit d'une manière durable ? - Je pense que la politique pionnière de notre pays en matière d'environnement, ainsi que le rôle économique que joue le Maroc à l'échelle du continent africain devraient nous mener vers la consécration de l'importation de bois labellisés. C'est un sujet important pour nous, car les industriels du bois sont les premiers à comprendre l'intérêt d'éviter une surexploitation des forêts. Nous comptons de ce fait travailler sur cet encadrement afin d'amorcer cette transition nécessaire. Chauffage : Le bois-énergie, un précieux atout contre le froid hivernal En plus du bois importé pour la construction et l'ameublement, les Marocains consomment plus de 11.3 millions de tonnes de bois de feu chaque année, dont plus de 6 millions de tonnes proviennent des forêts marocaines, 2.1 millions proviennent d'arbres fruitiers et 3 millions proviennent de biomasses agricoles. 88% du total de ces volumes sont consommés exclusivement en milieu rural, essentiellement dans les zones montagneuses qui connaissent des hivers rudes. Les 12% restants sont utilisés en milieu urbain, à raison de 68% dont l'usage est dédié aux divers professionnels (hammams, fours collectifs...), et de 32% utilisés par les ménages et les particuliers. Dans les zones forestières, les ménages qui disposent de droits d'usage peuvent prélever directement le bois mort dans la forêt. Selon le site de l'ANEF (Agence Nationale des Eaux et Forêts), la production commerciale annuelle moyenne de bois de feu, enregistrée au cours des trois dernières années, avoisine « 366.000 stères provenant des coupes de chêne vert essentiellement du Moyen Atlas, et des sous-produits des coupes de cèdre, et d'eucalyptus ».
ANEF : Les efforts nationaux pour baisser la surexploitation du bois de feu Depuis plusieurs années, l'Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) a mis en place des actions dont l'objectif est de réduire les prélèvements excessifs du bois de chauffe en milieu forestier. La stratégie « bois-énergie » adoptée dans ce sens a pour objectif de « gérer durablement les ressources forestières en conciliant l'augmentation des ressources en bois-énergie avec la réduction de la consommation et en rendant plus efficace l'utilisation du bois et son remplacement par d'autres combustibles ». Ainsi, des fours améliorés ont été conçus et annuellement distribués aux usagers des forêts qui vivent dans les régions estimées prioritaires. En 2024, le nombre total de fours améliorés distribués s'élèvera à près de 60.000 unités. « L'objectif de ce programme est de réduire la consommation de bois de feu en améliorant l'efficacité énergétique des fours utilisés d'en moyenne 50%. Il permet également de contribuer à l'amélioration des conditions de vie de la population rurale en matière d'hygiène et de santé, notamment pour la femme rurale ». Ce programme a un impact positif sur l'amélioration de l'état d'équilibre des écosystèmes forestiers puisqu'il a permis de réduire le déficit énergétique en bois de feu (pertes en capital de bois sur pied) de 7500 T/an dès l'année 2015, et pourra atteindre une réduction avoisinant les 150.000T/an (15%) à l'horizon 2024, ce qui est l'équivalent de la production de l'exploitation de 4000 ha de plantation d'eucalyptus adulte à 10 ans ou de chêne vert adulte à 40 ans.