La reconnaissance par Israël de l'intégrité territoriale du Royaume va bousculer les équilibres autour du dossier du Sahara marocain. Une décision attendue, mais aux répercussions géopolitiques significatives. Le 17 janvier, le Cabinet Royal a publié un communiqué selon lequel Sa Majesté le Roi Mohammed VI a reçu une lettre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Par cette lettre, le Premier ministre israélien informe le Souverain de la décision de son Etat de "reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental". Selon la même source, cette position sera "reflétée dans tous les actes et les documents pertinents du Gouvernement israélien". La décision sera également "transmise aux Nations Unies, aux organisations régionales et internationales dont Israël est membre, ainsi qu'à tous les pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques", poursuit le communiqué. Enfin, l'Etat hébreux "examine positivement l'ouverture d'un Consulat dans la ville de Dakhla, et ce, dans le cadre de la concrétisation de cette décision d'Etat".
Séquence historique Depuis la normalisation des relations diplomatiques en décembre 2020, le rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv allait bon train. Mais cette séquence s'est accélérée avec le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou, le 29 décembre 2022. Le chef de file de la droite israélienne et artisan des accords d'Abraham a fait de l'alliance avec le Maroc une de ses priorités diplomatiques. Cela s'est matérialisé par les nombreuses visites d'officiels israéliens au Royaume, parmi lesquelles celle du président du Parlement israélien, la Knesset. Amir Ohana avait affirmé, durant son déplacement en juin, qu'Israël "devrait aller de l'avant vers cet objectif de reconnaissance de la marocanité du Sahara, tout comme notre allié le plus proche, les Etats-Unis d'Amérique". Quelques heures avant la lettre de Benjamin Netanyahu, le gouvernement israélien a nommé le premier attaché militaire auprès du Bureau de liaison au Maroc, en la personne du colonel Sharon Itach.
Impact international Si les observateurs s'attendaient à ce geste diplomatique, la reconnaissance par Tel-Aviv de l'intégrité territoriale du Maroc a eu un retentissement important dans l'opinion publique internationale. Preuve en est : la quasi-totalité des grands médias occidentaux ont repris cette information, et les réactions ont varié selon la position idéologique de chacun sur ce dossier. En commençant par la très influente American Jewish Committee, qui a publié juste après l'annonce un communiqué dans lequel l'organisation se félicite d'un "prolongement naturel de la relation de plus en plus étroite et synergique entre le Royaume du Maroc et l'Etat d'Israël, conséquence des liens historiques entre le Maroc et le peuple juif". L'ancien ambassadeur américain à Rabat a pour sa part tweeté : "Aujourd'hui est le jour... Quand j'ai signé la carte, je savais que le jour viendrait de célébrer Sa Majesté le Roi Mohammed VI recevant une lettre du Premier ministre Netanyahu, reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental. Aujourd'hui est ce jour !"
Ambiguïté française Après cette annonce, les yeux se sont tournés vers la France, dont la position ambiguë envers notre première cause nationale devient de plus en plus injustifiable pour Rabat. Depuis la reconnaissance américaine de l'intégrité territoriale du Royaume, deux pays européens se sont alignés sur la position marocaine du plan d'autonomie, l'Allemagne et l'Espagne. Cette dernière décision d'Israël, pays également allié de la France, va tendre encore plus les relations de l'Hexagone avec le Royaume. "Cette reconnaissance risque de marginaliser le poids de la France dans la gestion du dossier du Sahara", estime l'expert en relations internationales Emmanuel Dupuy. Alors que l'Exécutif français a décidé de se murer dans le silence, des voix se sont élevées dans l'échiquier politique français réclamant une position plus claire vis-à-vis du Maroc. Ainsi, le président du parti Les Républicains a tweeté : "Je me réjouis de la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara. La souveraineté du Maroc est indiscutable. J'appelle désormais la France à résoudre cette question stratégique". Le président de l'UDI (Union des Démocrates et Indépendants), parti classé au centre-droit, a pour sa part estimé que "cette décision devrait inspirer la France. Il est urgent de réparer la relation franco-marocaine".
Nouvelles perspectives La reconnaissance de l'intégrité territoriale par une puissance économique et militaire est un exploit majeur pour la diplomatie marocaine. Côté israélien, cette initiative viendra débloquer plusieurs dossiers en suspens entre les deux pays. Premièrement, la tenue du forum du Néguev. Cette rencontre réunissant les Etats-Unis, Israël et les pays arabes partenaires, et censée se tenir au Maroc, a été ajournée par Rabat "en raison des violences en Cisjordanie occupée", selon une déclaration du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita. La coopération militaire devrait aussi atteindre un nouveau palier. Israël pourrait passer de fournisseur à partenaire dans le développement d'une industrie locale de l'armement. Enfin, cette reconnaissance ouvre d'office un nouveau marché pour les entreprises israéliennes. "La décision de Benjamin Netanyahu sert les intérêts des entreprises israéliennes qui veulent investir au Sahara», affirme l'expert en relations internationales Emmanuel Dupuy. Cela concerne aussi bien les projets d'infrastructures, de dessalement d'eau de mer que d'exploration minière. Dans ce sens, l'israélien Ratio Petroleum avait conclu en octobre 2021 un accord avec l'ONHYM pour l'exploration de potentiels gisements offshore de pétrole et de gaz pour le bloc Dakhla Atlantique. Trois questions à Emmanuel Dupuy « La reconnaissance israélienne est un facteur déclencheur » Pourquoi, à votre avis, Israël a pris autant de temps pour se résoudre à reconnaître la marocanité du Sahara ?
- Cette décision était attendue puisqu'elle est le corollaire des accords d'Abraham auxquels le Maroc a adhéré en décembre 2020. C'est une décision pour laquelle l'attente était plus forte du côté marocain que du côté israélien vu qu'Israël avait tergiversé un peu avant de s'y résoudre. Maintenant, les signes méritent d'être scrutés. En reconnaissant la marocanité du Sahara, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, sert de facto les intérêts des entreprises israéliennes qui, désormais, vont pouvoir fort légitimement faire des investissements dans les provinces du Sud. - La reconnaissance israélienne pourrait-elle pousser d'autres pays à en faire autant ? - À mon avis, cette décision va en appeler d'autres. Il est probable qu'elle entraîne d'autres reconnaissances d'autres pays qui pourraient être tentés d'emboîter le pas à Israël, ne seraient-ce que les Etats signataires des accords d'Abraham et des accords de paix avec Tel-Aviv. C'est le cas de l'Egypte, de la Jordanie, du Bahreïn, des Emirats Arabes Unis et du Soudan, entre autres. Cela dit, la reconnaissance israélienne est un facteur déclencheur d'autres reconnaissances dans les années à venir. - Le gouvernement israélien envisage également l'ouverture d'un Consulat à Dakhla. Est-ce une promesse réalisable. On pose cette question vu que les Etats-Unis ont également promis la même chose sans la réaliser jusqu'à présent ? - Je pense que c'est une promesse tenable. À mon sens, il n'y a aucune difficulté pour les Israéliens à ouvrir une représentation consulaire à Dakhla.
Flashback : Une promesse électorale qui se concrétise Si le nouveau gouvernement israélien de droite s'est résolu à reconnaître finalement la marocanité du Sahara, c'est parce qu'il s'agissait d'une promesse électorale, comme l'avait expliqué l'actuel président de la Knesset (Parlement israélien), Amir Ohana, dans une interview accordée, le 8 novembre 2022, à « L'Opinion ». « Je sais très bien que le Sahara est un dossier très sensible et une cause vitale et chère aux Marocains. Comme c'est si important, je trouve que parmi les choses que nous devrons envisager si nous dirigeons le gouvernement, c'est de reconnaître officiellement la marocanité du Sahara », a-t-il confié au moment où le parti de Benjamin Netanyahu était encore en campagne électorale.
Après sa prise de fonction, le président de la Knesset est venu, en juin dernier, au Maroc dans le cadre d'une visite officielle, durant laquelle il a réaffirmé son soutien à la marocanité du Sahara, en marge de sa rencontre avec son homologue marocain, Rachid Talbi Alami. L'ex-ministre de l'Intérieur a pesé de tout son poids pour faire pression sur Benjamin Netanyahu au moment où ce dernier semblait hésiter. Gardons à l'esprit qu'il n'y a pas longtemps, Israël liait toute reconnaissance de la marocanité du Sahara à la tenue de la deuxième édition du forum du Néguev, que le Maroc a reportée à cause du contexte difficile jugé non propice à la tenue d'une telle réunion. L'info...Graphie Reconnaissance israélienne : Quel impact sur l'avenir du dossier du Sahara ? En reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara, Israël rejoint la vague de soutien international à l'intégrité territoriale du Royaume. En plus des vingt-quatre pays qui ont ouvert des représentations consulaires à Dakhla et Laâyoune, (sans intégrer les Etats-Unis qui l'ont annoncé en 2020 sans encore le faire), nombreux sont les Etats qui se sont prononcés expressément en faveur de la souveraineté du Royaume en soutenant le Plan d'autonomie comme solution crédible au conflit. C'est le cas de nombre de pays européens dont l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Hongrie, Chypre, la Turquie et le Portugal... Des pays auxquels s'ajoute l'Ukraine qui s'est rangée, à son tour, du côté du camp de soutien au Royaume. Certes, la décision prise par le gouvernement d'Israël est le reflet de cet élan de soutien international au Maroc, mais il serait hâtif d'en déduire que c'est un tournant décisif dans la trajectoire de la résolution du conflit au niveau de l'ONU, laquelle résolution dépend toujours du déblocage du processus politique et de la position des membres permanents du Conseil de Sécurité. « Je ne suis pas certain que la décision d'Israël a un impact direct sur le processus politique du conflit à l'ONU », souligne Emmanuel Dupuy à cet égard, rappelant qu'Israël n'est pas membre du Conseil de Sécurité. Du point de vue de notre interlocuteur, au niveau des membres permanents du Conseil, s'il y aurait un jour un changement de position majeur, ce serait du côté de la Grande Bretagne. Deuxièmement, poursuit le président de l'IPSE, il ne faut pas s'attendre à une vague massive de reconnaissances internationales, soulignant que le caractère déclencheur de la décision prise par le gouvernement israélien concerne, pour l'instant, les pays signataires des accords de paix avec Israël.